pourquoi certaines personnes ne peuvent pas générer d’images mentales

pourquoi certaines personnes ne peuvent pas générer d’images mentales
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Si quelqu’un vous demande : pensez à une pomme, visualisez-la dans votre tête, avec ses textures, ses couleurs et son goût, que voyez-vous ? Pour 1 à 3% de la population mondiale, cet exercice est très difficile voire impossible, leur esprit reste obscur. Ils souffrent d’aphantasie, c’est-à-dire « l’absence de capacité à imaginer visuellement quelque chose », comme l’explique Thomas Andrillon, neuroscientifique et chercheur Inserm à l’Institut du cerveau de Paris.

Il existe différents degrés d’aphantasie et différentes formes. « On peut avoir une imagerie auditive, être capable d’imaginer une chanson dans sa tête, sans forcément avoir une voix parlante par exemple, surtout quand on réfléchit. » Ainsi, une personne aphantasique peut entendre un son sans pouvoir visualiser des images en pensée ou vice versa, voire les deux. De même, l’aphantasie peut exister dès la naissance, ou être le résultat de lésions cérébrales ou de troubles psychologiques.

Le phénomène a été décrit pour la première fois par Francis Galton en 1880, mais peu de recherches ont été menées depuis sur le sujet. Le mot « aphantasia » lui-même a été inventé en 2015 par le neurologue Adam Zeman de l’Université d’Exeter, en Angleterre. Il est formé du grec privatif « a » qui signifie absence, et de fantasme que l’on peut traduire par imagination.

Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’étymologie, l’aphantasie ne désigne pas l’absence d’imagination. Selon Thomas Andrillon, l’imagination est, dans sa définition la plus générale, « la capacité de représenter quelque chose dans son univers mental ». Cela n’implique pas nécessairement « quelque chose de perceptuel », car « on peut imaginer les choses d’un point de vue sémantique. » Il donne l’exemple de la fable bien connue des trois petits cochons : « Je peux imaginer cette histoire dans ma tête sans avoir à aucun moment de représentations visuelles ou auditives, mais c’est quand même de l’imagination. » Le cerveau n’a donc pas nécessairement besoin d’utiliser des modalités perceptuelles pour mettre en œuvre des contenus imaginaires.

Comment savoir si vous souffrez d’aphantasie ? Beaucoup de gens se posent cette question. Pour y répondre, Francis Galton a inventé dans les années 1880 le « questionnaire du petit-déjeuner », qui consistait à faire visualiser au patient son petit-déjeuner, pour comprendre son degré de précision dans son imagerie mentale. Depuis 1973, il existe un test similaire appelé Vividness of Visual Imagery Questionnaire (VVIQ) en seize questions développé par le psychologue David Marks, destiné à évaluer la qualité de l’imagerie visuelle. Le questionnaire est auto-rempli et consiste à faire imaginer un certain nombre de choses et à décrire les degrés de précision des images mentales. Par exemple, pour la consigne « imaginez un ciel étoilé », il y a cinq possibilités de réponse, allant de « je le vois parfaitement clairement et vivement comme une vision réelle » à « pas d’image du tout, je sais seulement que je pense à l’objet ». . »

Le test, bien que relativement efficace, reste limité par son format. Pour Thomas Andrillon, « cela dépend un peu de la manière dont on comprend les questions, et de la manière dont on donne les réponses. C’est donc quelque chose qui fonctionne, c’est relativement simple à utiliser, mais c’est basé sur le rapport de l’individu lui-même. »

Il existe d’autres approches pour détecter l’aphantasie. Parmi eux, celui de Joel Pearson, professeur de neurosciences cognitives à l’université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, en Australie. Il utilise ce qu’on appelle la rivalité binoculaire. Thomas Andrillon l’explique en ces termes : “quand vous regardez un objet, vous avez des images qui se forment sur vos deux rétines, à l’oeil droit et à l’oeil gauche, mais vous ne voyez qu’une seule image, il y a un effet de fusion”. […] On peut jouer avec en présentant une image différente avec une sorte d’appareil doté de lunettes un peu spéciales. » Votre cerveau sera toujours capable de voir une seule image, en combinant les informations perçues par chacun de vos deux yeux.

