« Il y a beaucoup de conflits autour de l’enseignement »

« Il y a beaucoup de conflits autour de l’enseignement »
« Il y a beaucoup de conflits autour de l’enseignement »

Comment jugez-vous le bilan actuel de la ministre de l’Éducation nationale, Mme Belloubet ? Peut-on parler d’une rupture avec les mandats de M. Blanquer ou de M. Attal, qui avaient engagé des réformes en matière d’autorité et de normes éducatives ?

Roger Chudeau : Le ministère de Mme Belloubet a été très bref, comme celui de ses deux prédécesseurs. Il est donc difficile d’évaluer ses actions. Il s’inscrit toutefois dans la continuité de la politique éducative de Macron, à quelques nuances près. Cette politique se caractérise par l’usage immodéré de phrases-chocs destinées à faire croire à l’opinion publique qu’il existe une politique éducative macroniste. On se souvient du « choc des savoirs », du « choc de l’autorité », du « nous ne lâcherons rien » et autres phrases martiales prononcées à l’occasion d’événements dramatiques touchant les établissements scolaires. Cette politique est celle des « coups médiatiques » : interdiction de l’Abaya, plan anti-harcèlement, « force scolaire mobile » etc. qui ont effectivement trouvé un écho favorable dans les grands médias et dans une partie de l’opinion publique. Mais sur le fond, c’est-à-dire concernant la qualité de l’enseignement, la valeur des diplômes scolaires, le respect de la laïcité, le niveau réel des élèves, la panne de l’ascenseur social dans les écoles, l’assimilation par l’école des enfants d’immigrés, rien n’a changé. L’échec est patent, le déclassement de notre école est incontestable. Mme Belloubet n’a pas manqué à la règle : ses déclarations sur la laïcité ou sur l’autorité de l’enseignant sont un modèle de langage de bois. Les groupes de niveaux ont été transformés en groupes « de besoins » dont la mise en œuvre a été laissée in fine à la discrétion des établissements. Sous son ministère, l’éducation nationale a poursuivi sa lente glissade vers la médiocrité.

Le niveau d’éducation, justement : chaque année, les classements PISA sont catastrophiques pour les élèves français. L’écart est frappant quand on compare la copie d’un élève en fin de collège au milieu du XXe siècle avec celle d’un élève de ces dernières années. Comment le système éducatif a-t-il pu devenir aussi déficient ces dernières décennies ?

La baisse, certains parlent d’effondrement, du niveau des élèves a, à notre avis, de multiples causes : Causes idéologiques ; portées par des sociologues de l’éducation dans la lignée de Bourdieu et par un pédagogisme dans la lignée de MERIEU, la pensée pédagogique du ministère et des centres de formation des maîtres des universités (IUFM, ESPE, INSPE) ont considéré que les enseignements étaient conçus pour les enfants des classes dirigeantes et qu’il convenait donc, pour les rendre accessibles aux enfants des classes populaires et des immigrés, de les simplifier et de les niveler : fin de la grammaire, des langues anciennes, des sections « germano-latines », réduction des heures de français, création du collège unique, c’est-à-dire cylindrique où tous les élèves accèdent au brevet – nonobstant qu’à 17 ans lors des JDC 25% de nos jeunes ne sont pas vraiment lecteurs…), etc. Toutes ces évolutions des politiques éducatives sont des conséquences directes de la mainmise idéologique de la gauche post-68 sur la pensée éducative. L’autre facteur est politique : les gouvernements de gauche, soutenus par des organisations syndicales de gauche ou d’extrême gauche, ont encouragé cette « déconstruction » du rapport au savoir et à l’autorité. Les gouvernements de droite l’ont le plus souvent laissé faire (il y a quelques exceptions : De Robien, Darcos).

C’est ainsi qu’avec un budget annuel de 82 milliards d’euros pour la « mission d’éducation scolaire » de l’État, nous parvenons à réaliser cet exploit d’obtenir des résultats médiocres, voire carrément mauvais, à toutes les évaluations internationales. De plus, notre école républicaine, conçue selon le principe de la méritocratie académique, avait pour projet de permettre aux enfants de toutes les couches de la société d’accéder aux plus hautes fonctions grâce au mérite scolaire. Malheureusement, cette notion même de mérite a été et est toujours contestée par les idéologues de gauche et les syndicats d’enseignants, ce qui produit évidemment une fracture éducative parfaite et une reproduction sociale par l’école tout aussi parfaite !

