Caroline Fourest se lance, avec son dernier opus « le vertige Metoo », dans un plaidoyer pour le discernement entre délits et crimes, entre présomption d’innocence et présomption de véracité : raison et justice au lieu d’émotions et de narcissisme. Exercice délicat mais bénéfique !
Steven Pinker nous l’expliquait il n’y a pas si longtemps : la civilisation progresse en zigzag. Et le retour en arrière est courant lorsque les inconvénients du changement deviennent apparents. Toutefois, le changement en question peut toujours présenter un intérêt, d’où l’expression « ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain ». S’en suit ensuite un affinement du système afin de préserver le positif et d’éliminer au maximum le négatif. C’est à cette tâche que nous nous sommes attaqués Caroline Fourest dans son « vertige Moi aussi ».
On découvre un florilège de tout ce qui peut mal tourner depuis que la parole s’est libérée autour des cas d’influence toxique (car il y a des influences bénéfiques, Pygmalion, si tu nous regardes…). Chaque possibilité est illustrée par des cas célèbres, décortiqués pour pouvoir être utilisés en toute généralité. Evidemment, au passage, on abuse gravement de notre paresse intellectuelle. Ah bon ? Oui, celui qui nous donne envie de juger en 5 minutes, de rabaisser le protagoniste qu’on n’aimait déjà pas, et de plaindre la pauvre victime.
Pas de chance pour le manichéisme, les humains sont et restent complexes.
Tout ce qu’il dit est semé de pièges. Ici, le verbe raconter. Dorothée Dussy, qui a interviewé de nombreux agresseurs d’enfants, l’a bien compris : ils se racontent tous une histoire qui les « autorise » à agir comme ils le font. Les jeunes en garderont un mémoire traumatiquesusceptible de conduire plus tard à répétition traumatisante. C’est ce phénomène qui déclenche des retours « incompréhensibles » vers le criminel : l’esprit blessé vient chercher cette part de lui-même qui lui a été arrachée.
Le délinquance infantile reste pour ces raisons le berceau de l’enferet a également été touché par la liberté d’expression dans l’espace public du monde adulte. Cela s’est également reflété dans le cri « nous te croyons », compréhensible après tant de siècles de silence. Tout un pan d’associations et de professionnels veut appliquer « on vous croit » de manière pure et dure, ou en confondant raison et émotion. Pourtant, l’affaire Outreau a montré que le mensonge des jeunes comme des adultes existe. Il faut donc impérativement s’en tenir au « je vous écoute », en plus du « je vous protégerai ».
Autre désir qui hante beaucoup de nos contemporains : le conspirationsi actif sur les réseaux sociaux. Le plaisir d’exposer aux yeux du commun des « secrets » pleins de turpitudes commis par les « élites » fait que certains sites se spécialisent dans les rumeurs « piquantes », bien sûr vite apprises et seulement incriminées.
Et, dans la même série, citons l’attrait des idéologies qui divisent, au nom desquelles nous accorderons promptement le brevet de victime à ceux de notre camp et l’opprobre sera jeté sur n’importe quel membre « de l’autre côté ».
Quel bon travail pour un commissaire politique pour régler ses comptes !
Fine observatrice du monde actuel, Caroline souligne que le chemin de la notoriété (et de l’autorisation d’être agressif) passe par la case « victime ». C’est pourquoi le terme « narcissisme plaintif » peuvent caractériser certaines postures surjouées dans le monde médiatique.
Ce qui n’empêche pas que la liste des personnes impliquées dans les mondes du divertissement, du cinéma et des médias soit ahurissante, et provoque un « rattrapage » aux allures de raz-de-marée. On ne pleurera pas les monstres qui en ont profité trop longtemps.
Mais nos nouvelles pratiques ne pourront perdurer dans la durée que si nous évitons de dériver vers une intransigeance sans limite. On ne peut pas classer sous le même terme une forte insistance dans la phase de flirt avec une action avec menaces ou agression.
Lors du lancement du mouvement Me Too et de son corollaire Balance ton Porc, avec sa volonté de se démarquer des anciennes pratiques, le grand public s’est moqué de Catherine Deneuve et de son « droit d’embêter ». Rétrospectivement, on peut voir dans la position de C Deneuve un agacement face au succès de la victimisation dans notre société. Caroline en déduit un souhait : « moins de victimes, plus de combattants ».
Bref, il s’agit de réintroduire la raison et la précision dans ce paysage dominé par les émotions.
Comme toujours, il s’agit de rechercher un équilibre : de la présomption d’innocence avec le présomption de véraciténotamment. Les outils juridiques peuvent également être améliorés, mais pas dans l’urgence. On parle beaucoup du consentement, actuellement absent de l’arsenal juridique en France. Mais, une fois introduite, la question du consentement présent ou absent deviendrait centrale dans les procès, d’où la pression des avocats sur les victimes, déjà si bouleversées qu’on le sait. Autre paramètre sensible : le délai de prescription. Si elle devient infinie comme pour les crimes contre l’humanité, une barrière qui empêche les violeurs d’assassiner leurs victimes tombe…
A la fin de son panorama de la société actuelle, Caroline énumère une vingtaine de conseils « ne fais pas ceci ou cela… » résumant son plaidoyer pour introduire de la nuance et de la précision dans le débat.
Et on les maçonne ? Une grande partie du livre nous est directement utile. Cela commence par la recherche de la vérité et l’utilisation de la raison aux commandes. On se reconnaît aussi dans la méfiance à l’égard des amalgames : tout doit être pesé au cas par cas, et il n’est pas question de remplacer la justice. On ne l’ouvre que si on le sait, et il faut traiter nos désirs intimes avec circonspection. Il est important de ne pas céder à ses mauvais penchants, même couverts par l’impunité du surnom. L’écoute est toujours de mise, et s’efforce de surmonter avec bienveillance les différences d’opinion selon les âges ou les catégories sociales. Allons-y!