Marcel Vadella a-t-il agi en état de légitime défense, le 19 décembre 2020, en tirant sur Jamal et Jaoide Fadil, tuant le premier et blessant grièvement le second ? Le commerçant a comparu de mardi à vendredi devant le tribunal judiciaire de Haute-Corse pour meurtre et tentative de meurtre. Des faits pour lesquels il risque jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle.
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Vêtu d’une chemise bleu clair, d’un jean et de cheveux soigneusement coiffés, Marcel Vadella écoute attentivement le récit détaillé des faits par le président de la cour d’assises, Michel Bonifassi.
Placé en détention provisoire pendant 36 mois et sous surveillance électronique à partir de juillet 2023, le quinquagénaire sera libre de comparaître ce mardi 26 novembre devant la cour d’assises de Haute-Corse. Ce commerçant est accusé du meurtre de Jamal Fadil et de la tentative de meurtre de Jaoide Fadil.
Les faits remontent au 19 décembre 2020. Il était vers 15 heures, lorsque des policiers ont mobilisé plusieurs coups de feu tirés en direction du bar « L’Arcole », situé rue Santa Maddalena, quartier Lupino, à Bastia.
Sur place, ils ont retrouvé Marcel Vadella, un commerçant local, qui leur a immédiatement confirmé qu’il était l’auteur de la fusillade. Son arme, un pistolet semi-automatique de 9 mm, est toujours dans sa poche arrière. Les enquêteurs ont également retrouvé le corps de Jamal Fadil sur les lieux. Atteint d’une balle dans la poitrine, son décès a été constaté par un médecin légiste.
Placé en garde à vue, Marcel Vadella indique qu’il est propriétaire d’un autre bar, “Le Typique”, situé non loin du lieu des faits, et géré depuis plusieurs années par Jamal et Jaoide Fadil.
Ce dernier, a-t-il expliqué aux enquêteurs, ne lui avait pas payé le loyer depuis plusieurs mois, accumulant une dette estimée à 9 mille euros. Une situation qui est à l’origine d’un fort conflit entre le commerçant et les deux frères, le premier qui souhaite l’expulsion des locaux du second.
Le 18 décembre 2020, veille des faits, un violent affrontement a eu lieu entre les trois hommes, raconte Marcel Vadella. Les frères Fadil, assure-t-il, auraient conditionné leur départ au paiement de 80 mille euros, avant de le battre.
Visité par un médecin dans la soirée, il a écopé de 15 jours d’incapacité totale de travail (ITT). Parallèlement, il prépare un dossier en vue de déposer une plainte pour violences, dont les enquêteurs prendront connaissance. Finalement, Marcel Vadella envoie une lettre recommandée demandant le paiement du loyer.
Le lendemain, alors qu’il se rendait à son bar, Marcel Vadella a déclaré qu’il avait emporté une arme avec lui, mais uniquement pour se défendre au cas où il serait attaqué par les deux frères. Et bientôt ils le rencontreront, assure-t-il.
Le ton monte, Marcel Vadella se dit poussé et aperçoit la lame d’un couteau dans les mains de Jamal Fadil. Effrayé, il tire sur les deux frères, puis se rend chez un coiffeur et demande au propriétaire de contacter la police. Le commerçant assure, en garde à vue, qu’il n’avait aucune intention de tuer.
Devant les enquêteurs, Jaoide Fadil décrit une version très différente des faits. Le jour du drame, l’homme, touché à la jambe et à la hanche, s’est rendu seul à l’hôpital, où il a bénéficié de 180 jours d’ITT.
Selon Jaoide Fadil, les loyers étaient régulièrement payés à Marcel Vadella, mais en espèces, et donc sans justificatif. Il nie avoir menacé le commerçant en lui demandant la somme de 80 mille euros.
Le 19 décembre, il explique avoir vu Marcel Vadella frapper son frère, qui s’est défendu en retour. Puis il prend du recul, dit-il. C’est au moment où il s’est approché pour les séparer que Marcel Vadella a ouvert le feu, tirant d’abord sur lui, puis sur son frère, avant de le viser à nouveau. Il raconte s’être réfugié derrière une voiture et avoir contacté sa compagne pour l’emmener aux urgences.
Selon Jaoide Fadil, son frère ne tenait pas de couteau. Lors des premières investigations, les enquêteurs n’ont retrouvé l’arme en question, ni sur la victime ni sur les lieux de l’accident.
Préméditation ou légitime défense ?
Y a-t-il eu intention de tuer ou préméditation de la part de Marcel Vadella ? La légitime défense peut-elle être invoquée ? Si les enquêtes ont tenté de répondre à ces questions”,nous n’avons pas pu le déterminer complètement», admet le premier témoin de la matinée à la barre. Ce dernier était, à l’époque, le chef du service de police judiciaire chargé des enquêtes.
