Le fragile témoignage de Connor Reed, patient zéro qui a attrapé le Covid-19 avant tout le

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Connor Reed, ici interviewé par la chaîne de télévision britannique Sky News, depuis son appartement de Wuhan (Chine), le 6 mars 2020. YOUTUBE (Capture d’écran)

Qui est le patient zéro du Covid-19 ? Cinq ans plus tard, le mystère demeure. Mais dans un témoignage passé inaperçu à l’époque, un jeune Gallois affirme avoir eu les premiers symptômes de la maladie le 25 novembre 2019, à Wuhan (Chine). C’est-à-dire deux semaines avant le premier cas communément admis – celui d’un vendeur de crevettes au marché de fruits de mer de Huanan – et deux mois avant que la pandémie ne déferle sur le .

Le cas de Connor Reed – c’est son nom – n’a jamais été confirmé par les médecins. Faut-il le prendre au sérieux ? Son récit très détaillé a depuis suscité un tollé sur les forums scientifiques et les réseaux sociaux.

Loin d’être anecdotique, cela pourrait complètement changer la façon dont on raconte l’origine du virus. Tout dépend du crédit que l’on accorde au témoignage de cet expatrié gallois : important pour Drastic (pour « équipe de recherche autonome décentralisée radicale »), un groupe informel d’enquêteurs autodidactes pro-laboratoires sur les fuites ; zéro pour les scientifiques qui défendent la thèse d’un saut zoonotique (maladie transmissible des animaux à l’homme) mid-November au marché.

Le visage britannique du confinement à Wuhan

Le nom de Connor Reed est apparu pour la première fois le 3 février 2020 dans le tabloïd Le Soleil. Il est présenté comme un « Un enseignant de 25 ans à qui des médecins de Wuhan ont diagnostiqué un coronavirus il y a deux mois ». L’article raconte que ce natif du nord du Pays de Galles a attrapé le virus à l’automne, a cru qu’il était mourant et a bu du grog jusqu’à ce que la maladie disparaisse.

En , il devient immédiatement l’homme qui “affirme s’être soigné avec du whisky et du miel”alors qu’outre-Manche il est présenté comme “le premier Britannique à contracter le Covid-19”. Le jeune expatrié aux yeux rieurs, disponible, accessible et souriant, devient l’un des bons clients des médias anglophones, du plus bavard au plus sérieux.

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Connor Reed, interviewé par la chaîne de télévision britannique Sky News, depuis son appartement de Wuhan (Chine), le 6 mars 2020.

Connor Reed, interviewé par la chaîne de télévision britannique Sky News, depuis son appartement de Wuhan (Chine), le 6 mars 2020. YOUTUBE (Capture d’écran)

Le 4 mars, le Courrier quotidienun tabloïd conservateur britannique, publie son journal de maladie, long récit de deux mois de souffrance et de convalescence. Il raconte avoir attrapé un rhume le 25 novembre 2019, s’être rendu à l’hôpital pour une radiographie pulmonaire le 6 décembre, avoir passé trois semaines terribles et avoir reçu un diagnostic positif par téléphone le 10 janvier 2020. Si Si l’on s’appuie sur ce document rétrospectif, il s’agirait du plus ancien cas connu de patient atteint du Covid-19 à avoir témoigné.

« Éléments contradictoires »

Est-ce correct ? Connor Reed n’est plus là pour en répondre. De retour au Pays de Galles, il est décédé en octobre 2020 d’une overdose lors d’une soirée avec son colocataire. Mais le Britannique a laissé derrière lui de nombreuses interviews et traces sur les réseaux sociaux.

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Depuis 2021, il fait l’objet d’enquêtes, notamment pour le groupe Drastic. Car l’histoire du Gallois, si elle était avérée, prouverait que le virus SARS-CoV-2 circulait peut-être déjà avant les premiers cas sur le marché des fruits de mer. Pour d’autres, c’est un citoyen aux souvenirs confus, voire mythomanes.

Certains éléments confortent sa bonne foi. D’un entretien à l’autre, il entretient un récit cohérent : un rhume inoffensif qui dégénère en toux, fièvre, puis pneumonie en quinze jours. Il corrige également à juste titre certaines informations inexactes des médias, notant qu’il n’a jamais vu de chauves-souris ou de koalas dans le pays. “marché aux poissons”comme il l’appelle, où il pense avoir attrapé le virus (à moins qu’il ne l’ait attrapé par son chaton, il n’en est pas sûr).

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D’autres détails sont plus préoccupants. À Reuters, il affirme avoir eu le Covid-19 “en décembre”pas en novembre. Le Soleil parle d’une hospitalisation de deux semaines, lui d’un ou deux jours. Il évoque également des rumeurs “éprouvé” couvre-feu fin décembre, tandis que le confinement ne sera évoqué qu’à partir du 20 janvier.

