« D’où vient ce fantasme d’avoir un corps inanimé ? »

« D’où vient ce fantasme d’avoir un corps inanimé ? »
« D’où vient ce fantasme d’avoir un corps inanimé ? »

Actrice, réalisatrice, scénariste, chanteuse, elle est aussi une féministe engagée et a révélé avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance. Agnès Jaoui, qui vient d’écrire un film sur MeToo, suit comme de nombreux Français le procès de Dominique Pelicot. Elle estime que notre société évolue trop lentement pour protéger les femmes.

« Il m’est impossible de me taire » (Agnès Jaoui, réalisatrice et scénariste)

LA TRIBUNE DIMANCHE – What does Gisèle Pelicot inspire in you?

AGNÈS JAOUI – Le respect. Cette femme a de la force, du courage, de la dignité. La honte, enfin, semble changer de camp. Cela me réconforte un peu, car la personne violée a toujours été tenue pour responsable, le déshonneur est tombé sur elle. Cette double peine qui s’abat depuis toujours sur les victimes de viol est une épreuve terrifiante. Dans le monde du cinéma, on peut faire un parallèle avec les actrices, Maria Schneider par exemple, qui ont été contraintes à des actes sexuels sur les plateaux de tournage et qui tombent ensuite dans l’oubli alors que le réalisateur qui a accepté ou voulu ces infamies reste sollicité voire applaudi.

Que retenez-vous de ce procès hors du commun ?

C’est la quintessence de l’abus. Cette femme a été trahie, envahie, mise en danger. Ses violeurs ont participé à la négation absolue de l’autre. Je suis frappée par ce que disent les accusés de Mme Pelicot, qu’ils considèrent comme appartenant à son mari, c’est effrayant. Tout cela me fait penser aux contes de princesses endormies réveillées par un baiser non désiré. Il semble que dans la première version de La Belle au bois dormantle prince l’a violée dans son sommeil. On continue à se laisser bercer par ces histoires, il ne faut pas se les interdire, mais il y a quelque chose que l’on intègre dès l’enfance qui peut faire des dégâts. Ce fantasme d’avoir un corps inanimé, qui ne peut pas répondre, comme un corps d’enfant, désarmé, pose mille questions : d’où vient-il ? Quel est le plaisir, s’il y en a, que ces hommes en retirent ?

Les personnalités publiques mettent du temps à réagir à l’émotion suscitée ; pourquoi selon vous ?

Autour de moi, les hommes sont consternés. Comme ils l’ont été par ce qu’a révélé le mouvement MeToo. Ils n’en reviennent pas du nombre de femmes victimes de violences. Beaucoup ont pris conscience, certaines deviennent féministes. Et peut-être s’interrogent-ils sur leur propre comportement et sur ce qui pousse les autres à se comporter de la sorte. Mais je ne m’attends pas à ce que les hommes s’expriment publiquement. D’ailleurs, que peuvent-ils dire ?

METOO AVANT METOO (1/3) – L’ange et le gros cochon

Pensez-vous qu’il existe une culture du viol dans notre société ?

Je suis gênée par ce genre de formule à la mode. Mais bien sûr, il y a quelque chose de cela. Quand on voit toutes les représentations de viols en peinture, par exemple, on peut se demander comment cela nous influence. Y a-t-il aussi un problème hormonal chez certains hommes ? Quel rôle joue la testostérone dans cette violence ? Cela ne peut pas être seulement culturel. Bien sûr, l’éducation joue un rôle important, mais quand on voit des chiffres aussi élevés de crimes sexuels, la question physiologique peut se poser.

La représentation du corps des femmes sur nos écrans joue un rôle. Pensez-vous qu’il y a eu des progrès depuis le début de MeToo, il y a sept ans ?

Pas vraiment. Les résistances sont tellement profondes. Archaïques. Animales. Je le vois dans mon métier et partout dans la société. Le seul progrès notable, c’est que les jeunes filles semblent plus aguerries. Les jeunes sont plus conscients des choses.

Pensez-vous que les pouvoirs publics sont à la hauteur en matière de violences faites aux femmes ?

Quand on voit comment l’Espagne a fait évoluer sa législation, la France est plutôt à la traîne. Nous ne sommes pas les moins féministes, mais sur de nombreux sujets, nous sommes encore en retard. Le monde professionnel, par exemple, reste organisé comme si nous étions tous des hommes célibataires sans enfants. La société doit fondamentalement changer pour que le modèle masculin ne soit pas aussi dominant.

 
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