Michel Labrecque est l’auteur de La Moldavie dans l’œil du cyclone russepublié aux Éditions Art Global en 2024.
Si l’élection de Donald Trump inquiète en Ukraine en raison de sa proximité avec Vladimir Poutine, les autres pays de la région doivent se défendre contre l’influence russe, eux qui étaient eux aussi en plein processus électoral.
En Géorgie, le 26 octobre, les forces pro-européennes ont perdu contre le parti pro-russe au pouvoir. Puis, le 3 novembre, en Moldavie, pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, le président, symbole d’ouverture sur l’Europe, a été réélu sans équivoque, défiant la désinformation et l’achat de voix organisés par les forces de l’ordre. pro-russe.
La présidente sortante, Maia Sandu, a remporté une victoire bien plus convaincante qu’à l’issue du premier tour, le 20 octobre, qui s’est déroulé en même temps qu’un référendum sur l’adhésion de la Moldavie à l’Union européenne : elle l’a emporté de justesse, avec 50,46 % de voix en faveur de Oui. Avec 38% des voix, elle semblait elle-même menacée de perdre au second tour.
Cet ancien économiste à la Banque mondiale, âgé de 52 ans, affrontait Alexandr Stoianoglo, un ancien procureur général soutenu par le Parti socialiste pro-russe. De nombreux intellectuels et entrepreneurs redoutaient un résultat aussi serré que celui du référendum. Au final, Maia Sandu a obtenu 55,33% des voix.
De nombreux citoyens de ce petit pays de 2,6 millions d’habitants ont poussé un soupir de soulagement. « J’avais peur que Maia perde », confie Corina Caireac, habitante de Chişinău, la métropole et capitale moldave, située à une centaine de kilomètres d’Odessa, ville portuaire ukrainienne de la mer Noire régulièrement la cible des bombardements russes. « En début de soirée, lorsque son piste s’est confirmée, j’ai vu sur les réseaux sociaux beaucoup de mes amis ouvrir des bouteilles de vin et de mousseux avec soulagement », raconte cet intervenant du monde culturel et médiatique.
Les habitants de cette ancienne république soviétique de 1940 à 1991, autrefois rattachée à la Roumanie, parlent majoritairement le roumain, mais l’empreinte russophone laissée par la présence soviétique reste très forte presque partout dans le pays. Plus d’un quart de la population est d’origine russe, ukrainienne ou bulgare.
« Les gens ont été secoués par les résultats du premier tour et par l’ampleur de la propagande russe », m’a dit Mihai Fusu, professeur de théâtre et dramaturge documentaire bien connu en Moldavie. « Les jeunes ainsi que les habitants de Chișinău ont voté davantage », raconte celui qui me sert de guide et d’interprète depuis 1991. Au total, 200 000 électeurs supplémentaires ont voté au second tour.
L’importante diaspora moldave a également eu son mot à dire. Depuis son indépendance en août 1991, le pays a perdu le tiers de ses habitants, les difficultés économiques ayant contraint certains à aller travailler à l’étranger, notamment au Québec. Cette diaspora reste très engagée politiquement. Elle a voté davantage au second tour qu’au premier – 35 % d’électeurs en plus – ce qui a fait pencher la balance en faveur de Maia Sandu.
Au Québec, sur les 4 094 ressortissants moldaves qui ont voté, 88 % ont voté pour le président sortant.
Alors qu’en Géorgie, située de l’autre côté de la mer Noire dans le Caucase, l’opposition pro-européenne n’a pas réussi à vaincre le parti au pouvoir, plus favorable à la Russie, la Moldavie a choisi de garder sa voix européenne avec ce choix du 3 novembre.
Pourtant, rien n’est gagné : des élections législatives auront lieu en 2025 et pourraient modifier cette trajectoire. Le parti de Maia Sandu, le Parti Action et Solidarité (PAS), risque de perdre sa majorité au Parlement au profit de partis soutenus par la Russie.
« La Russie de Poutine est comme un cancer qui tente de contaminer tout l’ancien territoire soviétique ; elle recommencera l’année prochaine », explique Corina Caireac, qui a grandi dans la Moldavie soviétique et en garde un souvenir douloureux. Les seniors, quant à eux, en gardent parfois une nostalgie. Ils évoquent des temps moins compliqués, où tout coûtait moins cher, même s’il y avait peu de biens disponibles.
Lors du référendum et du premier tour de l’élection présidentielle, un réseau sophistiqué d’achat de voix financé par la Russie a été révélé. L’opération était dirigée par l’oligarque moldave Ilan Shor, en fuite vers la Russie après avoir été reconnu coupable d’une fraude d’un milliard de dollars contre des banques moldaves.
Le jour du second tour, des alertes à la bombe dans plusieurs bureaux de vote de la diaspora ont été dénoncées, notamment par Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires étrangères. «Il semble que rien ne puisse arrêter Vladimir Poutine, même dans un pays démocratique. »
Tous les dirigeants européens applaudissent l’élection de Maia Sandu, du Français Emmanuel Macron au Polonais Donald Tusk. Pour sa part, le président américain Joe Biden a déclaré : « La Russie a tenté de saper la démocratie moldave, mais elle a échoué. »
Pourtant, si la Russie gagne sa guerre contre l’Ukraine, les Moldaves craignent d’être la prochaine cible de Poutine. Un consortium de journalistes européens a révélé un dossier secret du Kremlin selon lequel Moscou envisage de reprendre le contrôle politique de la Moldavie d’ici 2030.
L’élection de Donald Trump deux jours après la victoire de Maia Sandu n’est pas rassurante, la future présidente remettant en cause l’aide américaine à l’Ukraine et ayant promis de résoudre cette guerre « en 24 heures ». Ce qui pourrait rendre la petite Moldavie plus vulnérable face à Vladimir Poutine et ses alliés.