« La sociologie est devenue une philosophie de la culpabilité de la société alors que notre problème est un plaisir de détruire que rien ne peut endiguer » – .

« La sociologie est devenue une philosophie de la culpabilité de la société alors que notre problème est un plaisir de détruire que rien ne peut endiguer » – .
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Des policiers en patrouille. Image illustrative.

Atlantico : Sommes-nous dans une société incapable de passer à l’âge adulte et d’assumer la culture de responsabilité qui va avec ? Avons-nous des difficultés avec la justice pour mineurs ? Sommes-nous en train de nous mentir en refusant le caractère intrinsèquement violent de la nature humaine, notamment chez les jeunes, et en préférant rejeter la faute sur les structures culturelles ou économiques et sociales de la société ?

Ruben Rabinovtich : Les êtres humains ne sont pas moins frères par le fratricide que par la fraternité. Notre société nie le caractère destructeur, la violence et la haine qui sont au fondement du cœur humain. Dans une sorte de rousseauisme mal digéré, elle s’efforce de se dire que l’homme naît bon et que la société le rend mauvais. La sociologie est devenue la philosophie de la société sur la culpabilité. Chacun cherche alors des explications comme autrefois les sourciers d’eau à coups de baguette : insécurité, racisme, absence des pères, violences policières, capitalisme, gauchisme, etc. Toutes les causes sont bonnes à prendre pour prolonger encore un peu le déni et ne pas regarder le jouissance de la destruction en face. Il suffit pourtant d’observer un petit enfant de trois ou quatre ans à la plage et de voir le plaisir qu’il prend à détruire un château de sable pour constater que cette part de destructivité est présente en chacun de nous dès la plus tendre enfance. .

La civilisation repose et se construit sur la répression des pulsions, de la violence et des instincts meurtriers. Les institutions sociales, la famille, l’école, la police et la justice ont pour mission de transmettre et de matérialiser ces interdits structurants et ces obstacles fondamentaux auprès des enfants et adolescents dès le plus jeune âge.

L’auteur britannique William Golding a écrit en 1954 Sa majesté les mouches, un roman qui met en scène un groupe d’enfants âgés de six à douze ans seuls sur une île déserte. Tous les adultes sont morts dans un accident d’avion. Laissées à elles-mêmes, les violences dégénèrent très rapidement, du contrôle au sadisme jusqu’au meurtre.

Cette allégorie d’un groupe d’enfants au sein duquel l’autorité des institutions et des adultes ne fait plus la loi n’est pas étrangère à la situation que nous connaissons.

Sans le musèlement de cette destructivité propre à chacun, sans la mise en place de freins fondamentaux, la violence monte toujours plus forte et toujours plus jeune. Aujourd’hui, le métier d’adulte ne trouve plus preneur.

Notre société a-t-elle développé une incapacité à accepter la frustration et l’autorité ?

Depuis plus de cinquante ans, émerge une nouvelle grammaire psychique dont la négation et l’interdit disparaissent au profit de l’impératif affirmatif. Du traditionnel « ne fais pas » de la morale des contes, nous sommes passés au « viens tel que tu es », « exige l’impossible », « sème le chaos » du langage publicitaire. Comme l’ont lumineusement analysé les psychanalystes Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun, nous sommes passés en quelques décennies d’un monde structuré par l’interdit de la jouissance à un monde où la jouissance est un commandement. On observe l’effacement des pathologies traditionnelles au profit de nouvelles pathologies : toxicomanies, troubles de l’identité, « Blowing out », burn-out et chez l’enfant et l’adolescent : hyperactivité infantile, troubles du déficit de l’attention, troubles oppositionnels avec provocation, etc. Ce n’est pas pour rien ça montre comme Super Nanny Ou Pascal le grand frère ont connu un tel succès – et certainement pas seulement en banlieue.

