comment les Africains vivant en France réagissent aux résultats – .

Le premier tour des élections législatives en France a eu lieu ce dimanche 30 juin 2024. Trois semaines après les élections européennes qui ont vu la montée en puissance de l’extrême droite dans de nombreux pays du vieux continent.

Les Français se sont rendus aux urnes ce dimanche pour élire les députés en vue du renouvellement de l’Assemblée nationale. Cette institution a été dissoute par le président Emmanuel Macron quelques heures après la victoire du Rassemblement national aux élections européennes du 9 juin.

577 députés doivent siéger au Palais de Bourbon à l’issue du second tour prévu dimanche 7 juillet. Pour ce premier tour, le taux de participation est estimé à 67%. Un chiffre historique selon les analystes qui suivent de près ces élections françaises.

Selon les résultats des élections législatives, publiés par le ministère de l’Intérieur, le Rassemblement national (RN) et ses alliés sont arrivés en tête de ce premier tour avec 34,2%, suivis par l’union de la gauche sous la bannière du Nouveau Front populaire avec 29,1% des voix. Le camp d’Emmanuel Macron, baptisé Ensemble, est arrivé en troisième position avec 21,5% des voix.

Ces résultats, avec le Rassemblement national en tête, ont déclenché une mobilisation dans toute la France de groupes anti-extrême droite appelant à lui barrer la route au second tour de ces élections prévu dimanche 7 juillet.

Ce sont des partis politiques, des mouvements et des associations qui sont contre le projet d’immigration et d’autres du RN, qui se mobilisent pour que Marine Le Pen et ses amis n’arrivent pas au pouvoir. Aussi, les Africains s’inquiètent de la progression de l’extrême droite. Et ils ne s’en cachent pas.

Le projet du Rassemblement national, notamment le volet sur l’immigration, inquiète beaucoup les Africains et tous les autres étrangers en France. La victoire du RN au premier tour de ces législatives est perçue comme un danger pour tous ceux qui ont fait leur vie dans le pays de Charles de Gaulle.

Et donc, ils réagissent et voient l’avenir de la France en pointillés. « Bien sûr que nous sommes inquiets. On se pose beaucoup de questions sur notre avenir ici. Nos enfants aussi, pour la plupart métis, ne comprennent plus rien », réagit Joël Viana, 59 ans, ingénieur informatique et chef de projet.

Ce Togolais, installé à Paris depuis plus de 20 ans, confie que depuis plusieurs années, l’hostilité envers les étrangers est de plus en plus palpable dans les rues de France.

« Je suis très affecté par ces résultats, pas seulement moi, mais aussi mon entourage. Nous n’imaginions pas que le RN pourrait récolter autant de voix au sein de la société française. Beaucoup d’entre nous pensent à retourner en Afrique car le racisme y est de plus en plus présent et les gens sont décomplexés lorsqu’ils le pratiquent », regrette-t-il.

Les Français, poursuit-il, considèrent que les étrangers sont responsables des maux dont souffre leur société. « C’est stupéfiant et extrêmement inquiétant », dit-il.

Même si elle ne constitue pas encore une victoire définitive, cette remontée n’est pas une bonne nouvelle pour l’Afrique et la France elle-même, selon Baki Youssoufou, chef d’entreprise et militant des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations.

Ce dernier souligne qu’à force de dire depuis des années que la France est de droite et que même la gauche ne s’est focalisée que sur les lois sur l’immigration durant toutes ces dernières années et en faisant de cette immigration le point central de tous les problèmes de la France, on finit par faire monter l’extrême droite.

« Mais compte tenu du vote et de la manière dont on a voté, c’est un vote tribal au premier sens du terme », souligne Baki Youssoufou. La victoire du RN est-elle une surprise ? Oui et non, selon lui. Une surprise car il estime que les Français sont suffisamment conscients de la politique de l’extrême droite qui va ternir l’image du pays. Ce n’est pas une surprise car les politiques ont passé leur temps ces dernières années à préparer le terrain pour cette victoire.

A la tête d’une entreprise qui lutte contre la déforestation et la recherche de nouvelles sources d’énergie en Afrique, cet Africain qui vit à Paris se dit inquiet de cette victoire du RN au premier tour, même si un second tour est prévu dimanche prochain. Il craint pour les partenaires français et africains qui pourraient avoir des problèmes avec le Rassemblement national au pouvoir.

« J’ai peur aussi dans le sens de tout ce qui est développement et racisme. J’ai beaucoup lutté dans ma vie contre les discriminations, notamment les violences policières. On sait qu’avec les discours de l’extrême droite sur les questions de police et de sécurité, avec une suspicion sous-jacente envers les Arabes et les Noirs qui seraient la source de l’insécurité, ça fait peur », confie M. Youssoufou.

Il souligne également que traquer les Arabes et les Noirs ne sera pas chose facile, car ces derniers ne l’accepteront certainement pas. Ce qui créera des problèmes et fera fuir les investisseurs.

