Par Kamel Daoud
Publié le 5 novembre 2024 à 9h17mis à jour sur 5 novembre 2024 à 9h33
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Hier soir, lors du dîner privé organisé en son honneur chez Gallimard, Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024 pour « Houris », s’est livré à un petit exercice d’improvisation sur ses débuts d’écrivain. Il a offert ses paroles au « Nouvel Obs ».
« Je connais la fin, ce n’est pas la fin. C’est une fin heureuse pour l’instant. Mais le début de l’histoire remonte plus loin.
J’avais neuf ans et je n’avais qu’une seule bande dessinée. Je l’ai lu, relu, relu, relu. (Il m’est arrivé de relire quatorze fois le même roman, parce que nous n’avions pas de télévision.) Et je me dis que l’histoire commence là parce que j’ai écrit une lettre à un éditeur français. A l’époque où je dessinais, j’ai arrêté depuis, mais j’ai envoyé deux ou trois planches de petits enfants. Et deux mois plus tard, j’ai reçu un colis de livres adressé par cet éditeur français au petit enfant de mon village. Je peux dire que l’histoire commence là.
Je peux aussi dire que l’histoire commence à l’âge de douze ans. J’ai connu le dernier juif de Mostaganem, il était libraire. J’avais environ 50 dinars par semaine que mon père, gendarme, me donnait. Je suis allé chez le libraire et il m’a loué des livres. Il a pris un dépôt de 20 dinars. J’ai lu beaucoup de livres que j’ai rendus pour récupérer les 20 dinars. Je peux dire que l’histoire commence là aussi.
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Je peux aussi dire que l’histoire commence la première fois que je lis « In a Doubtful Fight » (1936) de John Steinbeck. Il lui manquait exactement 130 pages. Je connaissais donc la fin de l’histoire, mais pas le début. Je peux dire que ça a commencé là car je n’avais même plus besoin de connaître l’auteur. Le livre n’a pas besoin d’un auteur.
Je peux aussi dire que l’histoire commence à l’université. Je suis arrivé, je m’ennuyais car j’avais lu tout Balzac à onze ans et quand je suis arrivé à l’université algérienne on nous a demandé de faire des fiches de lecture sur Balzac. Cela veut dire que je l’ai lu quand j’étais enfant… Je peux dire que l’histoire commence là.
Je peux aller plus loin. Je peux dire que l’histoire commence en Tunisie. Le jour où j’ai rencontré Leïla Slimani, nous avons vidé une bouteille et elle m’a dit : « Pourquoi ne viens-tu pas chez Gallimard ? J’ai dit: “Vont-ils m’accepter?” Elle m’a répondu : “Je m’en occupe.” Et elle l’a fait.
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Je peux dire aussi que l’histoire commence le jour où j’ai été reçu au bureau d’Antoine Gallimard et où nous avons parlé de médisances parisiennes, d’incompréhensions, de gens qui parlaient pour lui, contre moi, pour et contre… Je peux aussi dire qu’elle commence le jour où j’ai rencontré Karina Hocine, dont je ne savais pas encore qu’elle serait ma rédactrice, qu’elle m’accueillerait et m’adopterait dans mon orphelinat éditorial. Je peux dire que l’histoire commence là.
Donc je ne sais pas où commence l’histoire, je ne sais pas où elle va se terminer. Mais pour l’instant, c’est une très belle histoire grâce à vous. Merci à tous. »