TÉMOIGNAGES. Mains aux fesses, commentaires déplacés… Sexisme au travail, « je peux vous assurer que ça glace le sang »

TÉMOIGNAGES. Mains aux fesses, commentaires déplacés… Sexisme au travail, « je peux vous assurer que ça glace le sang »
TÉMOIGNAGES. Mains aux fesses, commentaires déplacés… Sexisme au travail, « je peux vous assurer que ça glace le sang »
Publié le 01/05/2024 à 07h00Mis à jour 05/01/2024 à 08h07

Écrit par Kanwaljit Singh

Huit femmes sur 10 se disent régulièrement victimes de sexisme au travail, selon le rapport du Haut Conseil à l’égalité dévoilé en janvier 2024. Mais la parole se manifeste et les entreprises se mobilisent pour lutter contre ce fléau. Plusieurs femmes normandes ont accepté de témoigner de ce qu’elles ont subi au travail.

Marie-Christine* vit en Normandie et travaille depuis plusieurs années dans un service informatique. Elle nous raconte ce qu’elle a vécu dans son entreprise : « Je programmais des imprimantes, c’était l’été et je portais une robe légèrement ouverte dans le dos. Il y avait l’assistant réalisateur qui est descendu et je ne sais pas pourquoi, il est venu, il a passé sa main entre mes omoplates et elle est montée jusqu’à la nuque je peux t’assurer que ça te glace le sang parce que tu je ne sais pas quoi faire.

Et ce n’est pas la seule chose que Marie-Christine a vécue dans son métier. Sa voix tremble par moments mais elle continue de parler : « Un jour, j’étais dehors avec des collègues. Alors certes, c’était en dehors du travail mais c’était quand même dans un cadre professionnel, et l’un d’eux m’a posé la main sur les fesses. Ce genre de comportement venant d’une personne avec qui nous travaillons tous les jours, c’est insupportable.

Ce même collègue m’a demandé de coucher avec lui pendant que je l’entraînais. Ça m’a choqué… Je suis au travail, je ne suis pas là pour ça !

Marie Christine

Victime de sexisme au travail

La femme, aujourd’hui âgée de 50 ans, travaille dans un département où se trouvent majoritairement des hommes. Sur les dix collègues de ce département, il n’y a à ce jour que deux femmes : « J’ai déjà eu des collègues qui me disaient par exemple : ‘tu es mignonne avec une petite jupe comme ça’, pareil pour le rouge à lèvres, ‘ce rouge c’est sympa’. Une fois, deux fois… « On ne se maquille plus, on fait attention à ce qu’on porte. »

Et puis il y a ce jour, où Marie-Christine devient maman. Elle souhaite consacrer 80 % de son temps de travail à s’occuper de son enfant. Son supérieur répondit : « C’est embêtant, tu ne seras pas là un jour par semaine. Vous êtes chef d’équipe, ça ne va pas être compatible.

J’ai quand même pris mes 80 %, mais je n’étais plus chef d’équipe.

Marie Christine

Victime de sexisme au travail

Elle endure ces actes dans une totale indifférence : «Je l’aurais dit à mes collègues, ils auraient ri. Des remarques comme « tu n’es pas drôle ».

Des situations sexistes qui ont eu lieu il y a 15 ans. Mais Marie-Christine s’en souvient comme si c’était hier : “C’est perturbant d’y penser, ça me fait vraiment quelque chose.”

Les voix des femmes tendent à être libérées aujourd’hui. A Caen, Sabrina Tanquerel est professeur de ressources humaines à l’EM Normandie. Depuis plusieurs mois, elle travaille sur le sujet du sexisme au travail et mène régulièrement des entretiens avec des femmes de tous âges qui travaillent dans divers secteurs partout en France.

Ce jour-là, elle s’est entretenue avec Noëmie Novak. La jeune femme lui confie ce qu’elle a vécu lors d’un stage : « J’avais un collègue qui, au début, faisait beaucoup de blagues. Je me suis dit qu’il était un peu beau mais avec le temps, il est devenu plus lourd. Il m’a complimenté sur mes vêtements mais pour complimenter mon corps”.

Un jour, les collègues du service dans lequel elle travaille sont tous en télétravail, et elle se retrouve seule avec cet homme de dix ans son aîné. Il va chercher une banane et vient la voir :

Et puis il m’a dit : “Il y a deux manières de manger une banane Noëmie, comme un gentleman ou comme une salope. Veux-tu que je t’apprenne à manger une banane comme une salope ?

Noémie Novak

Victime de sexisme au travail

« Je ne savais plus quoi faire. Je ne savais pas jusqu’où il pouvait aller. J’étais en formation, je ne savais pas à qui en parler »Noémie nous le raconte.

Des propos choquants qu’on entend de moins en moins dans le monde de l’entreprise, selon Sabrina Tanquerel : «Il y a moins de ce que nous appelons un sexisme hostile parce que socialement, il est moins toléré et moins acceptable. Mais il existe aujourd’hui de nouvelles formes de sexisme, un sexisme plus subtil. Le sexisme ordinaire, c’est toutes ces petites remarques, ces petites phrases qu’on aura au quotidien qui relègueront toujours les femmes à certaines fonctions ou dans certains rôles mais ce seront aussi des blagues un peu lourdes et qui à force de régularité auront un impact significatif sur le sentiment de compétences des femmes et leur sentiment de confiance en elles..