“C’est un dossier difficile, sur lequel nous avons des éléments contradictoires, avoue Gilles Demaneuf, ingénieur français et membre du collectif Drastic, qui a retracé son école et certains de ses amis. Parfois il extrapolait, il y avait des approximations, des distorsions dans ses entretiens. Mais tout bien considéré, c’est plus crédible que je ne le pensais au départ. » C’est même un témoignage très utile pour Drastic, qui défend la thèse d’un virus né en laboratoire, ou en tout cas hors marché.

Preuve d’une épidémie avant le marché ?

Le Gallois est ainsi cité par le groupe dans un long dossier datant de 2023 sur le « limites des cas officiels à Wuhan en 2019 ». En toile de fond, l’idée que l’épidémie a commencé “à partir de septembre”que le marché n’aurait été qu’un « événement à grande diffusion »ouvrant la voie à d’autres hypothèses que la zoonose. “Nous avons conclu qu’il était très probable qu’il ait été contaminé à l’école, même si nous ne pouvons pas en être sûrs à 100 %”explique à Monde L’Ingénieur2, internaute canadien, également membre de Drastic, qui prépare une publication sur le sujet.

Mais alors, d’où viendrait le virus ? Sur la base d’éléments de preuve qu’il reconnaît être “très faible”The Engineer2 suppose que Connor Reed pourrait avoir été infecté par le SRAS-CoV-2 lors d’un campus d’été auquel il a participé en août 2019, en Thaïlande et en Indonésie. Ou encore lors des jeux militaires de Wuhan, où des athlètes se sont déclarés malades et où plusieurs de ses collègues travaillaient comme interprètes. Ou même par le parent d’un étudiant qui travaille dans un laboratoire animalier P3 à l’hôpital universitaire de Wuhan. Mais pas au marché de Huanan, trop loin de chez lui, juge-t-il.

Ces hypothèses impliquent chacune un scénario d’émergence du virus différent, mais posent toutes des problèmes de cohérence. « Si Connor avait eu le Covid, alors il y aurait probablement eu des centaines d’autres cas de Covid en même temps »» interpelle Peter Miller, un informaticien lauréat d’un prix dans le cadre d’un débat sur l’origine du Covid. Et rappelons qu’au rythme de réplication du virus, s’il était apparu début novembre, il y aurait eu 256 fois plus de cas à la fin de l’année. Or, des études rétrospectives de sérosurveillance ont montré que sa circulation était alors quasiment nulle.

De fortes réserves épistémologiques

Alors, comment expliquer l’histoire de Connor Reed ? Peut-être par une erreur de diagnostic. L’air de Wuhan est altéré par la pollution (235 microgrammes par mètre cube de particules fines fin 2019, un niveau jugé très malsain), et provoque de nombreuses pneumonies. « Il faut prendre du recul par rapport à ce qui ressemble à une anecdote séduisante, invite le microbiologiste Michael Worobey, auteur d’une étude marquante sur les premiers cas commercialisés. Le fardeau des maladies respiratoires [à Wuhan] est colossal. » Cette ville de plus de 12 millions d’habitants déplore chaque année plus de trois infections respiratoires en moyenne par personne et 750 000 pneumonies graves.

Autant de cas qui peuvent passer pour du Covid-19 sans en être un. « Il n’y a eu aucune confirmation écrite [de diagnostic] à l’époque, pour ne pas laisser de trace, ce qui colle assez bien à ce que décrit Connor. Cependant, sans trace écrite, il n’y a aucune preuve. »admet Gilles Demaneuf.

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L’expatrié gallois a rédigé ses propres cahiers plus de trois mois après les événements présumés, au risque d’avoir une mémoire défaillante. « Il y a de fortes chances que ses souvenirs aient été refaçonnés par les discussions médiatiques sur le sujet »estime le philosophe des sciences Kenny Easwaran. En France, la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, affirmait avoir découvert l’existence de la maladie le 20 décembre 2019 sur un blog en anglais, alors que les plus anciennes références en ligne datent du 30 décembre 2019, soit dix jours plus tard.

L’incertitude demeure donc, et le témoignage du Gallois, publié dans un journal friand de sensationnalisme, appelle à la prudence. “Quiconque prétend le contraire a des idées confuses sur ce qui constitue ou non des preuves scientifiques solides, ou en fait délibérément un battage médiatique cynique.”rejette Michael Worobey qui, comme de nombreux défenseurs de la thèse de la zoonose, désapprouve les conclusions et les méthodes de Drastic.

Guillaume Audureau

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