18 heures sonnent au clocher, le pâle soleil d’automne est déjà couché et l’obscurité recouvre Pontivy et ses environs. Lunettes rondes et cheveux blonds, Laurence Le Pallec, qui nous a donné rendez-vous rue de la Fontaine, nous accueille avec un large sourire et une démarche un peu précipitée : sa 26ème patiente du jour l’attend chez elle. Pour une petite piqûre, quelques mots doux et beaucoup de chaleur humaine, que l’infirmière diffuse partout où elle passe.
“On voit tout”
Parce que « les gens sont ce que j’aime », dit-elle, Laurence a accédé à ce métier il y a plus de trente ans. D’abord à l’hôpital, puis dans un cabinet. Un travail aux horaires flexibles, qui a parfois le goût de larmes et de désillusion. « La profession souffre », rappelle l’aide-soignante. De nombreux collègues s’épuisent et quittent la profession. Nous ressentons une pression, notamment de la part de l’assurance maladie et de certains patients.» Les Laurence ont entre 15 et 101 ans et ont des pathologies très différentes. « Suivi chimiothérapie à domicile, pansements plus ou moins complexes, vaccins, soins d’hygiène, suivi clinique, prises de sang, injections d’insuline, on voit de tout », liste la Pontivyenne.
« Génial et indispensable ! »
Lorsque nous l’avons suivie, plusieurs de ses patients étaient diabétiques. Comme Marc, 86 ans. Une vieille connaissance : Laurence le suit au quotidien depuis cinq ans. Avec, au bout de l’aiguille, cette réflexion de l’octogénaire : « Comment vais-je me passer d’elle ? « .
Mireille, belle italienne, abonde. « Laurence m’est très précieuse », reconnaît le septuagénaire. En plus, je suis seul, donc c’est un peu une visite. Pour beaucoup de personnes âgées, la solitude est une épouse insupportable qui a le goût du malheur. « Quand on n’est pas dedans, on ne se rend pas compte de tous les problèmes sociaux et des dépendances qui existent », s’alarme Laurence, avant de sonner à la porte de Jean. Lui aussi est seul. Il a presque 90 ans, un air joyeux, une gentillesse magnétique mais un foutu diabète. « Comme tous les soignants, Laurence est merveilleuse et indispensable », nous souffle à l’oreille ce retraité de l’automobile pour qui cette visite hebdomadaire est une poignée de joie qu’il faut serrer fort et le plus longtemps possible. “Viens dans la cuisine, parlons-en!” Ah ! Et puis, je t’offrirai des chocolats, c’est bientôt Noël. Jean donne des chocolats tous les soirs. Et Laurence a plein de chocolats dans sa voiture.
«On ne lui a jamais tourné le dos»
Il est presque 20 heures et l’infirmière n’a pas fini sa soirée. Bientôt, elle verra Yves, 80 ans, déjà alité car il est en proie à une inquiétante négligence. Mais aussi Louise, diabétique, qui compte le nombre de pommes qu’elle a le droit de manger chaque jour. Et puis Denis, qui ne peut pas injecter son insuline seul. « Pour certains, notre présence est vitale. D’une manière ou d’une autre, on sauve des vies tous les jours», pense Laurence qui, comme beaucoup de ses collègues, est seule lors de ses tournées du soir. Et dans cette obscurité hasardeuse qui consume les regards comme les silhouettes, elle conserve son flegme. « Récemment, à Lorient, un collègue s’est fait cambrioler dans sa voiture à cause de son caducée, révèle-t-elle. Il y a quelques années, dans la cité Vélodrome, à Pontivy, je n’étais pas serein mais maintenant, je n’ai plus trop peur. Je fais juste attention. Peut-être que je suis inconscient ? « .
En effet, le soignant se méfie dans un premier temps des patients présentant des troubles psychiatriques. « Face à eux, nous sommes souvent démunis et avec certains, nous sommes sur nos gardes. Je pense par exemple à une patiente du cabinet, une petite mamie, qui avait un fusil posé sur un meuble dans son hall d’entrée. Nous ne lui avons jamais tourné le dos. Nous pensons connaître des gens, mais… ».
“Ça devient terrible”
Personnes. Les patients. « J’essaie de trouver le petit truc qui leur remonte le moral. C’est comme chatouiller la tête d’un grand-père que j’ai comme patient. On peut rire, il faut rire ! « . Oui. Car trop souvent, dans ces voyages humains, les larmes ne sont jamais loin. « On s’attache forcément à nos patients et quand ils partent, c’est difficile. Personnellement, je ne vais jamais aux funérailles car il faut se protéger, mettre des gestes barrières. Sinon, ça devient terrible. Une douleur qu’aucun pansement, aucune injection ne peut guérir.