Le spécialiste nous parle aussi de sexisme bienveillant : «On pourrait dire que c’est bienveillant donc c’est positif. Mais non, ce sera par exemple ‘Ah, Danielle, vous pouvez prendre les notes à cette réunion, les femmes, vous êtes fortes pour ça’ ou un comportement paternaliste de sa supérieure.

Beaucoup de femmes, surtout les plus jeunes, osent s’exprimer et ne se laissent plus faire. Noëmie a fini par dénoncer ce qu’elle vivait. Elle a attendu la fin du stage et en a parlé à son patron de l’époque.

Nous lui avons demandé si ce célèbre confrère était sanctionné : « Non, ce collègue n’a pas été sanctionné. Il s’agissait plutôt d’un avertissement verbal pour qu’il évite de répéter ce comportement. C’est vrai que pour moi, par rapport à la façon dont je l’ai vécu et aux conséquences que cela a pu avoir sur moi et sur mon expérience professionnelle, je pense que c’est assez léger.

Des sanctions qui sont encore bien trop rares dans le monde professionnel. Pourtant, 8 femmes sur 10 se disent régulièrement victimes d’agissements ou de propos sexistes au cours de leur carrière, selon le rapport du Haut Conseil à l’égalité dévoilé en janvier dernier.

Toutefois, ces comportements sont inscrits dans le Code du travail depuis 2015 et sont soumis à la loi : « C’est une obligation à la fois civile et pénale ; un employeur est responsable du comportement de ses salariés et la personne morale, l’employeur, peut être condamnée pénalement en plus de la condamnation civile que l’on connaît devant les prud’hommes. les hommes Il peut donc faire l’objet d’une condamnation pénale s’il a permis à un salarié de subir du harcèlement sexuel ou un comportement sexiste. prévient Maître Sarah Balluet, avocate spécialisée en droit social et associée chez Act’Avocats. Elle ajoute :

L’employeur doit être informé du fait qu’il peut être tenu responsable ! Si l’un de ses collaborateurs est victime de sexisme… Cela concerne les femmes et les hommes, puisque les comportements sexistes peuvent aussi toucher les hommes.

Sarah Ballet

Avocat spécialisé en droit social

Alors, certains employeurs se mobilisent. Chaque année, les structures d’au moins 50 salariés doivent déclarer leur indice d’égalité professionnelle basé sur l’écart salarial à compétences égales entre hommes et femmes, voire la parité. Des données qu’ils doivent saisir sur la plateforme Egapro mise en place par le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités.

Avec une note de 100 sur 100, l’entreprise normande Concentrix + Webhelp Caen basé à Colombelles, près de Caen, dans le Calvados, est un bon élève. Ce spécialiste de la relation client à distance va encore plus loin. Outre ses deux référents « Arrêtez le harcèlement » imposée par la loi, l’entreprise a créé une charte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Et surtout, elle mène régulièrement des actions de sensibilisation auprès de ses 900 collaborateurs comme des campagnes d’affichage : « L’idée est de pouvoir libérer la voix de chacun car nous sommes beaucoup collaborateurs. Il y a des anciens combattants et des gens qui viennent d’arriver. Peut-être que ces nouveaux venus ne sont pas forcément à l’avant-garde. conscients qu’ils peuvent venir nous en parler, que ce soit au sein du service des ressources humaines ou encore avec l’infirmière ou les représentants anti-harcèlement.explique Caroline Viel, Responsable des Ressources Humaines chez Concentrix + Webhelp Caen.

L’entreprise veut éviter de répéter des erreurs qui appartiennent désormais au passé :

Les salariés l’ont vécu mais n’en ont pas parlé spontanément. Nous l’avons appris très tard. Ces gens ne savaient pas à qui parler

Lucille Renaut

Responsable RH chez Concentrix + Webhelp Caen

“Nous sommes en action, nous agissons pour que les salariés sachent qu’il faut en parler, nous n’acceptons pas cela et surtout nous les soutiendrons”, ajoute Lucille Renaut, responsable RH chez Concentrix + Webhelp Caen.

La tolérance zéro dans la lutte contre ce fléau fait pleinement partie de la culture d’entreprise. Le directeur du site y veille particulièrement : « C’est une évidence sociétale, je pense qu’aujourd’hui une entreprise qui reste en dehors de cette réalité sociale est une entreprise qui est « has been ». L’égalité est un combat qui doit être mené main dans la main. main dans la main par les hommes et les femmes jusqu’à ce qu’on ne se pose plus ce genre de questions. Un homme, une femme n’est pas le sujet. La question est de compétence et de le faire ensemble.

En 15 ans, Marie-Charlotte* reconnaît que la lutte contre le sexisme au travail progresse : « Je pense que les hommes font plus attention à ce qu’ils disent, je le sens moins lourd qu’avant, c’est sûr. Ce n’est évidemment pas parfait, mais il y a quand même des évolutions. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

*Marie-Christine est un pseudonyme afin que la victime puisse rester anonyme.

Retrouvez le magazine d’enquête régionale, mercredi 1euh Mai 2024, à 23 heures, sur France 3 et en replay, ici.

K. Singh, T. Tavitian, C. Moschetti, G. Danré

 
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