“Le patron préfère qu’on s’en tienne à la plus stricte discrétion». A quelques variantes près, c’est en substance ce qu’on vous dira si vous contactez l’un de ces magasins « Achat-Vente d’or » qui fleurissent généralement à proximité d’un bijoutier ou qui complètent l’activité d’un bijoutier. . L’argument avancé par les marchands d’or et de pierres précieuses concerne la sécurité. Pour eux et pour leurs clients. A Mons, un acteur du secteur a déplacé un banc public que la municipalité avait installé sur le trottoir à proximité de son magasin pour éviter que ses clients ne soient vus. C’est parce que les valeurs négociées peuvent être très importantes. Un kilo d’or vaut près de 65 000 euros et occupe l’espace d’un demi smartphone. Ce rapport entre petite taille et valeur élevée explique pourquoi l’or est l’un des matériaux souvent trouvés lors des fouilles des caches des trafiquants de drogue.
Nous avons quand même trouvé un professionnel prêt à répondre à nos questions. Dans le plus strict anonymat. Prise de notes autorisée mais pas d’enregistrement. Le petit salon devant la réception est décoré avec un certain goût. Rien de très ostentatoire. Une petite vitrine expose quelques objets : couverts, verrerie, vieux billets de banque. Une affiche annonce que le lieu est filmé en permanence et que les images sont diffusées « en direct » dans un commissariat.
La marge sur les dents en or
“Il y a des clients difficiles», commente celui qu’on appellera Franz, un homme de 45 ans d’origine européenne, très heureux d’exercer ce métier. “Parfois, les gens se disputent sur le prix, ils se mettent en colère. Il faut garder la tête froide.» Franz demande à plusieurs reprises à voir notre téléphone portable pour s’assurer qu’il n’est pas enregistré et parle de sa vie quotidienne. Entre dix et trente clients chaque jour. De toutes les conditions sociales. À l’heure actuelle, le marché est orienté vers l’achat. “Compte tenu du prix de l’or, nombreux sont ceux qui viennent vendre leurs biens. Leurs lingots, leur vaisselle, leurs couverts, leurs bijoux et même, plus rarement, leurs dents en or. Ils doivent être nettoyés et ne plus contenir de matières organiques. Mais cela n’arrive pas souvent. Comprenez une fois par semaine. Tous les mêmes. Franz explique que c’est sur ce type de marchandises que la marge est la plus élevée. « Oui, ça frappe fort et les gens n’en parlent pas vu la nature du produit.»
Pas d’impôt sur les plus-values
“Nous prenons des marges plus faibles sur la vaisselle et les couverts : tout cela – le prix d’achat – est fixé chaque matin au siège de notre entreprise. Les marges sont encore plus faibles pour les pièces et les lingots. C’est une activité rentable et en pleine croissance.» Un petit point de contexte. Des établissements comme ceux dirigés par Franz voient arriver, entre autres, tous les clients qui trouvent portes fermées du côté des banques traditionnelles et des banques privées. Ces dernières années, la plupart des établissements bancaires ont déserté le marché de l’or physique. Il reste généralement possible d’y acheter de l’or dématérialisé ou titrisé, mais la vente de lingots et de pièces est devenue compliquée, voire impossible. Le désenchantement du secteur bancaire à l’égard de l’or peut s’expliquer de plusieurs manières. Le premier est lié au « derisking » pratiqué par les banques. Ceux-ci minimisent leur exposition aux risques, notamment au regard des réglementations anti-blanchiment de plus en plus strictes.
D’un autre côté, le commerce de l’or nécessite des mesures de sécurité importantes et une logistique complexe pour gérer le stockage et le transport de l’or.
“C’est un secteur particulier, reconnaît Franz. D’abord parce que notre profession n’est pas encore réglementée. Cela viendra sans aucun doute. Mais c’est pour l’instant l’un des rares – sinon le seul – secteurs financiers à bénéficier d’une certaine obscurité, et donc d’une certaine liberté. Premièrement, les lingots ne sont pas correctement répertoriés, ils sont difficiles à retracer.« Les lingots d’or issus d’un héritage ne sont, en pratique, pas déclarés à l’administration fiscale (ou rarement). Et ainsi échapper aux droits de succession. Ensuite, lorsque l’or est déclaré, sa valeur ajoutée échappe à tout prélèvement à la Source ou impôt. Pas un seul pour cent n’a été versé à l’État. Cette particularité belge a une conséquence. “Nous accueillons de nombreux étrangers dans nos bureaux, notamment des Français.« Quand on liste les différents bureaux ou comptoirs d’achat et de vente d’or dans le pays, on remarque une particularité. Un grand nombre d’entre eux se trouvent sur le territoire belge, tout le long de la frontière française.
“Ils viennent vendre leur or chez nous et évitent au moins une taxe de 11 %. Mais ce chiffre peut dépasser 36 %. Ici, pour eux : zéro.« Le paiement de l’or s’effectue à hauteur de 500 euros en espèces. Ci-dessus, par virement bancaire ou virement électronique. La pièce d’or la plus populaire est le Napoléon. Celui-ci pèse 6 grammes et se vend environ 350 euros. Bien en dessous du plafond de 500 euros. Avoir des Napoléon, c’est, de facto, disposer de moyens souples pour obtenir, si nécessaire, du cash qui passe sous tous les radars. Mais toutes les transactions sur or ne sont pas soumises à cette suspicion propre aux opérations échappant à l’obligation de déclaration aux autorités. « Beaucoup de gens achètent de l’or, en le déclarant et pour des sommes qui nécessitent un virement bancaire, c’est-à-dire lorsqu’elles dépassent 3 000 euros. Cette semaine, quelques personnes travaillant dans le domaine médical sont venues acheter 1,5 million d’euros de lingots d’or. Un transport m’apporte des commandes une fois par semaine. Je leur remettrai ensuite deux lingots de 10 kg et 3 lingots d’un kilo en personne. Sur les plus-values, ils ne paieront – officiellement et en toute légalité – pas un centime d’impôt.»
Toc et lingots creusés
“Les objets en or s’échangent selon leur composition (or partiel) et la nature de l’or qui les compose. L’or pur est de 24 carats. L’or 18 carats est pur à 75 %. Tous les articles sont photographiés, vous avez besoin d’une carte d’identité pour vendre ou acheter. Nous disposons d’un dossier d’achats que la police vient fréquemment consulter. Au bout de quelques semaines, les objets sont fondus. Nous travaillons avec des fonderies qui fabriquent de nouveaux lingots. Il y a bien souvent des histoires de déception. La vaisselle de grand-mère qu’on sortait pour les grands événements et qui s’avère être fausse. Ou le contraire. On rencontre également des lingots dont l’intérieur a été creusé et remplacé par un matériau de densité comparable. C’est pourquoi j’utilise un spectromètre.» Franz reconnaît que la malhonnêteté est présente des deux côtés du comptoir. Et il vaut mieux contacter des entreprises avec des guichets différents. Certains bijoutiers ont tendance à peser la marchandise hors de la vue du client. “Vous savez, l’or, c’est beaucoup d’argent. Et ça peut faire monter la température chez certains, leur faire tourner la tête…»
