le malaise identitaire d’une Amérique dépossédée et divisée

le malaise identitaire d’une Amérique dépossédée et divisée
le malaise identitaire d’une Amérique dépossédée et divisée

À Springfield, les chats et les chiens de Johnny-Lytle Avenue, au sud de cette ville de l’Ohio, n’ont jamais été aussi photographiés. Une femme indigène, assise sur une balançoire éventrée, interrompt la lecture de son roman romantique (De parfaits inconnusde Geissinger). « J’en ai marre de ce safari photo ! » Quand soudain, un chat roux s’échappe d’un buisson. « Quelle chance ! C’est le moins timide du coin. Peut-être qu’il te parlera ! »

South Springfield ressemble à une sorte de chatterie à ciel ouvert dans ce quartier avec ses élégantes petites maisons en bois, mais souvent délabrées, et dont les planches fixées aux fenêtres témoignent de la disparition d’une classe ouvrière qui était l’épine dorsale de cette Amérique aujourd’hui disparue. La Rust Belt désindustrialisée s’est dépeuplée… La voilà repeuplée par des Haïtiens que Donald Trump, reprenant des informations non vérifiées lors du débat contre Kamala Harris, accuse carrément de manger les animaux de ces derniers Américains dont la seule richesse consiste souvent en une vieille Oldsmobile aux pneus lisses et aux pare-chocs maintenus par de l’adhésif, et dont le seul réconfort, parfois la seule compagnie, se trouve être ces chats qui ne savent rien de l’élection présidentielle.

Polarisation des tensions

Autour de sa petite maison du quartier de Southgate, Diane Scott a installé des panneaux : « Sors d’ici ! » Et « Le chien va te mordre ! » Elle nous assure que cela n’a rien à voir avec les rumeurs, mais elle préfère prévenir les intrus, « et puis ça décore bien pour Halloween ! » elle a ajouté. « Je vais voter pour Trump », nous dit Diane sans hésiter. « C’était un bon président, il saura nous défendre. Mais cette histoire de manger des chats et des chiens, c’était des conneries. Il aurait dû dire autre chose ! » À 49 ans, elle vit dans une rue qui pourrait servir de test réel de la popularité des candidats : les pancartes de Harris sont aussi nombreuses que celles en faveur de Trump.

« Avant, on pouvait dormir et nos voisins parlaient anglais »

« Il fallait qu’on parle des problèmes que la présence de ces gens engendre. Des vols… Une femme haïtienne a essayé de voler mes vêtements et ceux de ma fille de 22 ans à la laverie… Tais-toi ! dit-elle à son dogue qui n’arrête pas d’aboyer pendant qu’elle fait visiter les environs. Là-bas, toute une famille n’arrête pas de faire de la musique. Ils sont souvent saouls… Ils organisent des fêtes pour quarante personnes. Inadmissible ! Ici, un type, sympa, mais regarde, il utilise son jardin comme débarras et ne taille pas les arbres… Rien de grave, mais, elle insiste en écrasant sa cigarette sur le sol, Ce n’était pas comme ça avant… On pouvait dormir, nos voisins parlaient anglais. Et puis il y a la dimension sociale. « Je ne suis pas riche. Je vais à la banque alimentaire. Ils ont tout. Soins de santé gratuits, logement… Je ne comprends pas pourquoi. On doit attendre des mois ! »

Au nord de la ville, le réservoir CJ Brown voit quelques habitants profiter de cet été indien couleur marron. Isiah, un jeune homme de 22 ans, affirme avoir vu « Trois Haïtiens étranglent des oies à mains nues et s’enfuient avec elles » à Snyder Park. Sans abri, lui et un ami ont loué un camping-car pour y vivre et ont expliqué que « La présence des Haïtiens a rendu plus difficile la location d’une maison »Lui aussi votera pour Trump.

Suite après cette annonce

Comme beaucoup d’autres villes de la région qui ont connu un déclin économique, Springfield se targue d’avoir échappé à la mort démographique. Le déclin de l’industrie manufacturière, en particulier de l’imprimerie, a entraîné la perte de 20 000 emplois à la fin des années 1990 et une baisse de 25 % du revenu moyen. C’est ce qu’a annoncé l’institut de sondage Gallup en 2011. « La municipalité la plus malheureuse d’Amérique »Springfield comptait plus de 80 000 habitants au début des années 1960, contre 58 000 aujourd’hui. L’érosion démographique est presque totale… au prix de l’installation de quelque 15 000 Haïtiens.

L’immigration légale a débuté sous Obama après le séisme de 2010 et a depuis été renouvelée (y compris sous Trump) pour des centaines de milliers d’Haïtiens. Le statut de « protection temporaire » leur permet de travailler aux États-Unis et de bénéficier de Medicaid, l’assurance maladie publique. Leur nombre a explosé sous Biden : plus de 300 000 ont quitté leur île pour l’Amérique et sont inexpulsables.

