Condamnée à mort en 2008 pour le meurtre de sa fille de 2 ans, finalement disculpée grâce à la contre-enquête de la journaliste française Sabrina Van Tassel, Melissa Lucio réagit depuis sa prison du Texas. Une exclusivité de « Télérama ».
Di Emmanuelle Skyvington
Publié le 21 novembre 2024 à 13h02
Mis à jour le 21 novembre 2024, 13h18
MElissa Lucio, une Américaine de 56 ans d’origine mexicaine, se déclare innocente après avoir été condamnée à mort pour le meurtre de sa fille Mariah, 2 ans, retrouvée morte en 2007. Pendant dix-sept ans, elle a vécu derrière les barreaux, soumise à le pire régime : isolement vingt-trois heures par jour, visites de pièces vitrées, pas de contact physique… Grâce au film L’État du Texas c.Melissa, par Sabrina Van Tassel, et la mobilisation internationale, Melissa Lucio a échappé à son exécution, prévue en avril 2022. Dans ce cauchemar sans fin, les événements finissent par s’accélérer, avec un ultime rebondissement : le juge texan qui l’a condamnée l’a déclaré aujourd’hui en 2008. “totalement innocent”. Depuis la prison, Melissa réagit pour la première fois. Exclusivité Télérama.
Acte I : « Melissa est en fait innocente », affirme la justice américaine
Le 14 novembre 2024, les médias américains rapportent la décision du juge texan Arturo Nelson, celui-là même qui a condamné à mort Melissa Lucio en 2008 lors d’un procès raté. Dans ses nouvelles conclusions le juge dit oui “En fait innocent.” Il n’a pas tué sa fille. Il recommande l’annulation de sa condamnation à mort, en soulignant les preuves à décharge fournies par l’accusé, qui n’ont jamais été prises en considération. Deux de ses enfants avaient été témoins de la chute mortelle de la petite Mariah dans l’escalier raide à côté de leur maison. Le juge rappelle également que personne n’a jamais vu cette mère de douze enfants, alors enceinte de jumeaux, commettre un quelconque acte de violence à leur encontre. Puis massacrer Mariah à coups de matraque… Cette hypothèse n’a pas tenu.
Premier à réagir, Abraham Bonowitz, coordinateur de la campagne #FreeMelissaLucio aux Etats-Unis et directeur exécutif de Death Penalty Action, s’est félicité de cette décision exceptionnelle et rarissime : « Quiconque a vu le film de Sabrina Van Tassel, L’État du Texas c.Melissa, en 2022, il sait qu’il n’y a pas eu de meurtre et que la mort de Mariah est un accident. […] Il est tragique que Melissa ait dû attendre tout ce temps et qu’elle se trouve toujours dans le couloir de la mort aujourd’hui. Nous demandons à la Cour d’appel pénale du Texas de confirmer immédiatement les conclusions du juge Nelson afin que Melissa puisse enfin rentrer chez elle. Il ne devrait pas passer une autre nuit en prison. » Si les condamnés à perpétuité parviennent à affirmer leur innocence après des années de lutte (grâce notamment aux analyses ADN), cela n’arrive quasiment jamais pour les condamnés à mort.
Acte II : « C’est au-delà des mots » pour Melissa
Que ressent Melissa depuis le couloir de la mort de Gatesville, au Texas ? Rappelons qu’elle n’a jamais pu voir le documentaire que Sabrina Van Tassel lui a consacré. Qui ne dispose d’aucun moyen de communication en dehors de la cellule, autre que la ligne téléphonique de la prison. Melissa Lucio n’a pu réagir que le 18 novembre. Une déclaration selon laquelle télérama publie exclusivement :
« Cela va au-delà des mots. Il n’y a vraiment aucun mot, aussi éloquent soit-il, qui puisse commencer à exprimer la gratitude que je ressens en ce moment. Je peux dire sans me tromper que je suis toujours sous le choc et impressionné par tout ce qui s’est passé la semaine dernière. Mais cette histoire a commencé bien plus tôt, et je tiens à remercier toutes les personnes qui ont joué un rôle si important, non seulement en faisant éclater la vérité, mais aussi en luttant si durement pour y parvenir.
