Des commentaires moqueurs ont été postés sur Google Maps, épinglés sur des lieux bombardés et envahis par l’armée israélienne au Liban. Franceinfo a retracé ces avis et leurs auteurs.
“Pas de mosquée, seulement des décombres (…) Je suis venu pour rien, je ne le recommande pas.” Ce commentaire teinté d’ironie macabre a été posté fin octobre sur la plateforme Google Maps par un certain Gabi W. à propos de la mosquée Ahel al-Quran à Yarine, un village du sud du Liban. Mais le visiteur n’est pas un touriste, selon le site Middle East Eye : il s’agirait d’un soldat israélien, qui a choisi de noter ce lieu après les bombardements et démolitions menés depuis le 30 septembre par les forces israéliennes dans cette zone. zone frontalière.
Selon le journaliste libanais Nader Durgham, cette affaire est loin d’être isolée, et ces propos s’inscrivent dans le cadre d’une “tendance” que doivent faire les soldats israéliens “je plaisante sur les destructions qu’ils provoquent”ou même à « se filmer en train de voler de l’argent (…) et de faire exploser des villages entiers »il écrit pour Middle East Eye. Des soupçons qui ne sont pas sans rappeler les vidéos mises en scène publiées depuis le 7 octobre 2023 par des soldats israéliens sur un autre de leurs champs de bataille, celui de la bande de Gaza. Lundi 18 novembre, la plupart des avis Google Maps répertoriés par Middle East Eye avaient disparu, peut-être modérés par la plateforme. Mais franceinfo en a retrouvé certains, avant qu’ils ne disparaissent, et en a identifié d’autres, mis en ligne plus récemment, puis a remonté la trace numérique de leurs auteurs.
Dans la commune d’Aïtaroun, à environ deux kilomètres de la frontière avec Israël, le restaurant Ayoub a reçu mi-octobre 5 étoiles sur 5 de la part d’un dénommé Amichai E., qui a laissé ce commentaire à double sens : “Nourriture délicieuse, atmosphère explosive”. Une référence à peine dissimulée aux violents combats menés par l’armée israélienne contre les factions armées du Hezbollah dans cette ville depuis plus d’un mois, mais aussi aux intenses bombardements et dynamitages de bâtiments menés par Tsahal.
Une vingtaine de kilomètres plus à l’ouest, dans le village d’Aïta el-Chab, ravagé par les combats de l’armée israélienne au Liban, le même Amichai E. a laissé une autre affiche au restaurant Chicken d’Or, accompagnée d’une étoile : « Ils ont refusé de nous servir, le code vestimentaire local interdit aux soldats israéliens d’être servis. » Franceinfo est parvenue à identifier l’auteur de ces propos. Amichai E., un père vivant dans un village du nord d’Israël, est plus susceptible de remarquer les garages et les pharmacies en Israël que les restaurants libanais situés au milieu d’une zone de guerre.
Sur ses réseaux sociaux, il partage des photos et vidéos de ses départs pour « tours de réserve » dans l’armée israélienne, dont un récent au Liban. S’il s’était rendu à Aïtaroun en octobre, il n’aurait pas pu manquer les rangées de maisons détruites pour débusquer les combattants du Hezbollah, réputés nombreux dans la région. Son commentaire concernant Aïta el-Chab coïncide également avec l’entrée de chars israéliens dans la commune, rapportée le 21 octobre par le journal libanais. L’Orient-Le Jouren marge des combats et des explosions de bâtiments par l’armée israélienne.
Dans le village voisin de Maroun el-Ras, où l’armée israélienne multiplie les raids depuis le 2 octobre, les tirs de roquettes du Hezbollah et les bombardements israéliens ont peu à peu laissé un paysage de désolation. Au milieu de ces affrontements, Tom W. a attribué 3 étoiles au supermarché local Al-Zahraa, en écrivant : « Un peu sale et détruit, mais dans l’ensemble, l’expérience est correcte. » Franceinfo a retrouvé Tom W. sur d’autres plateformes, où il pose souvent en treillis et se présente comme « un étudiant réserviste de Haïfa »une ville portuaire du nord d’Israël. Sur Google Maps, le jeune homme compte une vingtaine d’avis à son actif, sur des loueurs de scooters en Thaïlande ou sur un hôtel 4 étoiles au Mexique. Des lieux de vacances idylliques, loin du village libanais dévasté par les combats du mois d’octobre.
Toujours dans le gouvernorat de Nabatieh, à la frontière avec Israël, un autre avis a été déposé sur Google Maps concernant une pizzeria dans le quartier Hay el-Maslakh, en bordure de Bint Jbeil. “Ma commande prend trop de temps”» s’est plaint un certain Beny K., la semaine du 14 octobre, tout en attribuant une étoile à l’établissement. Le jeune homme de 22 ans se dit « Réserviste de Tsahal » sur son réseau social professionnel. Adepte des compilations de vidéos des bombardements sur Gaza qu’il publie, il n’avait jusqu’alors laissé qu’un seul commentaire sur Google à propos d’un restaurant servant des hamburgers dans le nord d’Israël.
Contacté par franceinfo, le gérant de la pizzeria évoque un “commentaire frauduleux”car toutes les activités de restauration (principalement la livraison) dans le quartier Hay el-Maslakh ont cessé “début octobre”juste avant que plusieurs bâtiments ne soient détruits dans la rue voisine. Il n’était pas au courant de l’avis et affirme n’avoir jamais servi un client israélien. “Aucun commentaire…”il répond à propos de la note laissée par Beny K.
Interrogées par franceinfo, les Forces de défense israéliennes n’ont pas souhaité commenter ces informations faisant état de propos moqueurs. Ils assurent cependant “faire face à des incidents exceptionnels qui s’écartent des ordres et des valeurs attendues des militaires”, notamment lorsque des alertes sont données sur les réseaux sociaux, et prennent « mesures disciplinaires » envers les militaires concernés. « Dans les cas où il existe une suspicion d’infraction pénale justifiant l’ouverture d’une enquête, celle-ci est ouverte par la Division de la Recherche Criminelle »explique l’armée israélienne.
De son côté, Google n’a pas confirmé avoir supprimé les premiers commentaires repérés par Middle East Eye, mais assure «travailler continuellement pour identifier et supprimer le contenu » qui ne respecte pas ses conditions d’utilisation. « Nous encourageons les utilisateurs à signaler tout contenu de ce type » a déclaré un porte-parole de l’entreprise à franceinfo, prévenant que « les utilisateurs qui enfreignent [ses] les règles peuvent être interdites à plusieurs reprises de contribuer davantage à Google Maps.
Outre ces propos, la plateforme semble être devenue, ces dernières années, un espace d’échanges entre Libanais et Israéliens inquiets de l’escalade du conflit. Dans les critiques d’une autre pizzeria du sud du Liban, à Aalma el-Chaab, un habitant du nord d’Israël a écrit en mai dernier : “La pizza n’a pas l’air bonne et j’aurais aimé qu’il y ait moins de roquettes venant de cet endroit”en référence aux échanges de tirs qui ont précédé l’invasion israélienne du Liban. A Marwahin, un village libanais frontalier, un Israélien a laissé un commentaire plein d’espoir sur la page du seul restaurant de la région, affirmant qu’il avait « j’ai hâte de venir ici en tant que touriste » tout en espérant la paix entre les deux pays. Ce commentaire vieux de trois ans attend toujours de devenir réalité.