L’enquête, affirme-t-il, semble cependant démontrer que ce sont les frères Fadil qui sont entrés en contact les premiers avec Marcel Vadella, le 19 décembre, avant la fusillade, et non l’inverse. Un couteau a également été retrouvé bien après l’incident entre les lames de la terrasse « Typique ». Toutefois, rien ne permet de certifier s’il s’agit ou non de l’arme blanche que l’accusé affirme avoir vue entre les mains de Jamal Fadil, et si elle appartenait ou non à ce dernier.
Marcel Vadella, explique le directeur des enquêtes, était connu de la police pour «petits faits sans importanceJamal et Jaoide Fadil avaient pourtant déjà un casier judiciaire plus lourd, pour des affaires de drogue, de violences et de menaces, ou encore, pour le second, d’escroquerie organisée au profit de gangs. Jamal Fadil incarne également un bracelet électronique.
Le chef de la PJ de Bastiaise le précise : ce dossier contenait, pour la police judiciaire, un “critère de sensibilité» au point que le frère de Marcel Vadella a travaillé et travaille encore aujourd’hui dans la police de Bastia. Il s’y est d’ailleurs rendu en civil le jour du drame.
Cependant, l’enquête a été menée de manière objective, assure le témoin. Déclaration contestée par Me Mourad Battikh, l’avocat de Jaoide Fadil. L’avocat dénonce ainsi le rapport de synthèse réalisé par les policiers, qui illustre, selon lui, les investigations menées tant pour l’accusation que pour l’exonération.
Avec une attention particulière, significative et constante à déplorer le passé judiciaire et les méfaits, réels ou présumés, imputés à son client. De quoi démontrer, selon Me Mourad Battikh, une certaine envie de “discrédit«les paroles de Jaoide Fadil e»l’enfermer dans une camisole de force», quand les termes seraient plus mesurés dans le cas de Marcel Vadella.
Jamais et à aucun moment nous ne pourrons être accusés d’avoir caché une partie de l’enquête ou quoi que ce soit d’autre.
“Le reportage ne remet pas en cause la scène, le directeur des enquêtes décide en réponse. L’agresseur était à peine connu de la police, qui à l’époque connaissait très bien son client. Si nous ne le mentionnions pas, nous ne ferions pas notre travail.“
La position du frère de Marcel Vadella au sein de la police aurait-elle pu influencer la conduite de l’enquête ? L’ancien patron de la PJ Bastiaise s’en défend fermement. “Jamais et à aucun moment nous ne pourrons être accusés d’avoir caché une partie de l’enquête ou quoi que ce soit d’autre. Si ça peut te rassurer, il va chez l’avocat, Je ne dois rien au frère de M. Vadella et il ne me doit rien. Nous avons mené l’enquête sans aucune pression et [le frère de Vadella] il n’a jamais été intéressé de savoir comment les enquêtes progressaient.“
Le procureur de la République de Bastia, Jean-Philippe Navarre, a choisi de se concentrer sur le couteau évoqué par Marcel Vadella et dont l’existence n’a jamais été formellement prouvée par les investigations. “Si l’enquête révélait la présence d’un couteau, s’agirait-il d’un élément de légitime défense ? ?“demande-t-il au responsable de l’enquête.”La logique veut que s’il était menacé avec un couteau, il préférerait se retrouver en situation de légitime défense.», répond ce dernier.
“Quand on retrouve trois ou quatre plans, est-ce que cela reflète plutôt une forme d’intentionnalité, un geste volontaire ?”
Or, poursuit le procureur, Marcel Vadella n’a pas tiré une seule fois, mais au moins trois. “Quand on retrouve trois ou quatre plans, cela traduit plutôt une forme d’intentionnalité, un geste volontaire ?“Sans répondre directement sur ce point, le directeur des enquêtes constate que l’arme en possession du prévenu était chambrée et était donc prête à l’emploi.”Cela signifie que dans l’esprit de la personne, l’arme doit être prête à servir.», conclut le témoin.
Le retour de la pause déjeuner – intervenu avec plusieurs heures de retard en raison d’un calendrier d’audience trop optimiste et largement dépassé – a vu plusieurs témoins se succéder à la barre.
Le commerçant chez qui Marcel Vadella s’est rendu immédiatement après la fusillade pour lui demander d’appeler à l’aide, un ancien employé de son bar, un voisin qui se trouvait à proximité du lieu de la fusillade, le beau-frère de l’accusé, l’ex-partenaire de Jaoide, Fadil … Les uns après les autres, ils détaillent tous leur version des faits, rapportant ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont entendu, devant des jurés qui semblent souvent fatigués par la longueur des discussions.
Le procès se poursuit ce mercredi, avec l’audition notamment des experts médicaux et de l’expert balistique. Le jugement est attendu ce vendredi 30 novembre.