et si le problème venait de nos choix de conception ? – .

Après de longs mois de déficits pluviométriques, un événement pluviométrique inédit depuis plus de trente ans s’est abattu sur la en octobre 2023. Une tempête s’est abattue sur la façade atlantique et un courant persistant s’est installé le long de la Manche. Résultat : des inondations dramatiques en novembre et 265 communes du département placées en état de catastrophe naturelle.

Météo France Nord a établi une carte des cumuls de précipitations durant la première quinzaine de novembre 2023. L’intensité maximale s’est concentrée dans le Haut-Boulonnais, d’où proviennent les sources des principaux cours d’eau naturels.
Météo France, Fourni par l’auteur
L’attention médiatique portée au ministère m’a cependant surpris. 350 millimètres (mm) de pluie en deux semaines, ce n’est pas rien, mais c’est quand même moins violent que les 180 mm tombés sur la région niçoise entre le 3 et le 4 mars 2024. Certes, les régimes climatiques de ces deux régions sont différents, et le sud de la France exposé aux épisodes méditerranéens. Pourtant, les mécanismes de destruction sont les mêmes : l’eau monte et provoque des dégâts matériels, voire humains.

Il ne s’agit pas d’une course pour savoir quelle région connaîtra le plus de pluie et les dégâts les plus graves. Car sur le territoire français, au moins un événement similaire fait la une de l’actualité chaque mois. Châtellerault et la Vienne débordent fin mars, Saintes, en Charente-Maritime début mars, inondations dans le Gard et l’Hérault mi-mars…

A chaque fois, nous continuerons à nous lamenter. Le problème n’est pas que l’eau coule, le problème est que les humains sont offensés que cette eau ne coule pas seulement quand et où ils le souhaitent. Est-ce de l’ignorance, de l’inconscience, du déni ?

Prévenir ou guérir, deux philosophies opposées

Face à un problème, préférez-vous combattre avec la « boxe » ou avec « l’aïkido » ? La différence de philosophie entre les deux sports permet de comprendre l’ensemble des actions possibles. Face aux inondations à répétition, si vous êtes amateur de boxe, vous ferez face à la difficulté de front, même si elle a un coût élevé. Vous construirez des murs autour de votre maison, école, usine. Et pourquoi pas du quartier, de la ville.

Oui, mais dans ce cas, que fait-on des voies de communication ? Dans l’arrière-pays entre Calais et Dunkerque, la plaine maritime est si basse et si plate que lors des grandes marées mensuelles, le drainage vers la mer ne se fait plus naturellement par gravité ! L’eau est donc stockée dans les canaux, puis pompée pour en rejeter une partie au-dessus de l’écluse qui évite la montée de la mer le long des rivières côtières.

Mais dans un siècle, le niveau de la mer sera encore plus élevé de quelques décimètres. Alors que faire? Certains envisagent d’élever encore plus les murs de protection. Jusqu’où ? Un chef d’entreprise m’a dit :

« En tant que sous-traitant de grandes entreprises dont les travaux d’installation sont en cours, je ne suis pas inquiet : mon entreprise sera hors de l’eau. Mais pour venir travailler, qu’est-ce que je propose à mes salariés : une voiture ou un bateau ? »

Cependant, il existe une autre manière. Et si, plutôt que d’affronter brutalement les éléments et de vouloir s’installer dans des zones à risques, on cherchait plutôt à comprendre les dynamiques naturelles à l’œuvre dans l’écoulement des eaux de pluie depuis plusieurs centaines de milliers d’années ? Cela ne résout pas tous les problèmes, mais cela aide à les mettre de l’ordre.

Une « éponge desséchée » incapable d’absorber toute l’eau

Revenons aux origines météorologiques des inondations. En octobre 2023, un courant atmosphérique s’est stabilisé au-dessus de l’Atlantique Nord, où il a absorbé l’humidité d’un océan très chaud. Il s’engouffre dans le couloir de la Manche, et se lâche sur les modestes (à moins de 200 mètres d’altitude) reliefs anglais (Sussex, Kent) et français (Boulonnais).

Les pluies se sont alors concentrées autour de plusieurs sources hydrologiques de la région, s’écoulant par des incisions rayonnantes bien marquées autour du relief. De là sont nés plusieurs phénomènes banals, faute d’une bonne compréhension de leur fonctionnement naturel.

D’abord parce que les terres de tous types, asséchées après une longue période de déficit hydrique, n’ont pas pu absorber les premières pluies. Le ruissellement maximal a surpris tout le monde sur toute la zone arrosée. On peut penser à une éponge desséchée et ratatinée sur un évier, qui ne peut jouer son rôle d’éponge qu’après avoir absorbé un minimum d’eau pour lui redonner sa souplesse. Le sous-sol est constitué de craie perméable et craquelée, qui absorbe l’eau et reconstitue les nappes phréatiques.

Mais sa perméabilité n’est pas absolue comme celle d’une canalisation, d’un fossé ou d’un canal, creusés et entretenus par l’homme. Lorsque l’afflux d’eau (pluie, ruissellement) est plus rapide que l’écoulement (infiltration, ruissellement), il y a inondation.

Agriculture et érosion des sols

Bourthes est le point de convergence des ravines qui collectent les eaux de ruissellement. Le village est situé à partir du point d’écoulement permanent historique.
Fourni par l’auteur
L’amont d’un cours d’eau naturel présente des pentes abruptes. Les ravins déterminés par les sources sont nombreux, mais temporaires. Ils convergent vers Bourthes, dont ils alimentent la Source permanente. Cependant, le sol et le sous-sol proche sont constitués de limons à grains très fins, que le ruissellement peut facilement déchirer et transporter.