La baisse du niveau éducatif va de pair avec celle de l’autorité au sein des écoles. Les atteintes à l’intégrité physique de certains enseignants se multiplient. Quelles sont, selon vous, les principales mesures à mettre en place pour rétablir l’ordre dans les salles de classe ?

La gauche éducative et la « pensée 68 » hier, puis aujourd’hui le wokisme ordinaire considèrent que toute autorité (qu’elle soit d’origine « de classe » ou « patriarcale blanche ») est a priori suspecte et dangereuse. Cette idéologie a des effets désastreux et destructeurs aussi bien dans l’éducation au sein de nombreuses familles, qu’au sein des institutions scolaires publiques. Nous subissons – et les enseignants en particulier subissent depuis des années – les effets de cette dissolution de la notion et des pratiques d’autorité. Insolence, menaces, agressions, harcèlement, voire assassinat : tout peut arriver à un enseignant aujourd’hui. « Les enseignants ont peur » écrit Obin dans son dernier livre et il a raison.

Que faire alors : rétablir un système de sanctions scolaires et pénales effectivement appliquées ; exclure définitivement des établissements scolaires les élèves multiperturbateurs et les élèves islamistes radicalisés (j’ai déposé avec le groupe RN, sous la précédente législature, une proposition de loi n° 2494 en ce sens), suspendre les allocations familiales pour les familles dont les enfants perturbent systématiquement l’action éducative, telles sont les mesures que nous préconisons pour rétablir l’autorité dans nos écoles et nos établissements.

Les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard ont eu un profond impact sur l’opinion publique. Certains secteurs de la République sont en proie à l’infiltration islamiste. Les enseignants s’autocensurent par peur des représailles. Selon vous, une prise de conscience s’opère-t-elle au plus haut niveau de l’État ? Ou bien une forme de déni persiste-t-elle ?

Le problème de l’influence grandissante de l’islamisme radical dans nos écoles est bien connu au sommet de l’Etat, Gabriel Attal avait en son temps dénoncé le « régime de la charia » que connaissent certaines écoles. Des propos masculins certes, mais après ? Passé le temps des circulaires et des déclarations publiques, rien ne change dans les écoles. Dans de nombreux établissements, des « aménagements raisonnables » sont opérés lorsque la laïcité est contestée (affaire des Kamis et des jupes longues, régime « Halal » des cantines scolaires, absentéisme massif pendant le ramadan, par exemple). Les remises en cause de l’enseignement sont légion et passent largement sous les radars par… peur des représailles ou de l’atteinte à la réputation de l’école. La montée de « l’évitement scolaire », c’est-à-dire du succès des écoles privées, trouve là une de ses sources.

Certaines zones rurales souffrent d’une grave pénurie d’enseignants. Ces zones sont-elles abandonnées par les pouvoirs publics ?

L’école rurale est la grande oubliée de l’Éducation nationale. Les fermetures de postes – et donc de classes – se multiplient chaque année et fragilisent le tissu des services publics en milieu rural. Vues de Paris, les zones rurales sont considérées comme la « France périphérique » et cette condescendance technocratique n’est que la traduction de l’état d’esprit de nos élites politiques dirigeantes. Nous (le RN) demandons un moratoire de trois ans sur les fermetures de classes, accompagné de la création d’une conférence nationale permanente sur l’école en milieu rural. Cette instance de concertation avec les élus locaux serait mise en œuvre dans chaque département et examinerait régulièrement la situation de l’école rurale (démographie scolaire, niveau des élèves, inclusion, investissements publics et aménagement du territoire) avant de rendre un avis sur d’éventuelles mesures de « carte scolaire » menées tous les trois ans. (voir aussi PPL n° 2377 déposée sous la 16e législature).