En général, les humains ont un œil dominant, et l’image que nous percevons correspond davantage à cet œil qu’à l’autre. Mais si vous demandez à quelqu’un d’imaginer l’objet que vous présentez, « l’alternance entre les deux yeux se fera plus rapidement. Votre cerveau se prépare déjà à cette image que vous imaginez et ainsi vous la verrez apparaître, il y a un basculement entre votre œil dominant et votre œil non dominant. » Et c’est quelque chose qui « se corrèle assez bien avec les résultats des questionnaires VVIQ » selon l’expert. « Cette manipulation fonctionne moins bien avec les personnes qui disent ne pas avoir d’imagerie mentale. C’est une manière « d’objectiver qu’une personne n’a aucune imagerie mentale ». Le scientifique précise néanmoins que ces expériences sont « relativement compliquées » et doivent être réalisées dans un « laboratoire doté du matériel adéquat ».

Pour les individus dits « fantastiques », qui possèdent une imagerie mentale classique, l’absence d’imagerie mentale peut paraître handicapante. Et c’est effectivement le cas pour certains. “Je ferme les yeux, je ne vois rien […] pas de sons, pas d’odeurs », explique Matthieu Munoz au micro de Faustine Bollaert dans l’émission « Ça commence aujourd’hui » consacrée aux troubles de la mémoire. Le jeune homme raconte qu’il se souvient principalement des événements marquants de sa vie, mais à moyen voire court terme. Et il exprime aussi des difficultés à situer ses souvenirs dans le temps. « Tout ce qui est enfance, adolescence, aujourd’hui, c’est quasiment inexistant », exprime-t-il, qualifiant lui-même son aphantasie de « trouble ».

Cependant, toutes les personnes atteintes d’aphantasie ne ressentent pas cette différence. Pour certains, qui n’ont jamais expérimenté l’imagerie mentale, c’est normal. « La plupart des personnes atteintes d’aphantasie sont en fait remarquablement semblables aux autres personnes, et c’est pourquoi elles s’en rendent généralement compte très tard. Il n’existe aucune preuve extérieure démontrant que le fonctionnement de leur cerveau est différent de la moyenne », constate Thomas Andrillon.

En effet, le cerveau est un organe plastique qui peut remplir certaines fonctions de différentes manières, « on peut très bien arriver à faire la même chose qu’un autre individu en utilisant simplement des réseaux neuronaux différents », affirme l’expert. ” Par exemple […] on peut perdre une région cérébrale et puis petit à petit, avec le temps et la rééducation, on peut retrouver des façons de se comporter comme avant, simplement en utilisant d’autres régions cérébrales. »

Pour tenter d’obtenir une réponse à la question « l’aphantasie est-elle invalidante ? », les chercheurs Jianghao Liu et Paolo Bartolomeo ont fait passer un test d’imagerie visuelle à 117 participants. Parmi eux, quarante-quatre étaient aphantasiques, quarante-deux avaient une imagerie typique et trente et un étaient hyperphantasiques, c’est-à-dire qu’ils sont capables de produire des images mentales extrêmement précises. Chaque participant a d’abord reçu une qualité visuelle (« forme » par exemple), puis deux mots à représenter dans son esprit (« castor » et « renard »). Enfin, la voix mentionnait un adjectif (supposons « long ») et incitait la personne à choisir lequel, castor ou renard, y répondait le mieux. Les deux chercheurs ont ensuite analysé les réponses des trois groupes et ont démontré que les individus aphantasiques étaient en moyenne plus lents à assimiler et à traiter les informations visuelles. Cependant, malgré les différences dans les délais, les trois groupes ont fait preuve du même degré de pertinence.

L’aphantasie ne réduit donc pas nécessairement l’imagination visuelle. En ce sens, Thomas Andrillon détourne la métaphore de l’adaptation d’un film au cinéma : « avant l’adaptation au cinéma, on est libre d’imaginer l’histoire comme on veut, puis dès qu’elle est adaptée au Au cinéma, les visages des personnages auront tendance, si on a une imagerie visuelle, à correspondre à ce qu’on retient du film, et donc on perd une certaine imagination. Quelqu’un qui ne disposerait pas de cette imagerie visuelle, au contraire, aurait peut-être plus de liberté dans son imagination visuelle. » C’est pourquoi il ne présente pas l’aphasie comme un « déficit » dans son travail. « Nous n’avons aucune preuve empirique qu’il s’agit nécessairement de quelque chose de moins bon. C’est différent», conclut-il.

 
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