A peine remis de (DJ) Francis. Un café. Il fait gris, encore quelques heures, à Arras. La matinée à peine commencée que l’on plonge dans la noirceur du monde, avec un aperçu attendu.
- Fabrice du Welz – « Le dossier Maldoror » (avant-première)
Charleroi, années 90. Les jeunes filles disparaissent. Aucune trace, aucune trace. Et les policiers qui agissent en jouant sur l’étanchéité entre les services. L’affaire s’enlise. Paul Chartier, jeune gendarme idéaliste à l’enfance trouble, devient peu à peu obsédé par l’affaire et rejoint l’opération Maldoror, chargée de surveiller le principal suspect.
D’emblée, le nouveau film de Farbice du Welz intrigue : par sa durée (près de 2 heures 40 minutes) et par son sujet. Celui du mal absolu, traumatisme de tout un pays. L’affaire Dutroux, dont du Welz, loin de simplement « s’inspirer », ressasse des images traumatisantes dans l’atmosphère poisseuse qui est sa marque de fabrique.
Et il faut dire que, au-delà de ses influences plus ou moins envahissantes et plus ou moins bien digérées (le mariage qui rappelle Le Parrain ou Le Chasseur de cerfs, l’obsession façon Zodiac, Massacre à la tronçonneuse, etc.), le film impressionne.
Par l’interprétation intense, extrêmement juste et tendue de l’incroyable Anthony Bajon (certainement l’un des plus grands de sa génération), par son univers bouleversant et sombre, celui de Charleroi et sa banlieue, filmé comme une ligne indépassable et une cage grise et plate , comme si le mal venait s’incarner dans le silence de ce coin délabré de Belgique, comme si dans cette région déjà dévastée, déjà en décadence, « inévitablement » un monstre pouvait naître.
Mais très vite, le projet trahit son horizon initial. En traits disparates et pardonnables, puis plus franchement, il alourdit son scénario et ses personnages de pitreries inutiles et archétypales, tout droit sorties d’un bestiaire de série B : le supérieur hiérarchique avec la cicatrice et le cache-œil, les explosions de poubelles, les explosions de Jacky Berroyer. perruque, la madame mère d’un bordel dans les années 30, les fusées blanches de la mère souffrante (Isabelle Dalle, semblable à elle), les effractions tonalité cinématographique, tentations hollywoodiennes (avec les tueurs aux armes automatiques) ou d’horreur (la scène du cochon, la maison de l’horreur à la Tobe Hooper ou la tendance beatnik dégénérée de Charles Manson), etc.
Cette tentation du grotesque et du gloubiboulga s’incarne dans ce qu’elle a de plus terrible dans le personnage de Dedieu/Dutroux, interprété par un Sergi Lopez (pourtant superbe acteur) qui ressemble à un sale gitan qui rote et trimballe sa violence et son faux sourire. … dans un chant catalan décalé qui finit par le rendre comique (« Tu aimes sucer des calipots ? »). Ce personnage est le reflet de tout le film. Inutilement alourdi, amorcé plutôt qu’inquiétant. Que reste-t-il du monstre sous le capot ?
Ces monstruosités filmiques, mêlant doucement des tentations contraires entre le film de genre et la chronique, finissent par créer un profond malaise sur l’ensemble du projet. Pourquoi « faire semblant » de reconstituer l’affaire Dutroux, en jouant sur les analogies de lieux, d’âge des victimes, de déroulement, d’images traumatisantes (reconstitution incroyable et inquiétante de la terrible cachette de la cave derrière le casier à bouteilles, une ferme aux allures de maison de Sars ), pour ensuite les contaminer avec cette parade grotesque ? Quelle éthique en la matière ?
Pire : une fois passée l’arrestation de Dedieu/Dutroux, le film bascule dans un acte final façon Western/Vengeance totalement hors de propos et hors de la réalité qui finit par poser un problème moral, tant la question de la justice individuelle dont ce qu’il dévoile se pare avec une réflexion approfondie sur un état pédophile profond de « tout pourri ».
Échec et mal-être d’autant plus dommageables que, quand il se débarrasse de ses coups de malin, quand il joue enfin son rôle dans un mineur, il suffit d’un plan d’un canal, d’un quai de gare, d’un haut fourneau dans l’ombre. ou un regard de Bajon pour que Maldoror parvienne à enregistrer et incarner avec une justesse glaçante les mécaniques d’une obsession, de l’horreur et à les faire revivre pour mieux panser les blessures d’une génération. Joue cool, Fabrice.
- Goran Paskaljević – « L’Amérique des autres » (Rétrospective et invité d’honneur : Miki Manoljovic)
Et après la pluie le beau temps : l’année 2024 est aussi l’occasion d’un généreux hommage (masterclass, programmation transdisciplinaire) à celui qui symbolise le mieux le cinéma de l’ex-Yougoslavie en Occident, le très grand Miki Manojlović, acteur fétiche. de Kusturica et bien d’autres.
Jugez par vous-même : « Papa est en voyage d’affaires », « Underground », « Chat noir, chat blanc », « Promets-moi », « Sur la route lactée », mais aussi « Tito et moi », « Irina Palm », sans oublier les apparitions à Ozon (« Criminal Lovers »), Danis Tanovic (« L’enfer »), Beinex (« Mortel transfer »), etc.
