De Jabaliya et Beit Lahiya nous parviennent des images de parents errants, hébétés, désespérés, portant dans leurs bras leur enfant mourant, sans savoir où aller. Les hôpitaux sont assiégés, bombardés, évacués, les maisons, les abris, les écoles sont bombardés. Où aller, avec dans les bras un enfant blessé, qui pourrait être sauvé ailleurs dans le monde ?
« Nous annonçons au monde, a déclaré Eyad Zaqout du ministère de la Santé de Gaza, qu’il n’y a plus d’ambulances dans le Nord. De nombreux blessés gisent en sang dans les rues et dans divers endroits ciblés, et il n’y a plus de personnel ni d’équipement pour les aider. » Ma gratitude et mon admiration vont à ces personnes qui, à Gaza, au péril de leur vie, sous le regard des tireurs d’élite et des drones, partent à la recherche des blessés dans les rues, déblayant les décombres à mains nues.
Le plan des généraux
Francesca Albanese, dans son dernier rapport sur les territoires occupés, montre la volonté d’Israël de nuire au groupe qui constitue le peuple palestinien – non pas aux individus en tant que tels, mais en tant que membres du groupe. Ainsi, aucun Palestinien sous occupation israélienne, à Gaza ou en Cisjordanie, n’est en sécurité – quoi qu’il fasse, où qu’il soit, quels que soient son âge et sa condition.
Le « plan des généraux » se poursuit dans le nord de Gaza, combinant le blocage de toute nourriture et de tous médicaments et le ciblage massif de toute vie. Pour Jonathan Whittall, d’OCHA (Bureau de coordination des affaires humanitaires), les Palestiniens sont aux prises avec « couloir de la mort ». Anas al-Sharif, journaliste, note : « Nous sommes exterminés sous les yeux du monde ». Quels sont les noms de ceux qui s’en prennent aux civils, aux blessés, aux médecins et refusent de soigner les malades ? Comment appelle-t-on ceux qui bloquent des milliers de camions transportant des biens de première nécessité alors qu’à quelques kilomètres de là, des enfants meurent littéralement de faim ? Michael Fakhri, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, affirme qu’il n’a jamais vu une population civile souffrir de la faim «aussi vite et aussi complètement». Trente camions entrent chaque jour à Gaza (dont aucun n’atteint le nord). Avant le 7 octobre 2023, 500 camions y accédaient chaque jour, et 50 % des Palestiniens de Gaza souffraient déjà de détresse alimentaire.
Arrêtez le génocide
Israël, dès le 7 octobre, n’aurait pas pu être plus clair sur ses intentions génocidaires. Cependant, l’intention génocidaire constitue en elle-même une obligation d’intervention pour les États tiers, conformément à l’article II de la Convention sur le génocide. Mais le génocide se déroule sous nos yeux, et le monde continue de le laisser se produire. Heba Morayet, d’Amnesty International : « Le monde doit sortir de sa torpeur alors qu’Israël utilise le siège, la famine et les atrocités pour déplacer et détruire des vies civiles. »
Nous avons perdu la mesure. “Le monde s’est habitué à notre sang” observent les Palestiniens de Gaza. Lâcher prise est devenu la norme. Assister silencieusement au massacre massif d’enfants est devenu la norme. Des bébés amputés avant même de commencer à ramper ? La norme.
Comme l’a déclaré le professeur Haim Bresheeth avant son arrestation à Londres : « Le monde sait exactement ce qu’est Israël. Israël ne colonise pas seulement la Palestine. Israël colonise également tous les gouvernements occidentaux. Cela colonise les esprits. »
Plus nous laissons faire, plus il va de soi que nous laisserons faire. Nos faibles protestations sont interprétées comme un encouragement à poursuivre le génocide. Israël ne s’arrêtera pas. Nous devons l’arrêter maintenant. Israël poursuit sa politique coloniale du fait accompli, avec 76 ans d’impunité. Impunité totale face aux violations des résolutions de l’ONU, de la 4ème Convention de Genève, des décisions de la CIJ et de la CPI, du Statut de Rome, de la Conférence de Vienne, de la Convention de l’Apartheid. Ce n’est pas que les nations ne peuvent pas arrêter Israël : elles n’essaient pas. Le fait est qu’ils parviennent à ne pas arrêter Israël, malgré l’obligation légale qui leur incombe. Tous les États, organisations, entreprises et individus sont concernés par la décision de la CIJ du 19 juillet 2024 et la résolution du 18 septembre 2024 rendant illégal tout soutien, direct ou indirect, à l’occupation, à la colonisation et au génocide.
Nous perdons chaque jour un peu de nous-mêmes à Gaza. Une partie de notre humanité. Je voudrais terminer par une pensée pour cette mère, à Nuseirat, qui a appris l’assassinat de son fils à Beit Lahiya et lui a dit au revoir via smartphone.
Une pensée pour Rasha, 10 ans, qui pensait que son frère Ahmed, 11 ans, lui survivrait et à qui elle a laissé, dans le testament qu’elle avait rédigé, ses perles à enfiler et son argent de poche. Rasha a été assassinée le 30 septembre, la moitié de son visage arrachée par une bombe – qui a également tué son frère Ahmed. Ils sont morts ensemble après avoir vécu ensemble ces derniers mois dans la terreur et la famine. “Dans un autre monde, ce serait un crime que nous n’oublierions pas”, a écrit leur oncle. Mais ici à Gaza, ce ne sont que deux victimes parmi des dizaines de milliers. »
Marie Schwab, le 9 novembre 2024.