Un coup de téléphone très symbolique. Le chancelier allemand Olaf Scholz et son homologue russe Vladimir Poutine ont eu un entretien téléphonique vendredi 15 novembre. Deux années se sont écoulées depuis la coupure de la ligne entre Berlin et Moscou. Le dirigeant allemand a demandé au président russe de retirer ses troupes d’Ukraine et de négocier avec Kiev. Vladimir Poutine a répondu qu’un accord de paix devrait tenir compte des « nouvelles réalités territoriales ».
Cet échange a provoqué la colère de l’Ukraine, qui le considérait ainsi « une tentative de pacification » vers Moscou. « Les pourparlers avec le dictateur russe à eux seuls n’apportent pas de valeur ajoutée à la réalisation d’une paix juste »a réagi le porte-parole de la diplomatie ukrainienne Georgii Tykhy. Au lieu de cela, les partisans de Kiev « des actions concrètes et fortes » forcer la Russie à faire la paix. Pourquoi cet entretien téléphonique irrite-t-il, voire inquiète-t-il l’Ukraine ? Franceinfo fait le point sur les raisons du désaccord.
Pourquoi Volodymyr Zelenskyj s’inquiète du déclin de l’aide occidentale
Cet entretien téléphonique intervient au moment où l’Ukraine craint que l’aide occidentale, et notamment américaine, soit coupée. Donald Trump, nouveau dirigeant des États-Unis, n’a cessé de critiquer le soutien militaire et financier apporté à l’Ukraine par Joe Biden, et son vice-président, JD Vance, s’y montre également hostile.
C’est l’ouverture du dialogue avec Vladimir Poutine « fait craindre à Volodymyr Zelenskyj que la politique allemande ne suive la position de Donald Trump telle que nous l’imaginons »c’est-à-dire une réduction de l’aide militaire à Kiev, argumente Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russe et professeur à l’université de Montpellier. Surtout depuis « L’Ukraine considère l’Allemagne comme un leader en Europe »ajoute-t-il. Berlin est le plus grand fournisseur européen d’aide financière à l’Ukraine, selon les données de l’Institut de Kiel.
Olaf Scholz suit également un agenda politique, alors que sa coalition gouvernementale s’est effondrée, conduisant le pays à des élections anticipées le 23 février. Or, « L’Allemagne est divisée sur l’aide à l’Ukraine »explique Carole Grimaud, qui en fait un enjeu de pays.
Parce qu’il craint que les dirigeants occidentaux n’ouvrent à leur tour le dialogue
Olaf Scholz, s’adressant au chef du Kremlin, a rompu avec la ligne jusqu’ici soutenue par les dirigeants occidentaux, qui refusent depuis plus de deux ans de s’asseoir à la table de Vladimir Poutine. Volodymyr Zelenskyj craint que cet appel n’ait lieu“ouvre la boîte de Pandore”. « Il est possible qu’il y ait désormais d’autres conversations et appels téléphoniques. Et c’est exactement ça [Vladimir] Poutine cherche depuis longtemps»a critiqué le président ukrainien dans une vidéo publiée vendredi sur X et Telegram.
“Il est essentiel qu’il rompe son isolement, ainsi que celui de la Russie.”
Volodymyr Zelenskijdans une vidéo publiée sur X et Telegram
« Cet appel ne peut que confirmer la condamnation de [Vladimir] Poutine que l’Allemagne et d’autres pays européens rêvent de reprendre « le statu quo » à la première occasion, y compris en achetant du gaz à bas prix. »analyse Tatiana Kastouéva Jean, directrice du centre Russie Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), avec le Monde. “Ce comportement du plus grand pays européen ne l’incitera pas à assouplir ses positions.” D’autant plus que, selon le Kremlin, l’appel téléphonique a eu lieu “à l’initiative de la partie allemande”.
Les dirigeants occidentaux n’ont pas indiqué qu’ils suivraient les traces de leurs homologues allemands. Et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a tenu à rassurer dans un message publié sur X : “J’ai été heureux d’apprendre que la chancelière a non seulement condamné sans équivoque l’agression russe, mais a également réitéré la position polonaise : rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine.”
Ma per Carole Grimaud, « Si la position européenne veut rester ferme et continuer à soutenir l’Ukraine, on se rend compte qu’après presque trois ans de guerre, l’Europe a du mal à continuer à apporter une aide militaire ». En outre, “Si davantage d’acteurs internationaux s’orientent vers une forme de négociation, il vaut mieux être parmi les Etats qui participeront (…) plutôt que de les observer de l’extérieur”, Juge Florent Parmentier, secrétaire général du centre de recherches politiques Sciences Po, sur France 2.
Parce que l’Ukraine n’est pas en bonne position pour négocier
En dialogue avec Vladimir Poutine, Olaf Scholz renforce sa position sur la voie diplomatique. La chancelière allemande a demandé à la Russie de le montrer « volonté d’entamer des négociations avec l’Ukraine en vue d’une paix juste et durable »selon le gouvernement allemand. Cependant, l’Ukraine n’est pas en bonne position pour d’éventuelles négociations.
« Kiev n’a pas réussi sa contre-offensive l’année dernière. Aujourd’hui, elle est dans une position très fragile, car il y a moins d’hommes, moins de matériel… »
Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russesur franceinfo
Si Volodymyr Zelenskyj disait vouloir que la guerre dans son pays prenne fin d’ici 2025 « moyens diplomatiques »il a insisté là-dessus aussi“en position de faiblesse, il n’y a rien à faire dans ces négociations”dans une interview accordée au média ukrainien Suspilne, diffusée samedi. Interrogé sur les conditions nécessaires à l’ouverture des négociations, le dirigeant a estimé que cela ne serait possible que si «L’Ukraine n’était pas seule avec la Russie.»dans un appel à ses partenaires occidentaux, et notamment à Donald Trump. Sans jamais préciser son projet, le Républicain a répété à plusieurs reprises qu’il parviendrait à mettre un terme à l’invasion russe. « en moins de 24 heures ».
La Russie est ouverte aux négociations, mais avec « concessions » par Kiev, y compris la cession des territoires ukrainiens annexés à Moscou en 2022. Volodymyr Zelenskyj s’y oppose et compte sur son occupation d’une partie de la région russe de Koursk pour peser à la table des négociations. Mais selon plusieurs observateurs, le Kremlin intensifie ses réponses face aux forces ukrainiennes. «Évacuer les Ukrainiens du territoire russe leur ferait perdre un avantage considérable au moment des négociations»crede Carole Grimaud.