Et donc Goran Paskaljević. Le frère de cœur de Kusturica, le camarade de classe avec qui il a étudié à la FAMU de Prague. Mais qui, on le verra, a troqué le baroque flamboyant pour une œuvre bien plus discrète, d’une subtilité empreinte d’une infinie tendresse.
Sur un scénario de Gordan Mihić (« Chat noir, chat blanc », « Le temps des gitans », eh bien, ou « Balkan express »), voici Alonso (Tom Conti) et Bayo (Miki Manoljović), deux émigrés courir en boitant vers le rêve américain. Exilé autant de son pays que de New York, qu’ils observent depuis les rivages et les rêves de Long Island, Miki survit tant bien que mal en effectuant des travaux manuels, en logeant dans une salle miteuse du bar/restaurant que dirige Alonso et sur lequel veille en silence sur une mère aveugle (Maria Casares, dont le dernier rôle est).
La vie s’écoule, dans une sorte de joie malgré les difficultés. Nous faisons ce que nous pouvons, dans l’entraide et l’amitié, observant du coin de l’œil une belle jeune Iranienne, se faisant soigner par la communauté chinoise dont les fenêtres donnent sur le bar.
Cependant, deux mouvements contraires se produisent qui vont tout chambouler : la mère d’Alonso veut retourner en Espagne pour mourir. Et la famille de Miki, sans le prévenir, décide de le rejoindre car là-bas, au cœur de l’ex-Yougoslavie, sa plus jeune fille se meurt de ne pas avoir vu son père.
D’embûches en deuil, Alonso et Bayo parviendront-ils à garder leur politesse du désespoir, ce rire qui guérit tout ? Le rêve peut-il continuer à répondre au drame ?
C’est une petite pépite miraculeuse à laquelle nous convie le festival en cette journée grise, une bulle lumineuse éclairée par le beau travail de Giorgos Arvantis (le directeur de la photographie attitré d’Angelopoulos, désolé) à laquelle la copie fraîchement restaurée que l’on voit en exclusivité à Arras rend superbement hommage. hommage. Une farandole douce-amère colorée parfaitement adaptée au thème d’Andrew Dickson (qui travaille régulièrement avec Mike Leigh), une fabuleuse envolée de hautbois qui répond aux mouvements infatigables des deux déplacés.
On pourrait alors s’étendre longuement sur la beauté du duo avec l’humour tragique et physique de Bayo/Alonso et glorifier la qualité d’interprétation de Conti et Miki, dont le corps, les mimiques et les mouvements en disent autant que les mots, dans une œuvre quelque part entre le cinéma burlesque et l’univers du cirque dont les démarches et les absurdités rappellent les glorieux vagabonds, de Chaplin aux perdus de Beckett (Vladimir et Estragon, ou le personnage de la mère dont les lunettes rappellent de ceux de Hamm en fin de partie).
On pourrait aussi saluer cette qualité de ton, cette façon très slave de réagir au drame avec de la débrouillardise et du rire ou de la fantaisie (élevage de coqs), tout en laissant respirer la beauté, quitte à la teinter de drame (la scène). du puits, notamment) avec une mise en scène qui, comme les personnages, est écrite avec légèreté, « comme au passage ». Ce plan simple le démontre : lors d’un enterrement (réalisé tout de même dans un pick-up avec une vache gigantesque), la caméra fait un panoramique. Elle dévoile, l’espace de quelques secondes seulement, en haut du cadre, les tours de Manhattan. Et au-dessus, séparés par une ligne presque parfaite, des centaines de tombeaux. Celui de ceux qui ont tout quitté pour rêver de l’Amérique et se permettre ces trucs et dont le film prend le parti.
Ces touches discrètes et impressionnistes résument ce joli projet aussi funambule que ses héros, cherchant dans chaque séquence un équilibre entre le burlesque et ce qu’il recouvre.
Car « L’Amérique des autres » cache bien des larmes : des regrets, un enfant disparu, une histoire qui s’en va, un amour impossible, un avenir trahi et cette mélancolie qui ne quitte jamais ceux qui ont tout laissé derrière eux. Il en parle avec une tendresse folle, d’autant plus d’actualité aujourd’hui, sans pathos inutile, sans horizon social rabougri soutenu.
Certes, le film n’est pas parfait, et il souffre de quelques longueurs, notamment lors de son exil sur une autre frontière (disons plus) et des conséquences douloureuses de son retour sur son héros, et il flirte parfois avec le bon ressenti. Mais ce « bien » est aussi sa force, et Goran Paskaljević, lui aussi, en joue et nous le dénonce constamment. Bien sûr, tout est faux, bien sûr tout est décoration, dit-il, comme le puits ou la chèvre qu’on rapporte comme un artefact. Bien sûr, tout le monde est désaccordé et déplacé, qui pourrait se trouver dans cette sale cour. Mais cette pause est justement le cœur du film.
C’est l’histoire de personnes qui ne trouvent pas leur place, dans leur pays, dans leur famille, dans leur paternité. C’est l’histoire de gens qui courent après des fantômes et des regrets. Mais qui vivent aussi longtemps qu’ils peuvent rêver. C’est le genre de film humble et rassurant qu’on rêve de transmettre à ceux qu’on aime, et qu’on aimerait faire découvrir à tout le monde (pourquoi pas encore sur grand écran ?). Quel petit bijou discret.
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