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Des militants pro-Trump montrent leur soutien au candidat républicain.

© Alexandre Mendel

L’histoire des chiens et des chats mangés a embarrassé les républicains. Mike DeWine, le gouverneur de l’Ohio, et le maire Rob Rue, tous deux républicains, ont tenté de dissiper le malaise en qualifiant cela de « fake news ». JD Vance, lui-même sénateur de cet Etat, a reconnu le canular. Le week-end dernier, Springfield a vécu au rythme des alertes à la bombe (toutes venues de l’étranger) : 33 au total contre des écoles, des églises et la mairie. Le gouverneur a fait installer une grue de surveillance dans le centre historique. Des miliciens appartenant aux Proud Boys, un groupe nationaliste dont on n’a plus entendu parler depuis la prise du Capitole le 6 janvier, ont manifesté avant d’être priés de « foutre le camp », selon les mots d’un policier.

« Nos concitoyens ont peur pour leur vie et ne parviennent plus à dormir »

Au restaurant haïtien La Goutte de Rose CréoleIl faut être patient pour avoir une table. L’Amérique démocratique du Midwest, qui n’aime rien tant que s’infliger son petit moment de culpabilité, y fait acte de contrition, à grands coups de pourboires. « Nous avons des clients de Chicago, Cleveland, Cincinnati. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres pour nous soutenir.déclare Jacob Payen, un homme d’affaires local qui fait office de porte-parole de l’Alliance communautaire haïtienne. Nos concitoyens ont peur pour leur vie et n’arrivent pas à dormir. Nous attendons des excuses de Trump. Je pense qu’il sait qu’il a fait une erreur. J’aimerais qu’il vienne ici au restaurant. Sa femme est une immigrée. Son rival est un immigré… Ce n’est pas difficile pour lui de comprendre.

A plus de 300 kilomètres à l’ouest, Charleroi, petite ville de 5.000 habitants fondée par les Wallons en 1890 en Pennsylvanie, est également à l’honneur. Trump l’a citée la semaine dernière lors d’un meeting en Arizona, dénonçant une « Afflux de 2 000 % d’Haïtiens sous Kamala Harris »En trois ans, Charleroi a en effet accueilli 1 000 Haïtiens. La petite ville a perdu son industrie du verre. Aujourd’hui, la plupart de ces migrants travaillent à Fourth Street Barbecue, une usine qui fabrique des sandwichs pour toute l’Amérique. Lulu Mwale, gérante de cette entreprise, assure que « Les habitants n’accepteraient pas de travailler pour 11 dollars de l’heure ».Une sorte d’aveu : la présence des Haïtiens assure une main d’œuvre bon marché.

« Oui, c’est vrai, au début, on n’avait pas certains codes culturels. Les Haïtiens pouvaient dire : « Tu as un beau hobby, toi ! [c… en créole haïtien, NDLR] aux femmes américaines. C’est bien dans notre pays mais pas ici.reconnaît Luciano Janvier, sorte de représentant officieux de la communauté. Peu importe, Trump a blessé leur fierté. Animateur sur la radio créole locale Fenord, Anslo Ladouceur (également « homme d’église »il précise) exige des excuses « de l’ancien président qui, s’il est élu, devra régulariser tous les Haïtiens ! »

Kevin, qui dirige un petit magasin de vêtements dans le centre, votera pour Trump, mais ne peut s’empêcher de regretter ce qu’il a dit : « Après l’attentat, il tenait le pays par les couilles ! Ça n’a pas duré. Je l’aime beaucoup. Mais il ne sait pas se taire ! » La ville est en débat permanent. Il y a les partisans de ce remplacement de population qui estiment qu’avant l’arrivée de ces migrants, Charleroi n’était rien d’autre qu’une « ville fantôme » abandonnée à la prostitution et à la drogue. Et il y a ceux, comme cette caissière (T-shirt rouge Trump 2024 aussi usé que s’il avait été fabriqué sous Reagan) du seul supermarché à l’entrée de la ville, en face de la gare routière, qui dénonce « ces gens qui ne savent pas parler anglais et conduire correctement ».

« Je l’aime beaucoup, Trump. Mais il ne sait pas se taire ! »

La semaine dernière, une petite fille haïtienne a été renversée par une Américaine. Pour certains, c’est la preuve que les Américains sont tout aussi dangereux. Tandis que d’autres dénoncent la « le comportement de ces Haïtiens qui laissent leurs enfants sans surveillance ».

A l’heure du déjeuner, depuis les hauteurs de la ville, Evelyn, une Haïtienne, cueille des piments rouges dans son potager, accompagnée de son chien. On ose : « C’est ton déjeuner ou ton animal de compagnie ? » « Il ne fait pas de politique… C’est mon ami. »

 
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