Tout d’abord, je tiens à remercier Dieu d’avoir orchestré tout cela. C’est grâce à lui que tous ceux qui ont joué un rôle dans ce voyage sont arrivés là où ils sont.
Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai rencontré la journaliste Sabrina Van Tassel. Je n’avais jamais donné d’interview auparavant. Sans vraiment savoir pourquoi je l’avais accepté, je me suis senti guidé vers cela. Dès l’instant où je me suis assis devant elle, j’ai su que j’étais en sécurité. Pour la première fois depuis le début de ce cauchemar, je me sentais écouté. Là où j’hésitais habituellement à m’ouvrir et à partager ce que je ressentais, j’ai découvert qu’avec Sabrina j’avais envie de tout partager. Ce fut un processus difficile mais libérateur qui nous a amené là où nous en sommes aujourd’hui. Sans son dévouement infatigable envers moi et ma cause, je ne pense pas que je serais en vie aujourd’hui. Sabrina a attiré l’attention du monde sur le système qui a balayé des problèmes comme le mien sous le tapis pendant des décennies et s’en est sorti sans problème.
Je tiens à remercier tous ceux qui se sont battus si dur. Pas seulement pour moi, mais surtout pour la mémoire de Mariah.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé. Innocence Project, qui a travaillé aux côtés de mes avocats, Jason Flom [qui a créé un podcast consacré aux « condamnés à tort », ndlr]à toute l’équipe de Death Penalty Action et à Abraham Bonowitz pour leur soutien opportun dans ce combat. Chacun de vous a joué un rôle crucial dans cette lutte pour la justice. Nous sommes tous une famille maintenant et le serons toujours.
Je sais que le monde considère cette victoire comme ma liberté. Mais pour moi, c’est une victoire pour la vérité. Les mots ne suffiront jamais. Je vous le dis encore une fois : Merci à tous, de tout mon cœur. »
Melissa Lucio, saluant le rôle de Sabrina Van Tassel, rappelle l’impact d’une œuvre (documentaire, reportage, série, fiction, etc.) dans la recherche de la vérité. Le journaliste a rencontré Melissa lors d’un reportage sur les femmes condamnées à mort pour Enquête exclusive, sur M6 (la vidéo est visible sur YouTube). Lors de la rencontre avec Melissa Lucio, derrière la vitre de sa prison, il se souvient d’elle « croyance intime » : cette femme n’aurait pas pu tuer sa fille. « Ce sentiment profond m’a poussé à approfondir mes recherches et finalement à réaliser un documentaire, L’État du Texas c.Melissa, qui a présenté des preuves qui ont maintenant été confirmées par le juge qui l’avait initialement condamnée à exécution. Notre voyage ensemble a transformé nos vies pour toujours. Melissa m’a fait confiance et j’ai mis le mien en elle », a déclaré le réalisateur franco-américain.
Acte III : une sortie… mais pas avant des semaines
Melissa Lucio sera libérée du couloir de la mort. Cela est désormais possible puisque sa condamnation à mort peut être annulée. Une cagnotte en ligne a été ouverte “aider Melissa à rentrer chez elle, en attendant que l’Etat du Texas calcule une compensation financière” et le dédommage de toutes ces années d’enfer. Mais en décembre, il n’y aura pas de sortie : Melissa ne passera pas Thanksgiving ni les vacances de fin d’année avec sa famille. Devant les portes de l’unité Mount View de la prison A Gatesville, ça s’ouvre, les différentes démarches juridiques qui permettront sa libération effective pourraient prendre encore trois à quatre mois. Et ce malgré la forte pression de l’opinion publique américaine.
En 2025, Melissa rentrera enfin chez elle auprès de ses enfants et petits-enfants. « Cette possibilité dépasse toutes mes attentes et je prie pour le jour où nous pourrons enfin nous embrasser. » conclut Sabrina Van Tassel.