« Une société qui ne rit pas, elle meurt ! » – .

« Une société qui ne rit pas, elle meurt ! » – .
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Interview réalisée par Eden Levi Campana pour AJ Mag numéro 1007

Dans le prolongement d’une carrière hors du commun, riche d’intelligence et de générosité, Michel Boujenah part en tournée avec son nouveau spectacle : Adieu les Magnifiques – « le magnifique » étant Maxo, Julot, Guigui, trois vendeurs de pantalons, trois personnages qui ont fait son succès.
En marge de sa tournée, Michel Boujenah a été invité à présider le jury de la quatrième édition du festival Dia(s)porama, qui porte un regard critique sur le cinéma juif international et qui s’est tenu du 22 janvier au 5 février. C’est dans l’espace commun de la salle Rachi que nous nous sommes assis à une table d’angle avec Michel Boujenah afin qu’il nous parle de son nouveau spectacle.

AJ MAG : Un mot sur votre nouveau show ?
Michel Boujenah : Je suis un peu déçue par le décalage horaire mais oui, volontiers. Mon nouveau spectacle s’appelle « Adieu aux Magnifiques ». J’ai décidé de dire au revoir aux trois personnages que j’aime tant. Ils sont drôles et émouvants. Ils sont la version imaginaire de la génération de mon père. Bien avant Internet et tout le reste, ils se demandaient si on se souviendrait d’eux dans deux ou trois générations – ils disaient souvent que dans deux ou trois générations, on penserait que « le magnifique » était une marque de fromage ! L’écart entre eux et leurs petits-enfants est tel qu’ils sont sûrs qu’ils vont disparaître. Mais c’est sans compter sur le bon Dieu qui viendra à leur secours. Alors, à travers le rire et l’humour qui les caractérisent, ils vont se battre et bien sûr gagner.

Les petits-enfants sont les mêmes que Viv dans Less Than Kosher [qui a remporté le Prix du Jury au dernier Dia(s)porama – ndlr] ?
Ça pourrait. J’adore ce film qui raconte l’histoire d’une jeune femme, « mauvaise juive » mais qui a une voix exceptionnelle et que le rabbin engage pour devenir chantre de sa synagogue. C’est merveilleux ; c’était mon film préféré. C’est drôle : j’ai intégré l’histoire de ce film comme s’il se passait en Israël, parce qu’il ressemble tellement à la vie à Tel Aviv, avec cette fille tiraillée entre tradition et modernité, son envie de vivre dans le monde d’aujourd’hui, comme le le fils de rabbin, qui délibérément, par provocation, fume le samedi, boit de l’alcool… Et en même temps, forcément, elle se découvre ou se retrouve en chantant la liturgie juive. Cela illustre très bien la phrase du Talmud qui dit : « Jetez votre bâton en l’air : il retombe toujours au même endroit. » Nous ne pouvons pas échapper à qui nous sommes. J’en suis la preuve vivante, moi qui ai vécu jusqu’à 25-26 ans comme « presque non juif ».

Ce qui s’est passé ?
Finalement, je suis revenu, mais par beaucoup de chemins compliqués. Les enfants handicapés mentaux avec lesquels je travaillais me rendaient jaloux de la qualité du travail qu’ils accomplissaient. Je voulais être comme eux. Ils étaient dans des écoles où il n’y avait que dix élèves par classe, entourés de psychiatres, etc. Ils étaient dispersés dans différents lycées de Paris – c’était une sorte de mini-ghetto dans les lycées. Tout le monde les appelait « les fous », ils me donnaient envie.

Des enfants juifs ?
Juifs dans la mesure où ils vivaient dans un ghetto. Les Juifs dans le sens où ils constituaient une minorité au milieu d’une large majorité, et se considéraient comme différents – et eux-mêmes se considéraient ainsi eux-mêmes également. Le jour où ils ont vu Volodia, ils se sont tellement identifiés qu’ils ont fait un spectacle sur la folie, et c’était extraordinaire. Ils avaient un énorme succès à l’époque : les gens venaient de partout pour voir leur spectacle à la fin de l’année, c’était incroyable, phénoménal. J’avais une demi-page dans Le Monde. C’était il y a longtemps, j’avais 22 ans – j’en ai maintenant 71. Ce n’était pas moi qui faisais la série. Je n’écrivais pas. J’étais le seul à l’avoir autorisé. Je me suis convaincu que c’était possible en leur disant que c’était possible. Alors au bout d’un moment, j’étais jaloux et je voulais être comme eux. Et puis, il y a eu la découverte de l’antipsychiatrie… Je venais d’un théâtre militant. Je viens d’extrême gauche. J’ai suivi les cours de Michel Foucault au Collège de France. Je viens d’un endroit où tu ne parlais pas de toi. Les retrouvailles avec des amis de Tunis avec qui nous allons manger des merguez, j’avais presque oublié.

