Y a-t-il trop de fonctionnaires ?

Il faut bien avouer que c’est tentant. D’un côté, un bon paquet de milliards d’économies à trouver ; de l’autre, 5,7 millions de fonctionnaires (au 31 décembre 2022)… Franchement, n’y aurait-il pas dans cette pléthore un bon nombre de « gisements d’efficacité » à exploiter, voire quelques « mammouths » à tailler ?

Un simple coup d’œil au nombre de postes non pourvus dans les concours d’enseignement ou à la pénurie de personnel soignant dans les hôpitaux devrait suffire à jeter le doute sur la pertinence de cette idée « empreinte de bon sens ». Mais s’il en était besoin, les comparaisons internationales montrent que, contrairement à ce que l’on imagine souvent, la situation française n’est pas exceptionnelle.

Bien sûr, ces comparaisons sont difficiles à établir, car le périmètre de « l’emploi public » et de la « fonction publique » varie d’un pays à l’autre. Cependant, lorsqu’il est mené avec toutes les précautions nécessaires, comme l’a fait France Stratégie il y a quelques années, l’exercice révèle la situation relativement ordinaire de la France. En termes de nombre d’administrations publiques, par exemple, « La France est située dans le «moyen élevésans entrer dans des zones atypiques”notez le groupe de réflexion gouvernemental.

Cette position (élevée, mais assez éloignée des pays scandinaves) est plus ou moins maintenue si l’on prend en compte tous les emplois – privés et publics – financés directement ou indirectement par l’impôt.

As France Stratégie explains, « La France fait partie du groupe des pays européens qui ont choisi de privilégier l’emploi direct à la délocalisation, contrairement au Royaume-Uni, alors que les pays du nord de l’Europe combinent les deux dimensions ».

Des évolutions contrastées

Par ailleurs, après une croissance soutenue jusqu’au début des années 2000, la croissance de l’emploi public s’est fortement ralentie, voire parfois inversée. Les trajectoires divergent selon les secteurs : la fonction publique d’État (FPE) a vu ses effectifs stagner depuis vingt ans, tandis que le secteur territorial a continué d’accueillir des personnels dans le cadre des processus de décentralisation (personnels techniques et de maintenance de l’Éducation nationale, notamment). La croissance des effectifs de la fonction publique hospitalière (FPH) a été plus linéaire.

Ces évolutions correspondent essentiellement au besoin de développer et d’améliorer les services publics pour une population croissante, qui a besoin de personnels administratifs pour faire fonctionner les services, mais aussi et surtout de personnels de santé, d’enseignants, de policiers, d’auxiliaires de puériculture en crèche… Tous ces métiers relationnels forment l’essentiel des bataillons de la fonction publique et dont il serait absurde d’espérer des « gains de productivité » significatifs.

Les professions relationnelles (enseignants, aides-soignants, policiers) constituent l’essentiel des bataillons de la fonction publique. Il serait absurde d’espérer des « gains de productivité » significatifs

En fait, depuis le milieu des années 1990, l’emploi public a progressé au même rythme que l’emploi total. Et si l’on zoome sur les dix dernières années, sa part dans l’emploi total a même diminué. Cela ne signifie pas que le nombre d’agents publics a diminué (il a augmenté de plus de 80 000 entre 2014 et 2022, selon l’Insee), mais qu’il a augmenté nettement moins vite que l’emploi privé. On est donc très loin du gaspillage.

Situations précaires

Enfin, quand on dit fonction publique, on ne dit pas toujours fonctionnaire : seuls deux tiers des agents ont ce statut, une proportion en baisse. A l’inverse, la part des contractuels a régulièrement augmenté pour atteindre 22 % fin 2021. La même année, seulement 17 % des entrées (recrutements, retours de congé maternité ou mises à disposition) dans la fonction publique se sont faites sous le statut de fonctionnaire.

Loin d’être, par définition, un « emploi à vie », ces contractuels sont dans une situation beaucoup plus précaire : moins bien rémunérés, la moitié d’entre eux sont en contrat à durée déterminée, et deux fois plus souvent à temps partiel que les salariés statutaires.

Se concentrer sur le nombre de fonctionnaires appauvrit le débat politique en le détournant de questions fondamentales telles que « quelle qualité de service public voulons-nous ? »

Il est certes toujours nécessaire de veiller à l’utilisation efficace des deniers publics. Mais, comme pour les impôts (« trop ou pas assez ? »), se focaliser sur « le nombre de fonctionnaires » appauvrit le débat politique en détournant les questions les plus importantes : quelle qualité de service public voulons-nous ?

De ce point de vue, quels sont les avantages de l’emploi public par rapport au secteur privé ? Quels services veut-on rendre accessibles à tous ? Lesquels veut-on abandonner au libre jeu du marché ? Telles sont les questions qui méritent une plus grande place chaque automne, au moment du débat budgétaire.

Retrouvez notre série « 10 questions pour comprendre le débat sur le budget 2025 »

 
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