Le gouvernement du Canada devra défendre sa décision de rejeter le projet GNL Québec. Les promoteurs du défunt complexe gazier ont en effet lancé une action internationale pour obtenir au moins un milliard de dollars de compensation financière. Une audience est prévue l’année prochaine dans cette affaire qui attaque directement les évaluations environnementales ayant conduit au refus du projet controversé.
C’est la société américaine Ruby River Capital qui a déposé l’an dernier une demande d’« arbitrage » auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) du Groupe de la Banque mondiale, au nom de Symbio Infrastructure, de l’entité faîtière GNL Québec et de Gazoduq.
L’audience est désormais prévue pour décembre 2025, avec plusieurs étapes préliminaires prévues au cours de l’année prochaine. Le gouvernement fédéral a tenté, ces derniers mois, de faire rejeter la demande d’arbitrage, mais en vain. Selon ce qu’indique Ottawa, le montant réclamé serait d’un milliard de dollars américains « pour les frais irrécouvrables et la perte de profits futurs, en plus des pertes (à quantifier), des intérêts et des frais ». Cela équivaut à au moins 1,4 milliard de dollars canadiens.
Ce projet controversé de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel de l’Ouest canadien aurait nécessité la construction d’un gazoduc de 780 kilomètres, mais aussi une usine située sur le Saguenay et un terminal maritime. On parlait de produire 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) chaque année, ce qui aurait nécessité des centaines de passages de méthaniers dans la rivière Saguenay–Saint-Laurent. Parc marin du Saint-Laurent.
Or, au terme des processus d’évaluation environnementale du Québec et du Canada, les deux paliers de gouvernement ont rejeté le projet, respectivement en 2021 et 2022. Malgré cela, Symbio Infrastructure et GNL Québec sont toujours inscrites au Registre des entreprises du Québec. Tous les administrateurs sont basés aux États-Unis.
“Discriminatoire”
Les promoteurs de GNL Québec n’ont pas digéré les refus de leur projet et ils affirment, dans les documents déposés au CIRDI, avoir perdu « pas moins de 20 milliards de dollars américains », soit 27 milliards de dollars canadiens. Ils estiment également que le fait d’avoir bloqué leur « investissement » constitue « une violation » des règles du libre-échange.
Surtout, les investisseurs américains critiquent sévèrement l’évaluation environnementale de leur projet. Ils se disent victimes d’un «traitement arbitraire, injuste et discriminatoire», notamment de la part d’Ottawa, qui a approuvé d’autres projets d’exportation de GNL, dont LNG Canada, qui est deux fois plus important que LNG Québec. Les documents mentionnent également l’approbation du mégaprojet Bay du Nord.
Ils accusent le gouvernement Legault d’avoir « exploité illégalement » la démarche environnementale afin de répondre à « ses ordre du jour politique “. Leur plaidoyer critique directement le Bureau des audiences publiques sur l’environnement, accusé d’avoir mené des auditions « partiales » ayant abouti à la rédaction d’un rapport tout aussi « biaisé », notamment en ce qui concerne les « affirmations spéculatives » concernant les émissions de gaz à effet de serre imputables à le projet.
Selon le calendrier disponible sur le site du CIRDI, l’audience est prévue en décembre 2025, avec plusieurs étapes préliminaires prévues au cours de l’année prochaine. Le gouvernement fédéral a tenté ces derniers mois de faire rejeter la demande d’arbitrage, mais en vain.
Gaz à effet de serre
Dans son argumentation soumise plus tôt cette année, Ottawa soulignait que « ces infrastructures auraient non seulement supporté l’émission de grandes quantités de gaz à effet de serre pendant une période de 25 à 50 ans, mais qu’elles auraient également nécessité le passage de pétroliers dans un environnement critique ». zone d’habitat essentiel du béluga, mammifère marin emblématique du Canada, malheureusement en voie de disparition. Les évaluations environnementales ont confirmé « des effets environnementaux négatifs importants », ce qui a motivé les refus.
Le gouvernement fédéral a également soutenu que les promoteurs n’avaient « aucun droit acquis » pour réaliser leur projet dans lequel ils ont injecté 120 millions de dollars. Le document souligne également que cette somme représente « au maximum 1 % des montants totaux nécessaires » pour construire l’ensemble du complexe gazier.
Dans un document déposé par le gouvernement du Québec au CIRDI et réclamant le droit d’intervenir dans le débat, il dit aussi craindre de devoir débourser des fonds en cas de condamnation du gouvernement fédéral dans cette affaire.
« Le projet en question a polarisé l’opinion publique, notamment en raison de ses impacts sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre, sur les populations de bélugas et parce qu’il impliquait la construction d’un gazoduc. 780 km de long, qui aurait traversé des centaines de zones humides et de plans d’eau ainsi que le territoire de plusieurs communautés autochtones et celui de multiples espèces protégées et menacées », rappelle ce même document.
« Le Québec a respecté ses lois environnementales en la matière et avait le droit de ne pas vouloir aller de l’avant avec le projet. L’affaire étant pendante devant le tribunal, nous ne pouvons pas [le] nous ne ferons pas de commentaires supplémentaires », a indiqué le cabinet du ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, dans une réponse écrite aux questions du Devoir.
Le Centre québécois du droit de l’environnement a récemment demandé au CIRDI l’autorisation d’intervenir en déposant un mémoire arguant que la décision de refuser la construction du complexe gazier respecte le « principe de précaution ». « Le principe de précaution s’applique lorsque trois conditions sont remplies : il existe une incertitude scientifique, il existe un risque de dommages graves ou irréversibles à l’environnement et il existe des motifs raisonnables de s’inquiéter », explique l’avocat Marc Bishai.
Le cabinet du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a redirigé les questions de Devoir envers l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, qui a produit un rapport très critique. Elle n’avait pas répondu à nos questions au moment de la publication de ce texte.
Si Ottawa a refusé le projet GNL Québec, il a néanmoins approuvé l’an dernier le projet Cedar LNG (production annuelle de 3,3 millions de tonnes de GNL), en plus de LNG Canada (production annuelle de 14 millions de tonnes de GNL). Dans les deux cas, les complexes de liquéfaction seront alimentés principalement par du gaz exploité par fracturation.