comme Bordeaux a dit oui à Coluche, avant Paris

Nous sommes au milieu des années 80, la pauvreté et le chômage sont revenus en . Les gens n’ont plus à manger à leur faim et, dans toute l’Europe, les surplus alimentaires sont stockés ou détruits au lieu d’être distribués.

En septembre 1985, dans l’émission quotidienne animée sur Europe 1, Coluche est lancé « une petite idée de sa part : créer une cantine gratuite qui fonctionne grâce aux dons, et récupérer les surplus alimentaires, au lieu de les détruire. « Nous sommes au pays de la nourriture. C’est véritablement le pays de la gastronomie. Ce n’est pas ici que les gens vont mourir de faim », estime l’humoriste.

Le « cœur à cœur » Chaban-Coluche

L’idée des Restos du coeur était née (à l’époque on disait et écrivait « Restaurants du coeur »). Encore faut-il les ouvrir. Coluche part en tournée. Le samedi 25 novembre, il était à Bordeaux pour rencontrer et convaincre l’ancien maire Chaban-Delmas. Ce ne sera pas difficile.

A Mériadeck, au coeur de la ville

« Bordeaux aura son Restaurant du cœur », titrait le lendemain « Sud Ouest ». L’humoriste et l’élu se sont mis d’accord pour concrétiser cette idée sur laquelle Paris (dont le maire est un certain Jacques Chirac, rival historique de Chaban) hésite encore.

« Le futur Restaurant au cœur de ville sera bientôt implanté à Mériadeck, en cœur de ville », explique le journal. C’est ici que Coluche a rencontré Chaban, en fin de matinée, au 30 rue Claude-Bonnier (550 places possibles, soit un gigantesque centre de stockage alimentaire à redistribuer). “Et les deux anciens candidats à la présidence de la République étaient parfaitement d’accord sur cette idée généreuse, qui satisfera les pauvres tout en évitant le gaspillage des riches”. Les étudiants de Sup de Co apporteront leur soutien, en assurant sa gestion, les organismes existants.


Coluche à Bordeaux pour l’opération Restos du coeur, le 25 novembre 1985. A ses côtés, Jacques Chaban Delmas.

Michel André / Archives Sud-Ouest

La petite touche de Micheline

“Ce garçon est un bon garçon”

Micheline, l’épouse de Chaban décédée le 15 novembre 2024, n’est pas étrangère au succès de l’affaire. « C’est elle qui a permis à mon association d’accéder à la Fondation de France », s’enthousiasme la chanteuse. « Coluche nous offre sa popularité, profitons-en, d’autant qu’il le fait sans arrière-pensées ni visions carriéristes », estime Chaban. “Ce type est un type bien”, rétorque l’humoriste, reconnaissant que le maire de Bordeaux se démarque des hommes politiques traditionnels.

« Il n’y a aucune honte à être riche. S’il y a aujourd’hui de plus en plus de pauvres en France, c’est aux riches de les aider. »

Bien en chair, Coluche n’a jamais caché son amour de la bonne chère. Il profite de son séjour bordelais pour prendre deux repas gastronomiques, l’un le midi avec Chaban et Madame, chez Jean-Marie Amat à Bouliac, le deuxième le soir chez quelques amis, place du Parlement, chez “Philippe”, le poissonnier. spécialiste et des fruits de mer bordelais. “Mais il n’y a pas de honte à être riche”, a-t-il commenté, ajoutant que s’il y a de plus en plus de pauvres en France, c’est bien que les riches les aident. »

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Pontet-Canet e Giresse

La tournée de Coluche a également touché le public de la rue Sainte-Catherine, du Marché des Capucins et du Salon auto-moto, avant de se terminer au Numéro Cinq, piano-bar sélectionné et fréquenté par tous les Bordelais. Le lendemain, un dimanche, il se dirige vers le Médoc, où il passe plusieurs heures au château de Pontet-Canet. En dessert les propriétaires lui ont offert un millésime 1944, sa date de naissance. Attention délicate.

« Ils m’ont donné de l’argent partout. Même le footballeur, comment l’appelles-tu ? Ah oui, Giresse ! Il m’a aussi promis qu’il tenterait d’organiser – en dehors du championnat – un match entre les Girondins et le PSG. Bon garçon ! »

Mais surtout, Coluche a recueilli plusieurs enseignements importants lors de son séjour en Gironde. “Un peu plus de cent mille francs” a compté l’un des étudiants de Sup de Co qui va désormais gérer l’opération. “Ils m’ont donné de l’argent partout”, a ajouté l’humoriste. Même le footballeur, comment l’appelles-tu ? Ah oui, Giresse ! Il m’a aussi promis qu’il tenterait d’organiser – en dehors du championnat – un match entre les Girondins et le PSG. Bon garçon ! »

Plus de 300 paniers-repas à Bordeaux

Le samedi 21 décembre 1985, les premiers « Restos du cœur » ouvrent leurs portes dans 18 villes de France, dont Bordeaux. Pour l’occasion, leur fondateur s’est rendu personnellement à Gennevilliers, (Hauts-de-Seine), sous la tente dressée par des bénévoles, où a été lancée la 40e campagne de distribution, mardi 19 novembre 2024. Dans le duplex de midi du JT d’Antenne 2, Coluche explique que la mobilisation doit permettre à l’association de distribuer entre 34 000 et 37 000 repas par jour en France. Elle espère augmenter progressivement ce chiffre jusqu’à 60 000 repas, pour atteindre son objectif de 200 000.


Première distribution le samedi 21 décembre 1985. Désormais, il y en aura une tous les jours (week-end compris) de 17h30 à 19h00.

Guy Théry / Archivio “Sud-Ouest”.

A Bordeaux, « Sud Ouest » nous l’affirmait le lendemain, le succès fut total. Cette première distribution a eu lieu rue Claude-Bonnier, de 17h30 à 19h, avec toute l’équipe de Sup de Co Bordeaux, qui, on le sait, s’est chargée de gérer l’affaire. Au menu du repas complet, emporté dans une pochette discrète et préparé par une diététicienne, « un choix entre bœuf bourguignonne, choucroute ou cassoulet, accompagné de salade, fenouil ou carottes, suivi d’un yaourt ou fromage au sirop, fruits au sirop, le tout » accompagné d’un quart de pain”. Qui est venu manger rue Claude-Bonnier ? Selon le journaliste présent, “il s’agit principalement de chômeurs relativement jeunes, d’immigrés, d’adolescents (peut-être d’étudiants ?) mais aussi de personnes marginalisées attirées par le principe de libre accès sans être étiquetées ni enregistrées”.


Michel Colucci, alias Coluche, est décédé le 19 juin 1986 dans un accident de moto sur la Côte d’Azur, sept mois après avoir créé les Restos du cœur.

Archives AFP

Enfin, en 1985, les Restos du cœur distribuent 850 000 repas. Coluche imaginait-il l’ampleur que prendrait l’insécurité alimentaire, dans une société où la pauvreté ne cesse de croître, et l’importance de son association, quatre décennies plus tard ? Ce que savait – et disait – l’humoriste décédé dans un accident de moto en 1986, c’est que sa capacité de distribution, initialement de 5 millions de repas par hiver, était destinée à augmenter : “10 millions, 20 millions…”. Elle en a distribué 163 millions en 2023.

 
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