Le président du tribunal pénal, Roger Arata, a précisé à juste titre qu’il est rare qu’un juge d’instruction témoigne sur son propre dossier devant une cour criminelle ou une cour d’assises. Mais la juge Gwenola Journot, 41 ans, qui a instruit le dossier Pelicot de novembre 2020 à juin 2023 (31 mois et autant de gros volumes rouges) a été assignée à comparaître à la demande d’un des avocats de la défense. Du coup, certains de ses collègues, ainsi que le parquet et les parties civiles, ont profité de sa présence pour l’interroger.
“Je ne vois pas ce que je pourrais apporter au-delà de ce que j’ai écrit”, a-t-il déclaré dans le préambule, faisant référence à son ordonnance d’accusation de 370 pages. Mais on a pu entrevoir quelques coulisses de l’enquête sur son dossier titanesque, pour lequel le tribunal d’Avignon a pris les dispositions nécessaires. “Moins de dossiers m’ont été présentés, d’autant qu’à l’époque je travaillais déjà sur une trentaine de règlements de comptes à Cavaillon.” Pour alléger sa charge de travail (90 dossiers sur son bureau), des juges étaient parfois impliqués.
Gwenola Journot a ainsi expliqué que l’enquête sur l’affaire Pelicot “aurait pu durer dix ans, il y avait de la matière” mais qu’elle a décidé de s’arrêter à un moment donné “pour que M. Pelicot puisse être jugé dans un délai raisonnable”. Un sentiment d’inachevé ? » s’interroge l’un des avocats de Gisèle Pelicot, à l’image de ces vidéos tournées sur une aire d’autoroute, ou de ces photos plus qu’ambiguës de sa fille Caroline nue. “Oui, il y a de la frustration, mais nous avons fait de notre mieux.”
Quant à Caroline Darian : “M. Pelicot a été interrogé, il a toujours nié les abus.” Au début, poursuit-il, Pélicot évoque une trentaine de visiteurs à Mazan. “Quinze qui ont participé, quinze qui ont regardé.” Mais l’étude de son ordinateur, où étaient stockés 20 000 fichiers photos et vidéos, a permis d’identifier 60 à 70 suspects. « Un nombre important de photos étaient floues, donc les personnes correspondantes n’étaient pas identifiables. M. Pelicot a essayé de se souvenir de leurs noms et de leur profession.
En vain. “Mais j’ai quand même décidé de les distribuer à tous les commissariats et gendarmes : un gendarme a ainsi pu identifier un autre suspect.” Les vidéos ? « L’élément central du dossier ». Trois mois pour les regarder… « J’ai sélectionné tout le spectre des actes sexuels – il les nomme tous, les joue presque – sauf les images dans lesquelles Mme Pelicot est seule avec son mari, et consentante.
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On s’est d’abord demandé si les accusés avaient un lien réel. Nous avons vite compris que non
Juge Gwenola Journot
La PJ d’Avignon et la justice ne peuvent « gérer » que dix personnes en garde à vue en même temps, « nous n’avons pas pu procéder à l’interpellation simultanée d’une cinquantaine de prévenus ». L’organisation s’est donc organisée par vagues, et l’on peut supposer que la publicité de ces perquisitions a favorisé certains visiteurs de Mazan qui devaient être dispersés dans les airs… Il a ensuite été interrogé sur d’éventuelles insuffisances, notamment écouté par le docteur de Mazan qui a beaucoup a fourni à Pelicot divers somnifères. Il s’est mis à l’abri des enquêteurs derrière le secret médical : “Il aurait fait la même chose dans mon cabinet.”
Même le site libertin Coco, désormais fermé, d’où d’autres fils et individus auraient pu être tirés : « On s’est demandé, au début, si les accusés avaient un lien entre eux dans la vraie vie. Nous avons tout de suite compris que ce n’était pas le cas.” Et pour l’identification des autres visiteurs : « Toutes les demandes adressées à l’opérateur sont restées sans réponse.
Enfin, l’avocat d’un des coaccusés a demandé au juge s’il était convaincu qu’aucun des accusés n’avait été drogué par Pelicot avant son acte. Le premier détenu a affirmé que tel était le cas et qu’il s’était réveillé dans sa voiture garée à Mazan sans le moindre souvenir de ce qu’il y faisait. D’autres ont continué sur le même thème. “Ils n’apparaissent sous sédatifs ou drogués dans aucune des vidéos”, a répondu le juge. De plus, cet argument de la défense était répandu pendant la détention, où les détenus communiquaient beaucoup entre eux. Alors pourquoi ne pas les isoler ? demanda l’avocat.
– Cela aurait compliqué les extractions et il y a à peine assez de prisons pour tous les isoler.»