MBOW, UNE VIE AUX CENTS FINS – Lequotidien

MBOW, UNE VIE AUX CENTS FINS – Lequotidien
MBOW, UNE VIE AUX CENTS FINS – Lequotidien

Amadou Makhtar Mbow, qui a fêté ses 103 ans le 20 mars dernier, a eu plusieurs vies mouvementées. Ministre, directeur général de l’UNESCO, président du CNRI, de la Conférence nationale, homme politique, cette légende vivante n’a jamais visité la roche tarpéienne, car il a toujours mis son énergie au service de nobles causes.Par Bocar SAKHO –

Amadou Makhtar Mbow est un mortel : il est décédé hier à l’âge de 103 ans, après avoir traversé les époques et les générations. Mais, il restera éternel comme le montre sa longévité au service de son pays. Il est le dernier plus grand témoin de l’histoire politique moderne du Sénégal. Le dernier des 10 ministres du premier gouvernement du pays établi le 20 mai 1957. Le dernier père fondateur du Sénégal en vie après les décès de Senghor, Dia, Abdoulaye Ly, entre autres, qui furent les poutres d’une Nation sénégalaise en construction. Il l’a accompagnée jusqu’après l’âge adulte en mettant son expertise, son expérience et son amour à son service.
Le 20 mars 2021, il célébrait ses 100 ans. Un siècle rempli de batailles, de victoires célébrées, et de parties parfois perdues. L’essentiel est ailleurs : c’est un homme qui n’a jamais manqué d’axer le cours de son engagement sur les enjeux essentiels au développement humain. Au crépuscule de sa vie (87 ans), il fut le moteur de son pays. Coordonnateur des Conférences nationales dont il est le garant moral, président de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI), M. Mbow a offert son expérience et ses compétences professionnelles à son pays. En revanche, il aura peut-être un goût de cendre dans la bouche lorsqu’il jettera un œil sur ces documents qui devaient propulser son pays dans une autre ère. De toute évidence, sa responsabilité ne sera pas engagée. L’élite nationale a décidé d’abandonner les résultats de ce travail dans les tiroirs de leurs bureaux. Alors qu’ils l’avaient tiré de sa paisible retraite pour lui confier cette œuvre colossale. Révolutionnaire ! Mais la classe dirigeante a décidé de maintenir le statu quo actuel pour polir davantage son pouvoir, écrasant une population. 60 ans après l’indépendance, elle est soumise aux diktats d’un régime politique dont le fonctionnement est désuet et oppressif. Quelle déception ! Lors de la célébration de son 90e anniversaire, Mbow a rappelé qu’il faut « bannir la gestion solitaire ». Il a insisté sur la promotion de la « bonne gouvernance, qui implique tout le monde pour parvenir à l’émergence ». Ce jour-là, il s’était exprimé sur des questions toujours d’actualité : « Nous ne devons plus accepter que nos terres soient données à des étrangers venus d’ailleurs, tandis que les bénéficiaires restent ici pour les regarder faire. »
« Nous ne devons plus accepter que d’autres viennent prendre nos richesses, les utiliser au détriment de notre peuple. Les nouvelles autorités doivent penser à donner les moyens aux populations pour qu’elles puissent cultiver ces terres pour un développement durable. »
Sa vie est un message d’optimisme. « Il ne faut jamais penser que certaines personnes ont atteint des sommets que vous ne pourrez jamais atteindre. Seul le travail paie », dit-il, faisant référence à son parcours pour encourager les jeunes à repousser leurs limites. « Rien n’est acquis d’avance dans la vie et les jeunes doivent toujours donner le meilleur d’eux-mêmes pour devenir de grandes personnalités et mieux servir leur pays. Avec de la volonté, de la constance et de la patience, on peut tout réaliser, et les jeunes doivent savoir que s’ils s’efforcent toujours de travailler pour atteindre le plus haut niveau de connaissance, ils y parviendront. Les Occidentaux n’ont jamais cru qu’un jour un Noir ou même un Sénégalais les supplanterait. Ils pensaient qu’ils continueraient à dominer, mais aujourd’hui c’est le contraire », conseille le patriarche.
Tout au long de sa vie, Amadou Makhtar Mbow a été animé par une énergie débordante d’initiatives de réformes. A l’UNESCO, il a dû faire preuve de résilience pour résister aux pressions des grandes puissances. Il a connu la maison où il a été nommé sous-directeur général pour l’éducation en 1970. Puis, élu en 1974 et réélu en 1980, il a été directeur général de l’institution de 1974 à 1987. M. Mbow a été un réformateur à l’UNESCO où il a supervisé les travaux du secrétariat de la Convention du patrimoine mondial en tant que directeur et a reçu les premières ratifications qui ont permis l’entrée en vigueur de la convention et vu l’inscription des premiers sites sur la Liste du patrimoine mondial en 1978. Dans un monde bipolarisé, il a dû être guidé par l’intérêt commun pour oser provoquer de tels bouleversements.