En France, plus de 300 écoles sont hors contrat. Ces écoles, qui ne sont pas subventionnées, connaissent depuis plusieurs années un grand succès. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Le succès de l’enseignement privé, qu’il soit sous contrat ou non, est facile à comprendre et Mme Oudea Castera a naïvement fourni un élément d’explication : Le service public de l’éducation est trop souvent défaillant au regard de l’obligation élémentaire de moyens : de nombreuses absences de courte durée ne sont pas remplacées, la discipline dans les classes et dans la cour de récréation n’est pas correctement assurée.

D’autres facteurs entrent en jeu : les tensions communautaires dans certaines écoles, la violence latente autour de l’école, le faible niveau de certains enseignements, la non-prise en compte de certains élèves à haut potentiel intellectuel, la faible inclusion de certaines personnes handicapées. La liste de ce que de plus en plus de Français reprochent à l’éducation publique est malheureusement longue. Il y a aussi, bien sûr, les familles qui ont de fortes convictions religieuses et qui préfèrent inscrire leur enfant dans un enseignement confessionnel comme le prévoit le principe de liberté d’enseignement.

Les cas de harcèlement ont explosé ces dernières années. Selon vous, faut-il prendre des sanctions exemplaires contre les harceleurs ? Comment surveiller les victimes ?

La question du harcèlement fait l’objet de toute l’attention des pouvoirs publics, il faut le reconnaître. Pourtant, le programme « PHARE » (prévention du harcèlement à l’école) a connu des échecs dramatiques : le cas de la jeune fille (Samara) lynchée par ses camarades devant son école à Montpellier a démontré les lacunes du dispositif de prévention. Le choix a été fait de spécialiser le personnel dans les cas de harcèlement, mais il faut aussi rappeler en priorité que chaque adulte de l’établissement doit faire preuve de vigilance pour prévenir le harcèlement. Selon nous, les coupables de harcèlement doivent être immédiatement écartés de l’établissement. Les récidivistes doivent, après un conseil de discipline académique, être définitivement affectés dans des établissements spécialisés (cf. PPL 2494 citée ci-dessus). Les victimes doivent être protégées et rester au sein de leur établissement si elles le souhaitent.

Mis en place à la rentrée 2015, les réseaux d’éducation prioritaire (REP) regroupent aujourd’hui 730 collèges en France. Selon vous, ces réseaux ont-ils eu l’effet escompté ?

L’éducation prioritaire, avec l’école rurale, est un autre angle mort de la politique éducative. Pourtant, elle scolarise un cinquième des enfants du primaire et du secondaire de notre pays. Sa fonction originelle est de permettre l’assimilation par l’école des enfants issus des quartiers où se concentrent les nouveaux arrivants dans notre pays. Chacun sait que ces quartiers sont soumis à l’influence croissante de l’islam extrémiste et des bandes mafieuses. Il est donc essentiel que les écoles y dispensent un enseignement de qualité, permettant aux enfants d’échapper aux assignations culturelles ou ethniques et de s’assimiler à la civilisation, à la culture, aux valeurs et aux coutumes de notre pays. Or, l’éducation prioritaire, bien que dotée de moyens conséquents, n’est toujours pas gérée de manière centralisée ni articulée localement avec les autres politiques publiques de la ville. Malgré la coûteuse (10 000 emplois) politique de dédoublement (encore inachevée), les résultats des élèves du REP évoluent peu et les émeutes de juillet 2023 ont montré que leur adhésion aux valeurs de la République laisse beaucoup à désirer. Nous préconisons la création d’un programme spécifique d’Éducation prioritaire au sein du budget de la mission d’éducation scolaire, une coordination locale des politiques publiques dans les quartiers sous l’autorité de l’État, un plan d’urgence pédagogique permettant – en s’écartant si nécessaire des programmes et horaires officiels – de faire en sorte efficacement que ces enfants maîtrisent la langue française, les mathématiques et l’Histoire de France. L’enjeu de la réussite du REP est crucial pour la cohésion de la société française, cette « priorité » ne doit donc pas être un vain mot.

Retrouvez une entrevue sur Youtube avec Roger Chudeau du 13 novembre 2023 : Roger Chudeau : « L’islamisme a ravagé l’école ! »

A lire aussi : L’école, territoire perdu de la République

 
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