Sur la place centrale de Clermont-Ferrand, des pics en forme de vagues ornent les rebords des fenêtres d’un bar. Dans le centre-ville de Marseille, des dizaines de bacs à cactus fleuris ont été déposés sous le porche d’une résidence hôtelière. Ces mesures ont un objectif commun : empêcher, volontairement ou non, les personnes à la rue de se reposer ou de s’abriter. Surtout, ils sont tous nominés aux Pics d’Or, une cérémonie satirique organisée par la Fondation Abbé-Pierre lundi 18 novembre, qui « récompense » les pires mesures anti-SDF.
Les mesures sont classées en plusieurs catégories : « Sortez de là ! » au prix du décret anti-précaire, « Sang scrupules » pour le dispositif le plus décomplexé ou encore « L’imposteur » pour le plus contradictoire. Pour la troisième édition, le public est invité à participer afin d’élire le pire dispositif anti-sans-abri toutes catégories confondues. Sur scène, les récompenses sont remises par des comédiens comme Guillaume Meurice ou Blanche Gardin. « On a deux manières d’aborder les choses : soit on en pleure, soit on en rit. » » raconte Christian Page, ancien SDF et membre du jury.
« Des centaines » d’appareils en France
De l’humour pour dénoncer l’absurdité : tel est le parti pris des organisateurs, qui s’inquiètent de l’évolution du nombre de mesures prises contre les sans-abri. “On a l’impression que ces appareils se sont multipliés ces dix dernières années, notes Manuel Domergue, director of studies at the Abbé-Pierre Foundation. Cette augmentation des mesures s’explique aussi par l’évolution du nombre de personnes sans abri en France. » Selon l’Insee, ils étaient plus de 140 000 en 2012 contre 330 000 en 2023, selon les chiffres actualisés par la Fondation Abbé-Pierre.
L’augmentation du nombre de dispositifs a poussé la Fondation à inventorier les dispositifs anti-sans-abri partout en France. Sur une carte publiée sur son site Internet, elle en recense plusieurs dizaines, dont la majorité en France métropolitaine : clôtures, bancs séparés par des accoudoirs, rampes… Des meubles anti-sans-abris tous azimuts que Christian Page côtoie depuis longtemps. .
« En réalité, il y en a des centaines en Francespecifies Manuel Domergue. L’objectif de la cérémonie est aussi d’ouvrir les yeux des citoyens pour leur faire comprendre qu’on les retrouve à chaque coin de rue. » D’autant que les mesures anti-sans-abri sont de plus en plus imperceptibles. Rochers, pots de fleurs vides, bancs inclinés ou encore retirés des espaces publics, une mesure très efficace selon Manuel Domergue.
Suppression d’installations anti-SDF
« Si une personne sans abri dort devant chez vous, vous appelez le 115, la mairie, pour trouver une solution. Mais non, on met des pioches à la placedéplore Christian Page. Ce n’est pas la bonne façon d’aborder le problème. » Au-delà du mobilier urbain, la cérémonie des Pics d’Or dénonce des mesures politiques. Des ordonnances anti-mendicité ont été émises à Paris et à Calais et les distributions de nourriture ont été interdites dans la capitale en octobre dernier. Un ensemble de dispositifs qui contribuent à rendre les sans-abri invisibles.
Depuis la première cérémonie des Golden Peaks en 2019, il est difficile de constater des améliorations majeures. Mais la visibilité des actions de la Fondation a permis quelques avancées. La veille des vacances d’hiver, des lames crantées et des pics acérés ont été installés à l’entrée d’un immeuble du 19e arrondissement de Paris après l’expulsion d’une vingtaine de personnes. Une situation “dangereux”juge Manuel Domergue. Après l’avoir dénoncé sur les réseaux sociaux, Christian Page et la Fondation Abbé-Pierre se réjouissent de la suppression de l’installation anti-SDF à la demande de la mairie.