« Outre-mer, s’attaquer aux racines profondes des inégalités pour ne pas voir les drames du passé se répéter »

« Outre-mer, s’attaquer aux racines profondes des inégalités pour ne pas voir les drames du passé se répéter »
« Outre-mer, s’attaquer aux racines profondes des inégalités pour ne pas voir les drames du passé se répéter »

Il existe des marges de manœuvre pour améliorer le pouvoir d’achat des outre-mer, sans pénaliser les entreprises locales ni les finances des collectivités, estime Philibert Camus, diplômé en affaires publiques.

La question du coût de la vie à l’étranger n’est pas nouvelle, mais elle n’en reste pas moins douloureuse et pressante. Le prix moyen des denrées alimentaires oscille entre 40 % et 80 % plus cher qu’en France métropolitaine, et cet écart n’a fait que se creuser ces quinze dernières années. C’est cette explosion continue du coût de la vie qui est à l’origine de l’embrasement depuis début septembre en Martinique. Les dégâts causés par les émeutiers sont importants : plus de 500 000 euros, selon la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) ou encore une baisse de 40 % du chiffre d’affaires pour les commerçants de Fort-de-France.

Ces événements n’est pas sans rappeler les grèves massives de 2009 qui avaient paralysé les économies locales de Guadeloupe et de Martinique avec respectivement 44 et 38 jours de grève ininterrompue et avaient entraîné la mort tragique d’un syndicaliste. Les mesures obtenues par les manifestants à travers le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon (« Collectif contre l’exploitation ») et les associations identitaires locales avaient permis un retour à l’ordre et à la sérénité au prix de dégâts importants et coûteux.

À LIRE AUSSI : « Ce sont des réformes structurelles dont les Ultramarines ont besoin »

Pour l’instant, le niveau de violence de 2009 n’a pas été atteint. Mais faut-il attendre de retrouver une situation similaire avant de réagir ? S’attaquer aux racines profondes de ces inégalités avec pragmatisme et courage est le seul moyen d’éviter de voir les tragédies du passé se répéter, voire s’amplifier. Surtout à l’ère des réseaux sociaux qui font office de caisse de résonance, il est bien plus facile de mobiliser les habitants de l’île aux fleurs et de l’île aux papillons. En témoigne la notoriété virale de Rodrigue Petitot, alias « Le R », ancien délinquant condamné à la prison pour trafic de drogue, devenu l’un des symboles du mouvement populaire actuel. Afin de repenser l’économie d’outre-mer de manière systémique, en agissant sur les leviers fiscaux, économiques et législatifs, il convient de s’interroger sur la responsabilité de l’octroi de mer et de la grande distribution dans cette crise économique.

L’Outre-mer, pas une lointaine extension de la France

Si l’octroi de mer, taxe sur les produits importés d’outre-mer, peut légitimement être perçu comme injuste, il n’en reste pas moins qu’il permet de financer les collectivités locales et d’assurer leur autonomie : 1,5 milliard d’euros de recettes en 2022, un record. La suppression d’un tel levier fiscal pour tout le monde et pour tout serait radicale et injustifiée. Il serait préférable, voire urgent, d’exonérer de cette taxe les produits de première nécessité et de la renforcer sur les biens de confort afin de protéger les ménages tout en préservant l’équilibre fragile des finances publiques des collectivités d’outre-mer.

LIRE AUSSI : « Les Outre-mer méritent infiniment mieux que les cinq années qui viennent de s’écouler »

Quant aux grands magasins, souvent accusés de manque de transparence dans la fixation des prix, il semble injuste de leur tirer dessus avec des balles rouges. Comme l’a bien expliqué Stéphane Hayot, directeur général de GBH (Groupe Bernard Hayot), lors de son audition à l’Assemblée nationale en mai 2023, les écarts de prix avec la métropole ne proviennent pas de mauvais comportements des entreprises, mais plutôt de contraintes structurelles dont Les principales causes sont la taille des marchés et l’éloignement géographique des sources d’approvisionnement. D’autant que les marges des grands acteurs locaux de la grande distribution ont diminué – entre 1 % et 3 % – pour l’essentiel de manière identique à celles de la France métropolitaine.

LIRE AUSSI : Calédonie, Guadeloupe, Mayotte… Entre la France et ses territoires d’outre-mer, la confiance à retrouver

C’est pourquoi il est impératif, en concertation avec toutes les parties prenantes, d’exonérer de l’octroi de mer les produits de première nécessité et de renforcer les relations commerciales avec les pays proches des DROM, pour leur permettre de s’approvisionner plus facilement. avec les pays voisins des Caraïbes ou de l’océan Indien. Il ne faut pas non plus demander aux acteurs locaux de la grande distribution d’organiser une baisse générale des prix mais leur imposer une baisse des prix sur un panier défini de produits essentiels, réduction qui doit nécessairement être proportionnelle à la suppression de l’octroi de mer sur ces produits. C’est en agissant sur le niveau des prix sans trop mettre à rude épreuve les finances publiques et sans nuire à la compétitivité des entreprises locales qu’il sera possible de concilier préservation de l’emploi, croissance économique et vie meilleure.

LIRE AUSSI : Présidentielle 2022 : au second tour, Outre-mer choisit le vote ultra-Marine

Il est temps de cesser de considérer l’outre-mer comme une simple extension lointaine de la France et de reconnaître ses particularités géographiques, économiques et sociales. Le coût élevé de la vie est symptomatique d’un profond décalage entre les mesures uniformes et la réalité insulaire. La colère gronde et ne s’apaisera que lorsque des réponses structurelles, justes et durables seront apportées.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Un mois de septembre moyen pour la SOPFEU
NEXT Aux Etats-Unis, Donald Trump dépassé par les révélations inédites de la justice – Libération