C’est « l’effervescence autour du palais de justice de Roanne », en ce lundi 6 décembre 1954, il y a 70 ans presque jour pour jour. Quatre jours plus tôt, comme indiqué Progrèstrois commerçants, “selon l’enquête, auraient proféré des menaces et des insultes à l’encontre d’agents du fisc” lors d’une manifestation à Balbigny, en marge des contrôles fiscaux qui s’y dérouleront.
Les CRS circulent dans le centre de Roanne
De quoi leur donner le droit de comparaître devant le juge d’instruction de Roanne. “Dans cette circonstance, les membres du mouvement dirigé par M. Poujade, l’Union des commerçants et artisans (UDCA), ont voulu manifester par leur présence leur solidarité avec leurs amis”, détaille le quotidien régional.
Qui poursuit : « Cette arrivée inattendue de supporters venant en grande partie de Craponne-sur-Arzon mais aussi de Brioude, Arlanc, Usson-en-Forez, Le Puy, provoquerait, dès 14 heures, la mise en place d’un service de sécurité à proximité immédiate. de la Place Georges-Clémenceau. La présence des CRS a effectivement empêché tout rassemblement important. »
Un groupe de manifestants est repoussé dans la rue des Fossés. Un autre, d’une cinquantaine de personnes, encerclé près du carrefour suisse. En attendant la fin de l’interrogatoire, qui se terminera vers 19 heures. A cette heure, Antoine Maisonneuve, mécanicien à Craponne-sur-Arzon, quitte le palais de justice sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
En revanche, ses deux amis, « M. Vignal, électricien à Craponne-sur-Arzon, et M. Solle, de Montbrison”, se retrouvent “tous deux détenus”. Le mouvement de contestation va alors prendre de l’ampleur.
Des commerçants bien décidés à « bivouaquer » à Roanne en attendant la libération de leurs amis
Mercredi 8 décembre, des commerçants de plusieurs départements (Puy-de-Dôme, Allier, Haute-Loire, Saône-et-Loire, Nièvre, Côte-d’Or et même Loiret) se sont montrés « décidés à « bivouaquer » à Roanne. jusqu’à la libération de leurs amis. Les CRS circulent dans le centre-ville et dispersent les foules.
La Bourse du travail, où se réunissent ces gens en colère, est « pleine à craquer ». Là, M. David, vice-président de l’UDCA (présidée par Pierre Poujade) regrette encore « que les commerçants locaux n’aient pas spontanément fermé leurs magasins et manifesté leur sympathie envers les deux détenus ».
Ils s’indignent “contre les mesures policières”
Puis, devant lui, « à la fin de la séance, le public, debout, entonnait The Marseillaise « . Dans une motion prise à l’issue de la séance, « les commerçants et artisans de la Loire et des départements limitrophes s’élèvent contre la loi du 13 août 1954 et les mesures de police prises à l’égard des honnêtes gens qui défendent leur droit à la vie. »
Ils, préviennent-ils, « s’opposeront à tout contrôle tant que la réforme fiscale qu’ils réclament ne sera pas prise en considération. » Une délégation est reçue à la mairie par M. Pillet, premier adjoint à la mairie de Roanne.
Entre Progrès et Le Pays Roannaisdeux visions différentes des choses
Les journaux locaux prennent position. Pour Progrès « il faut espérer que des centaines de commerçants et artisans pourront rentrer chez eux rassurés sur le sort de leurs amis ».
Dans Le Pays Roannaisen revanche, on dénonce « beaucoup d’agitation pour un rien ! » Et on prend la défense de M. Bonhomme, « un contrôleur des apports indirects qui porte bien son nom ».
Le texte de l’hebdomadaire local commence ainsi : « Qu’un contrôleur… contrôle n’a vraiment rien d’étonnant. D’ailleurs, qu’il le fasse simplement, correctement, voire gentiment – au point que son précédent contrôle s’est terminé par un café offert, avec même quelques petits fours s’il vous plaît – indique l’ambiance dudit contrôle. »
Le reste du message est sans ambiguïté : « Par des fous – qui devront répondre de leurs propos et de leurs actes devant la justice – ce fonctionnaire a été insulté et agressé. […] Que conclure de tout cela ? Vraiment peu de choses, sauf que sous peine de voir l’anarchie s’établir parmi nous, la Loi doit être respectée par tous. »
Et les deux détenus sont habillés pour l’hiver : « Les deux qui ont été déférés au parquet de Roanne, et qui sont actuellement en prison, suite à ces incidents, ont, un peu tard, tout le temps d’y méditer. Mais que diable faisaient M. Vignal, de Craponne-sur-Arzon, et M. Solle, de Montbrison, dans ce gâchis ! ? »
Finalement, ces deux traders seront libérés le 9 décembre, à 13h20 précisément. “Après trois jours de fièvre et d’incertitude, Roanne se sentait soulagée d’un mal-être qui, s’il persistait, risquait de s’aggraver d’un instant à l’autre”, raconte Progrès.
Le mouvement Poujade s’est formé ici
Qui décrit le déroulement des événements : « Une véritable escorte d’honneur ramène M. Solle à Montbrison en compagnie de son épouse. Heureux d’avoir retrouvé la liberté, il nous disait simplement avant son départ : « C’était pour moi réconfortant que pendant cette épreuve mes amis restaient solidaires les uns des autres. » »
Puis, « à 21 heures, lors de la réunion tenue à la Bourse du Travail, devant un public très nombreux, un comité provisoire du mouvement Poujade s’est constitué ». Ce dernier, niant toute appartenance politique, se présentera aux élections, avec un certain succès*, moins de 13 mois après ces événements de Roanne.
En 1956, Poujade envoie 52 députés à l’Assemblée nationale lors des élections législatives. Outre ses positions antifiscales, il a également développé un discours aux connotations xénophobes.
Le maire de Balbigny et la préfecture de la Loire réagissent
Dans Le Pays Roannais du 10 décembre 1954, le maire de Balbigny et la préfecture réagissent à ces événements. Le premier, M. Pilaud, précise que son intervention sur place le vendredi précédent « visait uniquement à prévenir des incidents regrettables et non une inspection dans laquelle il n’avait pas à intervenir. » Quant aux services de l’Etat, ils précisent que « le gouvernement a récemment mis en place un ensemble de garanties destinées à éviter toute appréhension relative à une fiscalité arbitraire. De tels dispositifs rendent d’autant plus inacceptables les manifestations visant à empêcher des contrôles fiscaux aussi habituels que ceux concernant les commerçants dont les livres n’ont pas été contrôlés depuis plusieurs années. » Par ailleurs, « le préfet de la Loire attire l’attention des personnes qui, ayant cherché ce jour-là (le 2 décembre à Balbigny, NDLR) à éviter une visite du contrôleur à leur domicile, ont délibérément renoncé à toutes les dispositions que la récente action de le gouvernement a justement voulu introduire dans une procédure qui suppose fondamentalement un dialogue entre le contrôleur et la personne contrôlée.
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