L’augmentation des accises sur le tabac annoncée pour 2025 ne peut satisfaire la Fondation contre le cancer, qui met l’accent sur la prévention, la réduction de l’accessibilité et la régulation de la publicité.
Fidèlement lié à l’industrie du tabac, la première de son histoire avant celle de l’acier, le Luxembourg continue d’être le supermarché des fumeurs frontaliers. Début novembre, le journal néerlandais Le télégraphe a raconté le succès grandissant du « Pafbus » qui, deux fois par mois, amène des particuliers à la frontière luxembourgeoise pour acheter du tabac, porté par l’augmentation des accises et un forfait à 11 euros. La preuve que la hausse des prix n’est pas une solution miracle contre le tabagisme, car la dépendance et la motivation des consommateurs à fumer à moindre coût prennent le dessus. Mais c’est justement ce levier que le gouvernement veut actionner.
Le 9 octobre, Gilles Roth, ministre des Finances, a annoncé une augmentation de 5,5% des accises sur les cigarettes et le tabac à fumer à partir de 2025. « Dans l’intérêt de la santé publique, le but des autorités est d’exploiter la hausse des prix. les forfaits les plus accessibles pour décourager notamment les jeunes d’acheter tout en générant des revenus», explique la commission des Finances. Pour Lex Schaul, professionnel de santé publique à la Fondation contre le cancer, cette augmentation “est un pas dans la bonne direction, mais elle reste encore insuffisante pour parvenir à une réelle réduction de la consommation”.
10% par an, un vœu pieux ?
De 5,20 à 5,50 euros le paquet en janvier prochain, la hausse devrait faire augmenter les recettes de l’Etat (lire à côté) mais cela n’a pas bouleversé les plans de la Fondation Cancer, qui demande une augmentation annuelle d’au moins 10% à partir de 2024. Le sentiment de culpabilité d’avoir vendu à un prix aussi bas est toujours présent, chez les Luxembourgeois mais pas seulement. “Nous avons une responsabilité envers les pays voisins, car cela favorise toujours les achats transfrontaliers.” En tout cas “il ne suffit pas de travailler sur le prix et de négliger ensuite d’autres éléments”, précise Lex Schaul.
La Fondation Cancer soutient une démarche globale qui se traduit par sa stratégie « Génération sans tabac » lancée en mars 2023. Son objectif : permettre à une première génération de vivre dans un environnement sans tabac d’ici 2040. Pour atteindre cet objectif, la prévention C’est la clé car « ce qui compte le plus, ce sont les jeunes », insiste Margot Heirendt, directrice de la Fondation contre le cancer. Surtout parce que la consommation des jeunes Luxembourgeois augmente dangereusement (lire à côté).
Dès lors, l’accessibilité du tabac sous toutes ses formes (cigarette électronique, bouffée, snus ou chicha), doit être encadrée de toute urgence selon les professionnels de santé, au même titre que la publicité indirecte, « aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les séries. Tout en sachant que « le tabagisme passif est aussi nocif que le tabagisme actif », le service public travaille également sur le projet « Communautés sans tabac ».
« Nous manquons de ressources »
Cependant, la faute n’en revient pas aux fumeurs, car la stratégie inclut également la volonté d’apporter le meilleur soutien possible à ceux qui souhaitent arrêter de fumer. Sur ce point, la Fondation Cancer, qui propose un suivi gratuit, déplore le manque d’investissement dans le pays. Concernant le programme national de désintoxication, “souvent ni les patients ni les médecins ne connaissent ce programme” et de manière générale “il y a un manque de ressources, de services et de professionnels”. Lex Schaul souligne notamment le manque de formation en science du tabac au Luxembourg.
Dans le même temps, le tabac représentera 1,9 milliard de revenus en 2024 pour un coût inconnu en termes de soins médicaux. « On cherche encore à le savoir, mais comme il y a beaucoup de recettes, on préfère se concentrer là-dessus plutôt que sur les dépenses publiques de santé », déplore le directeur dont la Fondation a reçu 337 355 euros de subventions du ministère de la Santé en 2023.
Au pays du forfait à moins de 6 euros, “Génération sans tabac” d’ici 2040 est “un projet qui nous tient à cœur et auquel nous croyons”. “Nous sommes sur la bonne voie car il y a encore un gouvernement qui nous écoute”, relativise Margot Heirendt en faisant référence au projet de loi n° 2019. 8333, actuellement en commission, sur laquelle la Fondation Cancer a présenté son avis.
Initialement motivé par la suppression de certaines exemptions pour les produits du tabac chauffé, le projet de loi a été complété par une réglementation sur les sachets de nicotine. La Fondation Cancer en profite donc pour demander l’interdiction totale de la vente de sachets jetables et de cigarettes. Si elle est mise en œuvre, la lutte promet de se poursuivre, car “nous sommes conscients que si nous interdisons un produit, l’industrie du tabac en libérera d’autres”.
Tabac : 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2028
Le 11 octobre, une réunion a eu lieu entre la commission des finances, l’administration des douanes et accises et l’administration des impôts directs. Avec une prévision d’environ 4,9 milliards de cigarettes vendues en 2024, la Commission des Finances parle d'”une augmentation énorme”, supérieure de 6% aux estimations initiales. Il s’agit d’une recette annuelle de 1,4 milliard d’euros (taxes comprises) destinée à augmenter dans le temps malgré la hausse des droits d’accises en 2025. Les prévisions tablent sur 1,6 milliard d’euros en 2025 et jusqu’à 1,9 milliard d’euros en 2028.