« Je reconnais les faits (…) je suis le traducteur » qui a servi d’interface entre les otages et leurs ravisseurs yéménites d’Al-Qaïda, a déclaré d’une voix faible l’accusé de 42 ans.
Les déclarations inattendues du jihadiste, resté muet depuis le début de son procès, soupçonné notamment d’avoir joué un rôle aux côtés d’un des assaillants contre Charlie Hebdo en janvier 2015, ont eu l’effet d’un coup de tonnerre dans la salle d’audience réservée aux « grands procès ».
« Je n’étais pas au courant du projet d’enlèvement »
« Je regrette d’avoir participé à tout ça », « je n’étais pas au courant du projet d’enlèvement » des humanitaires, a expliqué Peter Cherif debout dans son box en costume noir, chemise blanche et cravate. « C’était une situation compliquée pour moi », a-t-il assuré. « Ce que j’ai pu faire, dire, c’étaient les ordres du chef ». « Si je n’avais pas été là, je suis convaincu que les conditions (de détention des otages) auraient été encore plus difficiles », s’est-il justifié.
Au cours de l’enquête, Peter Cherif a nié toute implication dans cet enlèvement. Les enquêteurs ont toutefois établi qu’il était présent au Yémen lorsque les trois humanitaires français de l’ONG lyonnaise Triangle Génération Humanitaire ont été enlevés en mai 2011 par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).
Le témoignage émouvant d’un ancien otage
Les aveux spontanés de Peter Cherif interviennent après le témoignage émouvant devant le tribunal d’une des anciennes otages, Amélie (nom d’emprunt), 45 ans, qui a affirmé que l’accusé avait été l’un de ses geôliers. « J’ai le sentiment que, clairement, c’est cette personne (dans le box des accusés) qui était là » lors de notre détention, a-t-elle dit. Elle a pointé du doigt la « corpulence » de l’accusé, ses « chevilles abîmées » correspondant à des blessures lors d’un saut en parachute à cette époque. Et surtout sa « voix », qu’elle a entendue lundi à l’audience.
« Vous étiez très forte, Madame… »
« Vous étiez très forte, Madame… Les conditions (de détention) étaient très dures », a répondu Peter Cherif.
« Pourquoi reconnaître les faits maintenant ? », s’interroge Frédérique Aline, la présidente de la cour d’assises spéciale. « Je veux que Madame puisse tourner la page de cette histoire. J’assume mes responsabilités. Par respect pour cette personne. Le silence n’aurait servi à rien », répond Peter Cherif.
Les trois humanitaires français ont été enlevés le 28 mai 2011, alors qu’ils rentraient chez eux dans la ville yéménite de Seyoun. Séquestrés dans une « grotte » du désert, puis dans d’autres lieux, ils n’ont été libérés qu’en novembre 2011.
Amélie et les deux autres ex-otages, Pierre et Léa (qui ont tous deux témoigné par vidéo) ont décrit des conditions de détention très éprouvantes. La nuit notamment, les otages avaient des chaînes aux pieds. « J’avais l’impression d’être un objet, une marchandise, comme rien », se souvient Amélie, la voix tremblante.
« Je ne savais pas qu’ils étaient humanitaires »
Pour communiquer avec les ravisseurs qui ne comprenaient ni ne parlaient le français ou l’anglais, ils communiquaient avec « le traducteur », qu’ils avaient aussi surnommé « le Français » en raison de son français parfait. Durant toute leur détention, les otages n’ont jamais vu son visage, toujours caché par un foulard.
« Le témoignage de Madame concorde avec ce que j’ai pu observer en partie », confirme Peter Cherif. « Je ne savais pas qu’il s’agissait d’humanitaires. J’ai été appelé par mes supérieurs et on m’a demandé de traduire et de rester avec eux », poursuit-il, la voix de plus en plus basse.
Arrêté à Djibouti en décembre 2018, Peter Cherif est jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Outre son implication dans l’enlèvement de humanitaires français au Yémen, il doit également répondre du rôle qu’il aurait joué dans le recrutement de son ami d’enfance, Chérif Kouachi, l’un des auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo.
Le procès devrait se poursuivre jusqu’au 4 octobre.