De plus, pendant la saison des labours, le sol des champs est ameubli. Il est donc aisé de comprendre que les terres arables, celles qui font la richesse agronomique de ces champs, sont emportées par le ruissellement et que, quelques pluies plus tard, elles peuvent être ramassées à la pelle mécanique dans les petits lits des rivières, en la plaine alluviale, juste avant l’estuaire.

Pour éviter cela, il faut éviter que l’eau atteigne la vitesse à laquelle elle peut arracher les particules fines (limon, sable très fin) : environ 0,10 mètre par seconde.

  • Si le sol est couvert, les particules sont retenues, c’est le cas des pâturages.
  • Dans le cas contraire, il faudra replanter des arbustes dont les racines ralentiront l’écoulement (haies) ou des fascines, à condition de les entretenir régulièrement.

Il faut donc repenser les méthodes de labour, et de plantation en général.

Comme le montre le graphique ci-dessous, l’amont est donc le domaine de l’érosion, tandis que l’aval est le domaine de la sédimentation. La transition entre les deux n’est pas nette géographiquement : sa largeur et son positionnement varient dans le temps en fonction du régime des pluies, du ruissellement, des matériaux transportés et de l’occupation anthropique des terres.

Profils le long et à travers l’Aa : la partie amont, à forte pente, capte les eaux de sources qui déterminent des ravines aux écoulements épisodiques : l’érosion domine. La partie aval, très légèrement inclinée, toujours dans l’eau, est le domaine de la sédimentation : les sédiments arrachés en amont s’étalent et forment les couches d’alluvions. Leur extension détermine le lit majeur qui délimite les zones potentiellement inondables. Le lit mineur est le conduit d’écoulement permanent.
La coupe transversale illustre ce qui se passe. Par définition, le flux permanent occupe le lit mineur. Mais lorsque l’afflux d’eau l’emporte sur l’évacuation, il y a inondation. La coulée quitte le lit mineur et perd de ce fait son énergie et abandonne les particules qu’elle transportait par érosion : elle dépose des alluvions.

On parle alors de sédimentation. Le mécanisme est similaire à celui d’un carreleur posant une couche de nivellement pour niveler une surface. Ainsi, les banquettes du lit mineur qui accueillent les alluvions sont plates et forment ce qu’on appelle le lit majeur. Ils matérialisent l’extension de zones potentiellement inondables.

Moulins à eau, écluses… les leçons de l’histoire

Il y a environ 1 000 ans, lorsque la technologie des moulins à eau est arrivée en Europe, ils ont été installés pour la première fois là où l’énergie cinétique de l’eau était la plus grande. Et notamment au pied du relief sur lequel descend l’Aa : 121 m d’altitude à la Source (Bourthes), mais 13 m à Blendecques… C’est pourquoi le village a été implanté à cet endroit.

Puis, l’Aa tourne brusquement de 90° vers l’ouest, tandis que le canal de Neuffossé arrive par l’est. Un système d’écluses historique, aujourd’hui simplifié, gère le dénivelé, abaissant le canal navigable à un niveau de trois mètres. Celui-ci traverse le marais qui résulte de l’élargissement du lit majeur sur les sables et argiles des couches d’âge Tertiaire, recouvrant la craie.

Les moulins qui ont justifié la fondation de Blendecques sont installés à la base du relief, là où le lit majeur est encore étroit, et où l’eau fournit le maximum d’énergie cinétique. Arques est l’entrée du marais qui représente le lit majeur avec ses alluvions (Fz).
Pour un promoteur, il est tentant de construire sur un terrain aussi plat. Mais, par définition, ces terres sont incapables d’absorber l’excès d’eau dont elles sont déjà saturées. Les caves du sous-sol sont des erreurs de conception. Toute construction installée sur ces alluvions constitue également un obstacle à l’écoulement naturel des eaux. Il est possible de construire sur de tels terrains, mais l’architecture doit être adaptée : par exemple, construction sur pilotis pour réduire l’effet d’obstruction à l’écoulement de l’eau. De la même manière, on peut également placer un angle, plutôt qu’une façade, orienté vers l’amont de l’écoulement susceptible de se produire.

Lorsque nos ancêtres se sont installés sur ces territoires, ils n’ont pas manqué de connaître des épisodes d’inondations, puisqu’il s’agit d’un processus naturel qui témoigne de l’évolution permanente du paysage. Ils en ont certainement payé le prix. Mais souvenons-nous des paysans de l’Egypte ancienne qui souffraient eux aussi, en espérant, chaque année, que la crue de la vallée du Nil renouvelle sa fertilité.

Et maintenant ?

Nous disposons aujourd’hui de cartes, de moyens de surveillance de proximité ou à distance (satellites), de moyens de mesure, de calculateurs pour remonter toutes ces mesures et en dériver des modèles capables d’anticiper et de prédire l’évolution de la situation.

Mais depuis le milieu du 20e sièclee siècle, on continue d’installer des constructions et des équipements sur ce territoire dont la présence obstrue l’écoulement naturel de l’eau. J’oserais dire : « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? »

Chaque projet qui nécessite des travaux de terrassement est certes prudent, mais on ne voit pas que l’accumulation de terres ameublies en surface, puis emportées par les eaux de ruissellement, ensable les collecteurs des parties aval.

Or, les fossés et les canaux, creusés artificiellement et dont la position a été minutieusement calculée, ne fonctionnent bien que s’ils sont régulièrement nettoyés.

En revanche, il est absolument important de ne pas drainer les cours d’eau naturels, sous peine de réactiver l’érosion en amont.

Dans quelle mesure doit-on accepter de compenser les installations qui empêchent le fonctionnement normal du système avant de réserver cet argent pour adapter ce qui peut l’être ? Telle est la question.

Francis Meillez, professeur honoraire, géologie ; Directeur de la Société géologique du Nord, Université de

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.

 
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