La crise de l’autorité est étroitement liée à ce que Jérôme Fourquet appelle l’effondrement des « matrices structurantes ». Jérôme Fourquet entendait par là principalement la religion et le communisme mais c’est aussi le cas de la plupart des institutions structurantes de la vie sociale : famille, école, travail, justice, fonction paternelle, etc. L’horizontalité des relations sociales remplace progressivement les anciens principes de autorité, verticalité, asymétrie et subordination dans toutes les sphères sociales. Beaucoup de patients que je vois non seulement expriment ne pas savoir comment exercer leur autorité mais qui expriment le fait de ne plus croire à la légitimité de leur autorité, ni même à la légitimité de l’autorité elle-même. Désormais, toute autorité est vécue comme domination, toute asymétrie comme inégalité et toute obéissance comme soumission et humiliation.

Vous avez écrit sur la psychologie des meutes ultra-violentes suite aux émeutes de l’été dernier. Pourriez-vous nous décrire l’univers mental de cette jeunesse ultra-violente ?

Les drames de ces derniers jours peuvent trouver chacun une lumière unique. Un cas de jalousie haineuse dans le cas du jeune Samara, un crime d’honneur dans le cas du jeune Shamseddine, à Bordeaux, une rigueur fanatique, en Eure-et-Loire une « colère incontrôlée ». Si toutes ces lectures sont pertinentes, elles ont néanmoins un dénominateur commun : celui d’un plaisir de détruire que rien ne peut endiguer. Le philosophe russe Julius Margolin a écrit dans sa « Doctrine de la haine » en Voyage au pays de Ze-Ka : ” De qui est-ce la faute ? dit le haineux, et il trouve toujours un délinquant à portée de main. »

Les jeunes que j’ai pu recevoir en consultation (voleurs, batteurs, violeurs) avaient la particularité de ne pas avoir accès à la culpabilité, car pour cela il faut pouvoir se mettre à la place de l’autre, ce qui n’est pas le cas. le cas de ceux que j’ai rencontrés. Aucune empathie non plus. L’empathie est le lien inaugural des relations avec autrui. Il se développe vers l’âge de deux ou trois ans et n’est malheureusement pas rattrapé par les cours au collège, une heure par semaine, comme la physique, la chimie ou la guitare. Une impulsivité que rien ne peut contenir. On comprend alors plus facilement comment un individu peut risquer de passer des mois ou des années de prison pour n’avoir pas résisté à son envie de laisser pour mort quelqu’un qui lui a refusé une cigarette, qui lui a pris « la sienne ». place de parking, qui « l’a mal vu ». Les violences sont commises simplement parce que l’occasion est là, par « curiosité » ou « en quête d’adrénaline », comme le montrent les témoignages recueillis dans le rapport de l’Inspection générale de la justice et de l’Inspection générale de l’administration remis au gouvernement en septembre. après les émeutes de l’été dernier.

Le problème n’est pas tant l’absence de père comme on l’a entendu. D’abord parce que les pères en question ne sont pas si absents qu’on voudrait le dire, ensuite parce que souvent la présence des pères est encore plus néfaste que leur absence. Beaucoup de pères de ces délinquants ou criminels ne se positionnent pas comme des pères mais comme des grands frères pervers et initiateurs du crime. Ils se comportent moins comme des pères avec leur fils que comme des grands frères patrons avec leurs petits frères apprentis patrons. Je me souviens d’un petit garçon dont le père volait devant lui les jouets des autres enfants pour les lui donner. Le petit garçon répondit, interloqué : « Mais est-ce celui de mon copain ? » L’insultant, le père lui répondit que ce n’était plus celui de son ami puisqu’il venait de le lui prendre et avait cassé le jouet devant son fils pour ne pas avoir immédiatement participé à son association de malfaiteurs. Le petit garçon avait reçu le message : à l’avenir, il aurait le choix entre être le complice ou la victime de son père. Les pères ne veulent pas que leurs fils s’échappent et s’écartent de leur voie de brutalité et de gangstérisme.

L’idéal de masculinité qui y est véhiculé est celui du gangster tout-puissant, du « goldenboy des enfers » selon la très belle expression de Jean-Claude Michéa : ni moralité, ni affect, ni compassion, ni frustration, ni limites. C’est moins le patriarcat que le fratriarcat qui règne en maître.

 
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