“Il me murmure à l’oreille et me parle du spectacle”, Isabelle, malvoyante depuis un accident de voiture, peut enfin retourner au théâtre

A Lyon, le théâtre de la Croix-Rousse utilise un système de chuchotement d’images pour les spectateurs malvoyants. Pas d’écouteurs ni de description audio enregistrée. L’appareil « Whisper » est un étudiant qui vous murmure à l’oreille tout ce qui se passe sur scène.

Déficiente visuelle depuis un accident de voiture il y a cinq ans, Isabelle a découvert de nouvelles sensations lors d’une pièce de théâtre. A ses côtés, Jordan, étudiant en licence d’arts du spectacle. Appuyé sur son épaule tout au long de la représentation, il lui murmure à l’oreille la description des scènes se déroulant sur les scènes du théâtre de la Croix-Rousse à Lyon.

Ce soir-là, on joue « Otages », d’après le roman de Nina Bouraoui. Voyage, description des décors, costumes et apparition des acteurs… Rien ne lui échappe. Isabelle voit des formes et certaines couleurs. Mais aucun détail. Jordan, son chuchoteur du soir, sera ses yeux durant le show. Isabelle est conquise. « J’avais l’impression de tout comprendre et de bien le suivre. Si des choses m’ont échappé, je ne m’en suis pas rendu compte. assure ce dernier.

C’est la deuxième année que cette institution culturelle propose ce dispositif aux personnes aveugles ou malvoyantes. Le système Chuchotine est issu d’un partenariat avec l’Université Lyon 2. Les étudiants en licence Arts du Spectacle bénéficient d’une formation spécifique pour apprendre à chuchoter et décrire des spectacles aux personnes déficientes visuelles. Au théâtre de la Croix-Rousse, les élèves peuvent perfectionner leur technique et mettre en pratique leur savoir-faire. Pas de spectacle sans rencontre préalable avec le spectateur malvoyant.

Pour Isabelle, cette expérience théâtrale murmurée à son oreille est une première. Elle s’interroge : l’élève va-t-il parler tout au long de la pièce et l’empêcher d’entendre correctement les acteurs ? Jordan l’assure : il gardera le silence pendant les dialogues. Isabelle est rassurée.

Nous avons un entretien environ une demi-heure avant le spectacle avec la personne que nous accompagnons. Il faut savoir si leur cécité est partielle ou totale, s’ils ont des préférences : si on leur murmure continuellement ou non. On est d’accord sur un signal… il faut s’adapter.

Pour Jordan, Margaux et Rania, étudiantes en Arts du spectacle, c’est aussi « une expérience humaine et partagée ». « On découvre le spectacle avec la personne qu’on accompagne » ajoute Margaux. Avec Rania, une autre étudiante chuchoteuse, ils ont choisi la spontanéité, ils n’avaient jamais vu la pièce auparavant.
L’expérience est totalement inédite pour les deux étudiants, partagés entre appréhension et enthousiasme. Principale difficulté : ne pas déranger les autres spectateurs tout en étant suffisamment audible pour la personne accompagnée, sans être trop intrusif. Avant leur premier lever de rideau, Margaux et Rania ont suivi leurs derniers conseils de Jordan, chuchoteur “endurci”, qui aimerait devenir doubleur.

Le dispositif est encore peu répandu, mais l’approche est très différente de la formule avec casque et audiodescription enregistrée. Jusqu’à présent, c’était le seul moyen de vaincre la cécité pour assister à un spectacle live. “Lors d’une prestation de spectacle vivant, la personne qui en bénéficie ne peut faire de pause, ne peut reprendre l’audiodescription si un mot ou une phrase lui a échappé”, ajoute Camille Jeannet, responsable des relations publiques au théâtre de la Croix-Rousse.

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A l’inverse, avec les élèves à ses côtés, le spectateur malvoyant peut demander des éclaircissements, des explications, plus de précisions à l’élève présent à ses côtés. Elle peut également bénéficier d’un moment de calme. Que recherchent les personnes qui utilisent ces chuchoteurs étudiants ?

Ils apprécient de pouvoir demander directement à reprendre le chuchotement, si celui-ci est trop fort ou trop faible. Ils apprécient avoir un service adapté et sur mesure.

Camille Jeannet

Théâtre de la Croix-Rousse

« Chuchoter a une relation physique. La personne peut choisir si elle préfère qu’on lui murmure à sa gauche ou à sa droite”, précise Camille Jeannet. Ces spectateurs apprécient également d’avoir ce temps d’échange préalable avec ces étudiants, experts culturels et futurs professionnels du monde du spectacle. Avant le début du spectacle, Jordan explique son parcours à Isabelle et comment il est devenu « Whisper ».

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« Avoir cette opportunité de donner aux gens accès à des performances live est formidable. » Jordan explique. Bilan positif pour l’étudiant en Arts du spectacle qui a apprécié la rencontre avec Isabelle. Pour cette dernière, l’expérience est largement positive par rapport à l’audiodescription qu’elle a déjà testée.. Elle apprécie également l’engagement de l’étudiant bénévole.

Avoir quelqu’un à nos côtés qui vit un moment culturel en même temps que soi est une autre sensation. Je trouve intéressant que les universitaires et les étudiants s’inquiètent de notre accessibilité à la culture.

Isabelle

spectateur malvoyant

La Burgienne, venue spécialement à Lyon pour la soirée, a découvert cette initiative grâce à une association. “Je ne savais pas que ça existait avant, en chuchotant dans une salle de spectacle.” Isabelle aimerait réitérer l’expérience, mais dans sa ville.

Encore confidentiel, ce concept existe depuis plusieurs années, notamment à Paris où depuis 2016, des bénévoles de la structure « Souffleurs d’images » rendent le spectacle vivant plus accessible aux personnes totalement ou partiellement aveugles. Le concept se répand un peu partout en France et est repris par l’Université Lyon 2 pour la deuxième saison consécutive, en partenariat avec plusieurs établissements culturels de la métropole, dont le Théâtre de la Croix-Rousse.

Le dispositif est proposé pour tous types de spectacles (théâtre, danse, cirque…) dans plusieurs théâtres partenaires de Lyon. L’établissement Croix-Roussienne, qui a reçu de bons retours, souhaite développer l’expérience Chuchotine.