Mille jours. C’est le temps qui s’est écoulé entre le début de l’offensive russe en Ukraine, le 24 février 2022, et ce mardi 19 novembre 2024. Dix jours après le début de l’offensive du Kremlin, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU crée une commission indépendante pour enquêter sur l’Ukraine. Son rôle ? Identifier les violations potentielles des droits de l’homme et les crimes connexes commis dans ce contexte de guerre.
Aujourd’hui, près de trois ans après l’invasion russe, les conclusions de la commission sont alarmantes. Dans son dernier rapport publié le 25 octobre 2024, outre de nombreux exactions, elle recense la mort d’au moins 11 743 civils. Pour établir ce bilan, trois commissaires bénévoles ont travaillé sans relâche : Erik Mose, Pablo de Greiff et Vrinda Grover. Cette dernière est une avocate indienne, membre de la Cour suprême, reconnue pour son engagement contre les violences sexuelles. Ensemble, ils coordonnent un secrétariat basé à Vienne, en Autriche, qui mène des enquêtes pour identifier et alerter sur diverses violations des droits de l’homme. Les membres du secrétariat se sont rendus à plusieurs reprises en Ukraine pour rencontrer des témoins et des victimes. « Depuis 2022, nous avons interrogé plus de 800 personnes »souligne l’avocate Vrinda Grover.
« La présence de violences sexuelles dans 41 centres de détention »
Dans le même temps, les informations sont recoupées avec les données des institutions judiciaires locales et internationales. Tous les éléments pouvant être collectés via Internet sont également répertoriés. “C’est un conflit où il y a une pléthore d’informations, la difficulté est de s’assurer de leur véracité»explique Joël Mermet, coordinateur des enquêtes au secrétariat de la commission.
Leurs enquêtes ont démontré un recours systémique à la torture par les autorités russes. Ces tortures sont commises dans toutes les provinces d’Ukraine qui sont ou ont été sous le contrôle du Kremlin. Des atrocités qui prennent plusieurs formes, dont les violences sexuelles contre les femmes, les hommes et les enfants. « Des preuves de l’utilisation de ces abus dans le traitement des prisonniers de guerre, en particulier contre les hommes, sont ressorties de nos recherches »relate le coordonnateur, avant d’ajouter avoir observé « la présence de violences sexuelles dans 41 centres de détention ».
Dans ces centres de détention, les hommes – majoritaires des détenus – se retrouvent les principales victimes de ces atrocités. Leurs témoignages enregistrés par la commission sont extrêmement violents. La victime dit avoir été battue par un soldat russe qui lui criait dessus : « Nazis ! A quel point aimes-tu quand je te frappe dans les couilles ? Je te fais ça parce que tu as castré nos garçons ! Tu devrais être reconnaissant que tout ce que je fais, c’est te donner un coup de pied dans les couilles. Vous avez osé attaquer la Russie ! Au-delà des attaques directes sur les parties génitales, la commission révèle que les troupes russes ont recours au viol, aux tentatives de viol, à la castration et même aux attaques électriques à la sortie des douches pour torturer les prisonniers ukrainiens.
Pour Vrinda Grover, le recours à ces atrocités constitue “un crime de guerre” et est fait pour humilier, intimider mais surtout pour soutirer des informations. Cette violence a des conséquences psychologiques importantes : « Traumatismes, anxiété, pertes de mémoire, difficultés d’intégration dans la société et de reconnexion avec leur famille à la sortie de la détention. » Joël Mermet enquête depuis une trentaine d’années sur les zones de guerre. Il sait qu’il est courant que la violence sexuelle soit utilisée comme moyen de torture contre des civils. « Mais si je compare avec les conflits sur lesquels j’ai travaillé, je n’ai jamais été témoin d’une telle ampleur. La violence sexuelle est un élément caractéristique de ce conflit.
La question des enfants déportés vers la Russie
La commission alerte inlassablement les organisations internationales et régionales. “Il y a des choses prises en compte, on s’en rend compte, mais est-ce grâce à notre travail ?” demande Joël Mermet. Une question qui reste sans réponse alors que de nombreux acteurs travaillent sur le terrain et repèrent des dérives. « Par exemple, très récemment, sur la question des enfants déportés vers la Russie, la commission avait recommandé que la liste qui existe et qui les identifie soit consolidée, et cela a été fait. L’Ukraine en a pris le relais et a certifié les noms répertoriés. Mais est-ce grâce à nous, ou à d’autres acteurs plus impactants ? C’est difficile à dire.
Sur la question des violences sexuelles, les acteurs internationaux sont un peu impuissants. “Les victimes parlent d’un besoin de justice et c’est un droit essentiel, rappelez Vrinda Grover. Ceux qui ont perpétré ces violences devraient être tenus pour responsables et punis. Les preuves, notamment les vidéos, mettent en évidence cette violence et nous avons écrit à la Fédération de Russie à ce sujet, mais rien n’a été fait et nous n’avons reçu aucune réponse. La Russie, qui ne reconnaît toujours pas la commission, ne facilite pas les enquêtes et lui interdit toujours l’accès à certaines zones de son territoire.