« Dès la petite école, les jeux vidéo sont plus importants que la musique pour les jeunes qui veulent affirmer leur identité. Alors oui, le jeu vidéo est une industrie culturelle, peut-être plus que le cinéma. » Selon cette logique, les jeux vidéo méritent au moins les mêmes considérations financières de la part de Patrimoine canadien.
C’est ce que révèle un mémoire déposé la semaine dernière au gouvernement fédéral par des représentants du secteur du jeu vidéo qui demandent de revoir la façon dont fonctionne le Fonds des médias du Canada (FMC) afin de donner aux œuvres vidéoludiques la place qui leur revient eux dans le financement du contenu culturel canadien.
«Nous sommes favorables à une mise à jour du FMC et à sa modernisation pour mieux inclure les jeux vidéo», résume Pascal Nataf, fondateur d’Affordance Studio et président d’Indie Asylum, un organisme qui fait office de porte-parole des studios. indépendants du jeu vidéo de tout le pays. M. Nataf a participé avec des chercheurs de l’Université du Québec et de l’Université de Montréal, ainsi que d’autres professionnels de l’industrie, à la rédaction de la thèse soumise au FMC.
« Le jeu vidéo est une œuvre culturelle largement exportée, qui connaît plus de succès commercialement que le cinéma, qui valorise le travail de toutes sortes d’artistes, illustrateurs, musiciens… Maintenant que nous taxons les plateformes de contenus numériques, le Fonds restituera toutes l’argent à la culture, mais rien aux jeux vidéo. Nous demandons seulement que le jeu vidéo soit considéré [dans la répartition du FMC]. »
Le prochain Denis Villeneuve ?
Le FMC est une société à but non lucratif qui soutient l’industrie canadienne de la télévision et des médias numériques grâce à l’argent qu’il reçoit du gouvernement du Canada et des distributeurs de télévision canadiens.
Depuis une douzaine d’années, une partie de l’argent distribué par la FMC est allée à un volet dit « expérimental », réservé aux « contenus numériques » et aux « logiciels interactifs ». Les jeux vidéo entrent dans cette catégorie. Au fil du temps, elles sont devenues la grande majorité des demandes de financement adressées au FMC, pour obtenir des fonds de ce volet expérimental.
Une douzaine d’années plus tard, tout cela n’a plus rien d’expérimental, affirment les représentants du jeu vidéo dans leurs mémoires. Il faut « perpétuer les studios dans leur rôle de créateurs et d’exportateurs de la culture canadienne », soutiennent-ils.
« Il faut réinvestir dans le soutien financier au développement du jeu vidéo en doublant, au minimum, l’enveloppe actuelle dédiée aux projets », propose le mémoire, qui fait deux suggestions supplémentaires : qu’au moins un représentant du secteur indépendant du jeu vidéo soit permanent au conseil d’administration du FMC et que le Fonds se rapproche un peu plus des incubateurs et accélérateurs qui aident déjà les nouveaux studios à se lancer en affaires.
« Le FMC est un outil de financement assez unique au monde », estime Pascal Nataf. Elle a permis à des réalisateurs comme Denis Villeneuve et Xavier Dolan de s’imposer à l’international. Il a également contribué à la création de studios comme Behaviour Interactive. Behaviour est aujourd’hui le plus grand studio de jeux vidéo canadien.
« Nous n’avons pas beaucoup de capitaux privés au Canada pour aider les jeux vidéo. Le rôle de FMC est tout à fait crucial, surtout si nous voulons continuer à créer des sièges sociaux au Canada et renforcer notre place dans l’industrie mondiale qui traverse une période de consolidation. »
Une part croissante du PIB
Au Canada, ce sont les gouvernements provinciaux, notamment ceux de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec, qui aident le plus l’industrie du jeu vidéo. Le gouvernement fédéral propose une aide plus modeste et indirecte, notamment via un crédit d’impôt lié à la R&D et un autre crédit lié aux exportations.
Cependant, cette industrie occupe une part toujours croissante de l’économie canadienne. Il représentait 5,5 milliards de dollars du PIB canadien en 2021, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2019, selon l’Association canadienne du logiciel de divertissement. Elle emploie 32 000 personnes, dont 18 000 au Québec.
Malgré cela, la création de nouveaux jeux et de nouvelles sociétés reste précaire, compte tenu des longs délais entre le développement d’une œuvre et sa vente. D’où l’importance pour ce secteur d’un outil de financement comme le FMC.
« Si la FMC pouvait se rapprocher un peu du jeu vidéo, tout le monde en bénéficierait », conclut Pascal Nataf.