Nous venions d’apprendre qu’un de nos collègues de La presseDaniel Renaud, un grand reporter spécialisé dans la couverture du crime organisé, a vu sa tête mise à prix par un tueur à gages il y a trois ans.
Non pas parce qu’il savait des choses précises qu’il n’aurait jamais dû savoir, mais parce qu’il a agacé un criminel devenu informateur, qui a avoué ce plan lors des aveux requis à la police.
L’explication était simple : « J’en avais marre de lui. »
Peut-être que la nouvelle aurait été tout aussi terrifiante si le motif avait été plus raffiné, plus précis. Mais l’essence du choc résidait, dans une large mesure, dans la généralité du sentiment.
Le journaliste était globalement inquiétant.
Espérons évidemment que le projet ait été abandonné à jamais et que les membres de cet univers violent trouveront entre eux quelques bases de moralité pour reconnaître combien il serait lâche et inutile de s’en prendre au messager.
Et croisons les doigts pour que cela ait été enregistré par ceux qui doivent nous protéger.
Vendredi, les politiques se sont emparés du sujet, à l’Assemblée nationale et aux Communes. Tout le monde s’est dit choqué, scandalisé, horrifié. Et nous sommes tombés d’accord sur la nécessité pour les journalistes de pouvoir continuer à travailler sans céder à la peur.
Mais nous avons ensuite laissé ces médias avec leur réalité sans rien engager.
Cependant, il y a tellement de choses que nous pourrions faire. Ce que nous devons faire. Pour que cessent les petites et grandes peurs qui gangrènent la profession de journaliste. Personne ne gagne dans le noir.
Au Canada, nous avons de la chance, les menaces violentes comme celle dont nous parlons ici restent assez rares. Ce n’est pas le cas au Mexique ou au Brésil par exemple.
Mais toutes sortes d’autres nuages noirs pèsent sur les rédactions, comme ce mépris omniprésent pour ceux qui informent et qui fait désormais partie du quotidien sans que personne ne s’en offusque vraiment.
Ce mépris s’exprime un peu partout, beaucoup sur les réseaux sociaux. Continuez à lire.
On s’y habitue dans une certaine mesure, mais on ne s’y habitue jamais vraiment complètement.
Parfois, le doute sur la valeur de la presse est semé par des personnes dont l’audience est restreinte. Parfois par des gens d’affaires, des politiques, qui se trouvent drôles, intelligents, pleins de bon sens dont on cherche encore le bien et le sens. Sans même s’en rendre compte, tout le monde marche main dans la main avec les Trump, les Poutine et les Ali Khamenei de ce monde, sur le chemin des ténèbres, là aussi.
Cette semaine, les détracteurs d’un chroniqueur de Journal de Montréal se sont d’ailleurs trouvés hilarants en postant une photo de l’écran d’accueil de leur ordinateur sur les réseaux sociaux. Toutefois, ne pas être d’accord avec Sophie Durocher ne vous donne pas le droit, du moins moral, de diffuser des informations privées.
Et avoir toutes sortes d’opinions sur sa vie, ses choix, ses opinions et le contenu de son ordinateur ne donne pas non plus le feu vert civique pour ouvrir la porte au lynchage qui l’a ciblée sur différentes plateformes.
Il y a deux ans, la journaliste avait poursuivi pour menaces de mort et harcèlement criminel un homme qui avait affirmé sur Twitter qu’elle méritait d’être agressée. Et le mois dernier, le juge Alexandre Dalmau de la Cour du Québec a rendu sa décision en lui donnant raison.
L’accusé, a écrit le juge, « voulait que le plaignant soit réduit au silence », et la violence, a-t-il ajouté, servait à exprimer ce message.
Combien de commentaires de même nature adressés aux journalistes passent chaque semaine inaperçus et ne donnent lieu à aucune poursuite ?
Des tonnes.
Car depuis l’arrivée d’Internet, nous tolérons sans raison ces séances de libération collective que permettent les blogs et les réseaux sociaux et toutes les plateformes de discussion. Et nous ne l’avons pas porté assez souvent devant les tribunaux. Et nous avons laissé des sites entiers se consacrer et se construire en se nourrissant de mépris. Des petits et des grands.
Nous n’osons pas les affronter parce que nous craignons la réponse. Et souvent, les journalistes eux-mêmes sont allergiques à l’idée de s’attaquer au concept de liberté d’expression totale.
Cependant, ils respectent les lois contre la diffamation et la diffamation. Et ils en souffrent, en silence ou non.
Cela doit cesser.
Daniel Renaud doit pouvoir effectuer son travail sans avoir peur.
Sophie Durocher too.
Et tous les journalistes professionnels, quelle que soit leur place sur l’échiquier politique et ceux qu’ils dérangent ou non.
La sécurité des journalistes maintient allumée la lumière qui nous permet de voir où, tous ensemble, nous allons.