Patrimoine vivant
Cette situation ne plaît pas aux Etats-Unis, irrités par le fonctionnement de l’institution onusienne. Les reproches sont structurels, personnels et politiques. La confrontation entre Washington et les instances dirigeantes de l’UNESCO, soutenues par les pays du tiers monde et l’URSS, est dure. Considérant l’UNESCO comme « un nid de communistes », les USA dénoncent le clientélisme plutôt que la compétence et le mérite dans le choix des hommes, les frais honorifiques, soutiennent que 80% du budget est absorbé par le siège à Paris.
Ces craintes s’ajoutent à l’instauration du Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic). Sous sa direction, la commission dirigée par Seán MacBride rend un rapport intitulé Many voices, one world, qui présente des recommandations pour établir un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication plus équitable après avoir « identifié des problèmes dans les structures internationales de communication, notamment un déséquilibre dans les flux d’information, l’accès à ceux-ci et leur contrôle ». Si l’instrument suggère une alternative à « la domination occidentale en matière d’information », ses détracteurs, notamment les Américains et les Anglais, dénoncent une manière de contrôler la presse et la liberté d’expression. Évidemment, les positions restent figées : le directeur général de l’UNESCO, Amadou Makhtar Mbow, est considéré « comme l’incarnation de tous ces défauts de forme et de fond ». Il se défend avec vigueur : dans sa réponse au secrétaire d’État américain du 18 janvier 1984, il déclare : « Malgré les difficultés actuelles du monde, et on pourrait dire à cause de ces difficultés, le rôle de l’UNESCO et les tâches qu’elle accomplit sont essentiels pour l’ensemble de la communauté internationale. » En cette période de grands changements, où des changements profonds affectent et affecteront de plus en plus la vie de toutes les sociétés, il apparaît vital pour l’humanité de disposer d’un forum de consultation et d’action où tous ceux qui pensent et agissent dans les domaines de compétence de l’UNESCO puissent dialoguer, établir des programmes communs et les mettre en œuvre. L’organisation s’est efforcée de remplir cette mission dans l’intérêt des communautés éducatives, scientifiques et culturelles avec lesquelles elle coopère, et dans celui de la grande majorité de ses États membres, malgré les ressources limitées dont elle dispose. Washington quitte l’UNESCO, gèle ses financements pour forcer un « tiers-monde » prétentieux et ambitieux à capituler.
Mbow a mené son combat en jetant toutes ses forces dans la réussite des réformes entreprises. Il a en même temps perdu de nombreuses plumes. Sous la pression, Amadou Makhtar Mbow a quitté la tête de l’UNESCO quelques années plus tard, après que la plupart des grandes puissances ont dû céder au chantage américain. Plus de 30 ans plus tard, Me Abdoulaye Wade a dû s’engager dans un combat qui n’a pas eu la même résonance, mais qui avait le même objectif : réduire la fracture numérique. Autant de combats que des esprits obtus ou attirés par leur gloire personnelle n’auraient jamais engagés.

Expérience militaire et universitaire
A l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, dont le siège est à Paris, le Nomic a eu le même écho que le projet d’Histoire générale de l’Afrique pour remédier à l’ignorance généralisée sur le passé du continent. Il s’agit d’un projet en 8 volumes mené par plus de 230 historiens et autres spécialistes depuis plus de 35 ans. Il est coordonné par le Burkinabé Joseph Ki-Zerbo, qui se bat pour les mêmes valeurs. A travers cette production scientifique, l’Afrique a dû réécrire sa propre histoire. Ce qui n’a rien à voir avec la vérité des colonisateurs qui ont pillé le continent et écrit son histoire selon leurs propres grilles de lecture.
Né le 20 mars 1921 à Dakar, Amadou Makhtar Mbow n’est qu’un gamin destiné à intégrer l’école William Ponty. Comme la plupart des jeunes cadres en formation à l’époque coloniale, il est prédestiné à devenir enseignant. M. Mbow ne suit pas cette voie qu’il empruntera plus tard. A 18 ans, il est incorporé par l’armée française pour prendre part à la Seconde Guerre mondiale. Il est recruté par l’armée de l’air comme volontaire en mars 1940. Au bout de 8 mois, il est démobilisé, avant de reprendre son uniforme militaire en janvier 1943.
À l’issue de ce conflit, il décide de poursuivre ses études d’ingénieur aéronautique en .
Ambitieux et travailleur « acharné », il obtient son baccalauréat littéraire. Il s’inscrit à la Sorbonne où il obtient une licence d’enseignement littéraire. M. Mbow retourne en Afrique où il enseigne l’histoire et la géographie au collège Rosso en Mauritanie, au légendaire lycée Faidherbe de Saint-Louis, puis à l’Ecole Normale Supérieure de Dakar. Militant pour l’indépendance du Sénégal, membre fondateur du Pra-Sénégal, il devient ministre de l’Éducation nationale (1966-1968), puis de la Culture et de la Jeunesse (1968-1970). Il est ensuite élu député au Conseil exécutif en 1966 et au Conseil municipal de Saint-Louis.
Aujourd’hui, ce pays perd une boussole qui lui indique le chemin à suivre dans un pays pris dans un tourbillon politique. Il est parti sans encombre.
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