Au tribunal, il est parfois préférable de paraître ignorant des détails du quotidien. Ce jeudi matin, Bernard Arnault, patron de LVMH, cité comme témoin dans le procès de l’ancien chef du renseignement intérieur Bernard Squarcini, a été tenté de faire sien cet adage.
Certes, le milliardaire ne risque pas grand-chose face aux juges du tribunal correctionnel de Paris. La signature en 2023 d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en échange du paiement d’une amende de 10 millions d’euros a définitivement écarté la perspective d’un procès pour la multinationale du luxe. De là à conclure, comme l’a fait Bernard Arnault devant une commission parlementaire, que le groupe n’a rien à voir avec l’affaire, il y a peut-être un monde de différence, puisque LVMH apparaît comme le principal bénéficiaire de la multiple mascarade accusée de l’ancien maître-espion. et une douzaine d’anciens policiers reconvertis dans le privé.
“Je n’ai jamais été prévenu”
Comme cela a mis en branle la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) pour retrouver un éventuel maître chanteur qui se vantait d’avoir des photos compromettantes du patron de LVMH. Pour les juges d’instruction, la mission relevait davantage d’un détective privé que d’une élite de contre-espions. La demande a été faite par Pierre Godet, numéro 2 de LVMH, auprès de Bernard Squarcini, qui dirigeait alors la DCRI.
«Je n’ai jamais été informé de ce chantage», jure Bernard Arnault. « Comment comprendre que votre bras droit ait pu vous maintenir dans l’ignorance ? » s’étrangle le président Benjamin Blanchet. « Il faudrait lui poser la question », estime le PDG, qui sait évidemment que Pierre Godet est décédé en décembre 2018. « Il avait l’entière responsabilité de la sécurité du groupe », assure Bernard Arnault.
Affaire Squarcini : le « Squale », comme un poisson chez LVMH
Surnommé « Squale », l’ancien chef du renseignement intérieur comparaîtra pendant dix jours devant le tribunal correctionnel de Paris. Il est notamment accusé de diverses opérations d’escroqueries au service de LVMH et de son puissant PDG Bernard Arnault, combattant alors un documentariste nommé… François Ruffin.
C’est Pierre Godet qui fait le lien avec Bernard Squarcini, reconverti dans la sécurité privée, lorsque LVMH se sent menacé par un groupe de militants dirigé par François Ruffin, alors documentariste et propriétaire du journal « Fakir ». . Bernard Squarcini est poursuivi pour avoir sous-traité une opération d’infiltration visant à empêcher François Ruffin et ses amis d’être invités à l’assemblée générale des actionnaires de LVMH.
« Avez-vous déjà rencontré François Ruffin ? » demande le président. « Est-il là ? » demande le milliardaire décidément mal informé. « Derrière toi. » « Derrière moi ? » Le député de la Somme, sur le banc des parties civiles coupe : « Oui, bonjour Monsieur Arnault ! » C’est à l’élu que Bernard Arnault doit d’avoir passé sa matinée au tribunal… « Savez-vous qu’il a été photographié clandestinement avec ses enfants ? » interroge le juge. “Je regrette, ce n’est pas bien”, répond le PDG, jurant encore n’avoir reçu aucune information de l’inépuisable Pierre Godet et laissant échapper au passage qu’il a retrouvé le documentaire “Merci Patron !” » qui lui est dédié.
Mais les gentillesses ne durent qu’un temps. Et face aux questions des parties civiles, le milliardaire perd presque son sang-froid. « Ruffin essaie de m’utiliser pour se promouvoir et vendre ses livres parce que politiquement, il est au bord du désastre. Ne le laisse pas compter sur moi ! », explose Bernard Arnault.
“C’est stupide”
En action, Me Sarfati, l’avocat de François Ruffin, s’enquiert des relations de Bernard Arnault avec la presse. En cause, le témoignage du journaliste d’investigation Tristan Waleckx faisant état de « pressions » lors du tournage d’un portrait du PDG de « Complément d’Enquête » qui, à la fin d’un entretien, aurait reçu des menaces : « Il faut se méfier car nous avons des éléments. » « Comment avez-vous obtenu ces objets ? » » demande l’avocat. «Je n’ai aucun souvenir de ce que vous me dites», claque Bernard Arnault. « La séquence a été enregistrée », précise l’avocat. » pousse-t-il, évoquant une filature d’une équipe de « Télématin » à Bordeaux qui aurait été emmenée pour des journalistes du « Complément d’investigation » par une équipe de sécurité privée. « Est-ce normal quand vous êtes LVMH d’organiser une surveillance des journalistes du service public ? » Le témoin s’agace encore : « C’est bête, je préfère ne pas répondre à ces élucubrations. »
« Vous souvenez-vous avoir pris des engagements solennels en matière de préservation de l’emploi lors de votre reprise de Boussac ? » continue Me Sarfati. « J’ai dit que j’allais redémarrer le groupe, c’est ce que j’ai fait, alors arrêtez vos bêtises. » « Ma question concernait la préservation des emplois… » « Je ne réponds pas à cette question. Tous les travailleurs de mon groupe sont très heureux. » Avant de lâcher, visiblement hors de lui : « Ce que je recommande à Ruffin, c’est de prendre un avocat plus synthétique. » « Malheureusement pour lui, il n’a pas vos moyens pour ça », répond l’homme à la robe noire.
Quatre ans de prison avec sursis requis contre Bernard Squarcini
Ce jeudi soir, le parquet a requis quatre ans d’emprisonnement avec sursis et 300 000 euros d’amende contre l’ancien chef du renseignement intérieur, Bernard Squarcini. Dans cette affaire controversée, le procureur a requis contre neuf autres hommes des peines allant de quatre mois à deux ans de prison, accompagnées, selon les cas, d’amendes pouvant aller jusqu’à 100 000 euros.