« La deuxième chose qui m’effraie, c’est qu’aujourd’hui, dans la police nationale, jusqu’à 80 % des électeurs votent pour des partis d’extrême droite, et quand toute la police vote pour un seul parti, cela devient inquiétant, car il s’agit en fait d’une milice », dit-il, précisant que ces gens sont armés, entraînés et qu’ils « votent pour des xénophobes et des racistes, car la plupart des dirigeants d’extrême droite ont été condamnés pour racisme ».

« Les citoyens anglais ont testé le Brexit et ont servi d’exemple à toute l’Europe sur ce qu’il ne faut pas faire avec le Brexit. Il est donc clair qu’aujourd’hui aucun Européen ne votera pour quitter l’Europe. Mais à quel prix ? »

Et d’ajouter : « J’ai peur que la France devienne le grand pays où l’on va tester l’extrême droite comme gouvernement. Les effets économiques vont être dévastateurs et ceux qui vont souffrir en premier sont les classes populaires, dont une grande partie des 12 millions de citoyens qui ont voté pour le RN. Les agriculteurs vont devoir se débrouiller seuls et seront encore plus seuls sans les travailleurs étrangers. »

Abdlekerim Koundougoumi, directeur Afrique de l’ONG Internet Sans Frontière, installé en France, souligne que c’est l’échec de la politique de Macron qui favorise actuellement cette montée de l’extrême droite en France. Il espère toujours que cette montée du premier tour sera stoppée dimanche prochain lors du second tour de ces législatives dans le pays.

« Il y a de l’espoir car on voit des mouvements socialistes de gauche ou centristes qui appellent à un blocage contre l’extrême droite. On espère qu’on aura un parlement équilibré et que l’extrême droite n’aura pas les pleins pouvoirs », espère celui qui est aussi chercheur associé à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe.

Contrairement à d’autres Africains, M. Koundougoumi affirme ne pas avoir peur de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Il y voit plutôt une opportunité pour les Africains de se réveiller.

« Se réveiller pour mieux s’organiser, se réveiller pour montrer leur force, leur capacité à s’organiser pour défendre leurs causes. La seule communauté qui souffre, qui n’est pas organisée, qui n’est pas représentée au niveau politique et économique ici en France, c’est la communauté africaine », déplore ce militant et défenseur des droits de l’homme.

L’arrivée du RN au pouvoir, poursuit-il, est un signal que les Africains doivent saisir pour pouvoir s’organiser et s’impliquer activement en politique, notamment ceux qui ont la double nationalité et sont franco-africains.

Pour ce membre de plusieurs associations de la diaspora africaine en France et en Europe, les Africains en France sont aussi une force. « Je ne suis pas inquiet. Je pense qu’il faut secouer les Africains pour qu’ils se mobilisent pour pouvoir se défendre et faire en sorte que les Africains ne soient plus les moutons noirs de tous les problèmes de la France. »

Abdlekerim Koundougoumi estime que si l’extrême droite arrive au pouvoir avec une majorité absolue au parlement, elle devrait constituer un défi pour les Africains plutôt qu’une source de crainte. « Puisque nous sommes accusés de tous les problèmes, le moment est venu de pouvoir dire que ça suffit. »

Jean Célestin Edjongue, historien, sociologue, journaliste et promoteur du site newsafrica24.fr qui parle de l’Afrique et de sa diaspora, trouve lui aussi qu’il y a des raisons de s’inquiéter.

« Car même si le Rassemblement national semble assouplir ses positions, il n’en reste pas moins un parti d’extrême droite avec des idées racistes, xénophobes, extrémistes qui ne nous permettent pas, à nous les étrangers, de vivre sereinement », argumente-t-il.

Il ajoute que même s’il vit en France depuis plus de 40 ans, il a conservé sa nationalité camerounaise dont il est fier. Il est certain que le second tour sera encore riche d’enseignements, « car nous aurons la réalité des faits ».

Pour lui, les scrutins triangulaires pourraient empêcher le RN d’avoir la majorité absolue, et on entrerait dans une cohabitation avec le président de la République. « Il serait très intelligent de dire comment va se terminer cette cohabitation entre l’extrême droite et le camp Macron », estime-t-il.

Pour François Assogbavi, chef d’entreprise dans le secteur du bâtiment et des services à domicile, lui aussi africain installé en France depuis des décennies, la montée du RN inquiète tout le monde, y compris les Français eux-mêmes. « La puissance de l’extrême droite va énormément diviser la France, au-delà même des Africains que nous sommes en France », constate-t-il.

Il souligne que même si le Front national s’est dédiabolisé en se transformant en Rassemblement national avec les discours léchés de sa fille, Marine Le Pen, il a toujours été un melting-pot de tout ce qui véhicule un discours xénophobe.

« Au-delà du parti qui est un cadre, le contenu raciste demeure. Avec l’arrivée au pouvoir de ce parti, il y aura la libération de ce discours car ces individus se sentiront légitimés par le vote », affirme M. Assogbavi.

En tout cas, la France, la diaspora africaine et d’autres étrangers retiennent leur souffle et attendent dimanche prochain. En attendant, le RN savoure sa première victoire, même si les appels se multiplient pour le bloquer.