On ne peut pas dire qu’à Saint-Émilion, le Château Beauséjour jouissait d’une grande réputation jusqu’en 2021 (1). Bien sûr, il s’agit d’un Premier Grand Cru Classé – une mention qui figure en tête d’un classement qui comprend 82 propriétés – mais cette pépite de 6,8 hectares de vignes situées sur les splendides terroirs de l’appellation se vit avec discrétion.
Puis l’actualité l’a mis sur le devant de la scène avec une vente pleine de rebondissements et un prix jugé astronomique par les observateurs locaux : 70 millions, soit près de 10 millions par hectare. « C’est le prix de l’inaccessible. Beauséjour est le meilleur de Saint-Émilion. Ce prix n’est pas anormal, voir ceux pratiqués en Bourgogne”, précise Prisca Courtin – faisant allusion à l’achat par François Pinault du Clos de Tart, une perle bourguignonne de 7,5 hectares pour une somme estimée à 280 millions d’euros. A 37 ans, il est à la tête de Clarins, le géant français de la cosmétique fondé par son grand-père il y a soixante-dix ans et qui est donc propriétaire des lieux depuis avril 2021.
Des vinifications précises
Sur place, constamment suivie par son chien Tokay, Joséphine Duffau-Lagarrosse, 34 ans, souhaite se détacher de cette activité pour se concentrer sur la production viticole. Œnologue, elle est coactionnaire et cogérante d’un château géré par sa famille depuis 1847 (représentant la neuvième génération). Elle fait partie des 32 héritiers qui ont finalement cédé la propriété à Clarins. « Je ne voulais pas vendre et j’ai toujours pensé qu’un jour je retournerais faire du vin à Beauséjour. C’est le lieu de mon enfance et j’y suis très attaché. J’aime travailler avec Prisca Courtin, même si nous venons de deux horizons différents », explique celle qui a occupé par le passé des postes à l’étranger et dans le Médoc.
Première étape de la rénovation : un cuvier conçu par le cabinet d’architecture bordelais BPM, libéré avec les vendanges 2024 et où l’on peut travailler à la lumière du jour. Une quinzaine de petites cuves en béton disposées en fer à cheval servent à vinifier le plus fidèlement possible les 13 micro-terroirs identifiés sur l’exploitation. « C’est un outil de travail ergonomique dans lequel j’ai pu produire moi-même du vin : le château ne compte que cinq salariés. Nous améliorerons encore la qualité de nos vins. » Et ce sera cette année avec des rendements historiquement bas : 22 hectolitres par hectare, alors que l’AOC en permettrait presque trois fois plus. « La moisissure est responsable. Tout Bordeaux se dirige vers de gros problèmes avec cette maladie qu’on ne peut plus contrôler. » Fait original, une fresque sculptée sur les façades des chars rappelle les paysages environnants.
Nous améliorerons encore la qualité de nos vins
Dirigez-vous ensuite vers les carrières situées sous la cave. Un lieu hors du temps – présent dans de nombreux châteaux de l’appellation – où les vins vieillissent environ un an en barriques. C’est de là que sont extraites depuis des décennies les pierres destinées à la construction à Bordeaux et ailleurs. La température y est constante. « Gros avantage, le vin s’évapore très peu et on n’a pas besoin de remettre régulièrement le niveau dans les barriques. [technique dite de l’ouillage, NDLR]. »
Pour s’imposer en tant que femme
La politique commerciale de la propriété reste désormais à consolider, avec des labels remaniés dès les vendanges 2022 et de nombreux voyages au programme de Joséphine Duffau-Lagarrosse (2). «Il faut se battre pour s’imposer comme femme dans le monde du vin», assure-t-elle en se dirigeant vers la maison qui sera également rénovée : on y trouve des salons de dégustation, des espaces de réception et des salles à usage professionnel. « Avec Joséphine, nous souhaitons valoriser les vins de Bordeaux, qui sont les meilleurs au monde », assure en conclusion Prisca Courtin. Arrivé un peu par hasard dans ce milieu viticole, j’en suis immédiatement tombé amoureux. »
(1) Sur l’étiquette, le nom du château est Beauséjour, avec « J. Duffau-Lagarrosse » (J pour Joséphine) mentionné ci-dessous. Avant l’acquisition, elle s’appelait « Héritiers Duffau-Lagarrosse ». Propriété à ne pas confondre avec son voisin Beau-Séjour Bécot.
(2) Le premier vin coûte environ 100 euros la bouteille ; la seconde, Croix de Beauséjour, à 35-40 euros.
en justice
La famille Cuvelier, propriétaire du Clos Fourtet, ferme classée près de Beauséjour, a intenté une action en justice. Initialement positionné en acquéreur, il a finalement été préféré au groupe Clarins. La Société locale d’aménagement et d’aménagement rural (Safer), impliquée dans la transaction, est mise en cause par les Cuvelier. Début 2024, la cour d’appel de Bordeaux a ouvert la voie à la tenue d’un procès qui analysera notamment la structure juridique de la vente.