Même en famille ?
A 22 ans ? J’allais manger du couscous chez ma mère, mais c’était juste culinaire. Pour moi, il n’y avait aucun symbolisme derrière cela – du moins, je ne m’en rendais pas compte. Et puis, j’ai décidé de faire un spectacle qui soit une métaphore autour de mon histoire – parce que je ne ressemble pas du tout à mes personnages. Je suis un intellectuel, fils d’un médecin juif tunisien, communiste, intellectuel, très cultivé. Mais ce sont mes gens. Et avec ce spectacle, tout à coup tout est devenu clair, il n’y avait plus de brouillard.

Est-ce ainsi que le succès est né ?
C’était laborieux… A 25 ans, toujours rien. J’étais désespéré. Un jour, mon père m’a demandé ce que je voulais faire de ma vie et j’ai fondu en larmes. Les enfants ont réussi – grâce à eux, pas grâce à moi. J’étais au bout du rouleau. J’ai commencé ce métier à 17 ans, je me débattais depuis des années. J’ai créé beaucoup de spectacles avec ma troupe. Nous n’avions que trois spectateurs. Je n’ai pas souffert quand je travaillais ; J’étais pleine d’énergie, pleine de force, pleine d’envies, pleine de rêves. Mais j’étais sur la mauvaise voie. J’ai réalisé que le théâtre, s’il n’y a pas de public, ne sert à rien. Ce n’est pas comme un film, un livre ou de la musique. Un livre peut être lu par trois personnes et puis, cinquante ans plus tard, quelqu’un le découvrira et le trouvera génial. Mais ce n’est pas le cas du théâtre, du spectacle vivant. J’ai dit à mon père que ça ne servait à rien de faire des spectacles si la salle était vide.
Finalement, le succès est venu le jour où j’ai fait une émission sur un petit juif qui arrive à Sarcelles – c’est parti ! Non seulement j’ai ressenti une grande joie en le faisant, mais le public aussi ; il y a eu la réunion. C’est pourquoi cette histoire de Less Than Kosher et le personnage de cette fille me touchent très fort.

Less Than Kosher a remporté le Prix du Jury à l’unanimité ?
Oui. Il y a eu de grandes discussions sur les films. Pascal [ndlr : Pascal Elbé], en particulier, aime discuter, parfois il est lourd (rires). Au final, nous étions presque tous d’accord sur le choix des films. Pascal, c’est un bonheur, c’est comme un petit frère, mais il m’a quand même dit : « Quand on parle de cinéma, on parle de cinéma ! » Attention, ce n’est pas parce qu’on rit qu’on n’est pas sérieux. Il faut arrêter de mettre en conflit le rire et le sérieux. Le rire est très sérieux, et c’est très sérieux de faire rire les gens. Il n’y a rien de plus important que le rire. Une société qui ne rit pas, elle meurt ! Qu’est-ce que l’humour sinon la tragédie ? C’est une vraie question. Regardez les travaux d’Avner Ziv, professeur de psychologie à l’université de Tel Aviv. Lisez ses livres à ce sujet, c’est génial

. Pour moi, c’est plus instinctif, ce n’est pas réfléchi. J’aime rire, c’est ma vie. Un jour où je ne ris pas, je suis foutu. Je trouve toujours une façon de rire, c’est obsessionnel. C’est parce que j’en ai besoin.
Michel Boujenah regarde en direction de Pascal Elbé et poursuit avec le sourire :
– Ce n’est pas pour son intelligence que j’aime Pascal Elbé. J’aime Pascal Elbé parce qu’il me fait rire. En plus, il est intelligent aussi – enfin, ça reste à prouver (sourire), mais de toute façon, il n’entend pas d’ici !
Il se lève et va rejoindre Pascal Elbé. Ce dernier discute avec Patrick Braoudé et l’équipe de Dia(s)porama. Il se place derrière lui, approche son oreille et répète plus fort :
– Ce n’est pas pour son intelligence que j’aime Pascal Elbé. J’aime Pascal parce qu’il est drôle. Et c’est le seul type drôle qui soit un connard. Tu vois ? Vous avez compris ?
Pascal Elbé se retourne, le sourire aux lèvres, prend Michel Boujenah dans ses bras et lui dit :
– Le seul président qui confond hébreu et anglais, franchement, que dire de ça ?

Ils se mettent tous les deux à rire, suivis par le groupe. L’interview se termine donc dans un immense éclat de rire général.

 
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