On peut apercevoir la petite créature, brune, de quelques millimètres de taille, sur le siège d’un Ouigo, d’un cinéma ou du métro. Ces photos, postées sur X (anciennement Twitter), ont généré des milliers de likes, de réponses, puis d’articles de presse. Les punaises de lit sont-elles particulièrement efficaces pour déclencher la paranoïa collective ou constituent-elles un véritable problème de santé publique ? Si les réseaux sociaux ont tendance à rendre viraux les contenus négatifs, les punaises de lit sont en effet de plus en plus présentes en France. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), entre 2017 et 2022, un foyer sur dix a été infecté. Et l’évolution de nos modes de vie explique l’augmentation exponentielle de ces ravageurs. Explications.
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Un autre rapport au risque
Pourquoi les punaises de lit font-elles leur retour ? La question que nous devrions nous poser est de savoir pourquoi nous n’en avons pas eu pendant un certain temps. Il y a l’anomalie
répond Nicolas Roux de Bézieux, co-fondateur de Badbugs, plateforme spécialisée dans la lutte antiparasitaire, et auteur de Punaises ! Le manuel pour s’en débarrasser définitivement (Larousse, 2022), interrogé à ce sujet recolonisation
.
Dans les années 1950, le dichlorodiphényltrichloroéthane, mieux connu sous le nom de DDT, était largement utilisé, empêchant efficacement la prolifération de parasites, notamment les punaises de lit. Mais ce produit chimique a été progressivement abandonné à travers le monde en raison de ses propriétés cancérigènes et de ses effets nocifs sur la faune et la flore. Désormais, les insecticides sélectionnés sont privilégiés soit sur leur efficacité mais par rapport au spectre de risque qu’ils représentent pour l’utilisateur et pour la société
, explique Romain Lasseur, docteur en toxicologie animale et expert des espèces envahissantes. Cela résume : Notre société d’aujourd’hui a tendance à se concentrer sur le risque plutôt que sur l’efficacité.
Résultat : le nombre de foyers infectés en France a doublé ces cinq dernières années, selon Romain Lasseur. Et les conséquences sont multiples. Sanitaire certes, mais aussi économique. Dans son dernier rapport, l’Anses indiquait que les traitements contre les punaises de lit représentaient pour les ménages français 1,4 milliard d’euros pour la période 2017-2022, soit 230 millions d’euros par an en moyenne sur la période
.
Tourisme de masse
Les punaises de lit ne volent pas et pour se déplacer, elles ont besoin des humains. Le problème c’est nous et nos modes de vie
, estime Romain Lasseur. Il n’est donc pas surprenant que la première cause d’infection soit les voyages, qui représentent 44 % des nouveaux cas. Et à l’ère du tourisme de masse, on voyage de plus en plus. Au fil du temps, l’accélération des transports, des déplacements, l’internationalisation des déplacements liée à la réduction de l’arsenal d’insecticides
nous a amené à cette augmentation, explique le spécialiste.
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Les punaises de lit peuvent donc être trouvées dans les transports (avions, trains, bus), mais aussi dans les logements de vacances. Les infestations d’hôtels se sont multipliées ces dernières années, indique le ministère de la Santé sur son site Internet. Une étude Ipsos, datant de 2021, a détaillé les causes des infestations, 20 % d’entre elles ont eu lieu dans un hôtel. Véronique Siegel, présidente de la branche hôtelière de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), tempère Ouest de la France : Nous n’avons pas constaté d’augmentation ces dernières années
. Elle ajoute que depuis plusieurs années le syndicat a mis en place processus
pour prévenir au mieux la propagation des infestations. Les méthodes préventives pour empêcher les punaises de lit de s’installer ne fonctionnent pas. La meilleure prévention est la prévention de la propagation, qui se fait grâce à la formation des équipes.
Selon l’étude Ipsos, 24 % des infestations ont lieu lors d’un séjour en location de vacances (airbnb, camping, chambre d’hôtes…), ce qui est de plus en plus répandu. AirBnb, leader du secteur de la location courte durée, connaît une croissance fulgurante depuis sa création en 2007. En 2020, la société compte plus de 4 millions d’hôtes, qui ont accueilli plus de 1,5 milliard de voyageurs dans presque tous les pays du monde. Les voyageurs séjournant quelques nuits, venant de France ou de l’étranger, peuvent facilement laisser des punaises de lit avec leurs bagages. Contacté, AirBnb nous a orienté vers l’Union Nationale pour la Promotion de la Location de Vacances (UNPLV), qui n’a pas encore répondu à nos demandes.
Ce phénomène, en France, est encore plus mis en évidence lors de l’organisation de grands événements, réunissant un grand nombre de populations françaises et internationales. La Coupe du monde de rugby, ou encore les JO, provoquent des flux de voyageurs. Aujourd’hui nous avons des gens qui, avec le prix de l’immobilier, le prix de la location, sont tentés de louer leur appartement lors de ces événements.
indique Romain Lasseur. Chaque échange, chaque flux de personnes est potentiellement une nouvelle voie de transfert des punaises de lit.
Et la seconde main ?
Autre tendance de notre époque : la seconde main, notamment pour les vêtements. Les ventes de vêtements d’occasion explosent en France. Ils ont augmenté de 140 % entre 2019 et 2021. Avec un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros, le marché du meuble d’occasion pesait en 2021 près de 10 % de celui du meuble neuf, selon l’Institut de prospective et d’études du meuble (Ipea). Une aubaine pour les punaises de lit : 10 % des personnes interrogées dans l’étude Ipsos déclarent avoir été victimes d’une infestation de punaises de lit lors d’un achat d’occasion ou de récupération.
Contacté par Ouest de la FranceVinted, la plateforme leader du secteur, qui compte 65 millions de membres selon ses chiffres, réfute toute plainte liée au ravageur : À notre connaissance, il n’existe aucun cas rapporté ou avéré de contamination par des punaises de lit. via Achats Vinted
. Elle affirme également donner des instructions strictes à ses vendeurs quant à l’état des produits mis en vente.
C’est assez simple à prévenir, car les surfaces contaminées sont plus petites. Il suffit de mettre le truc au congélateur pendant cinq jours
, commente Nicolas Roux de Bézieux. Il est évidemment déconseillé de ramasser les meubles, et notamment les matelas, qui jonchent les trottoirs des villes.
Nos modes de vie comptent
Si le réchauffement climatique ne semble pas jouer de rôle dans cette prolifération, la punaise de lit étant une espèce vivant dans le noir et dans nos intérieurs, l’urbanisme compte, selon Romain Lasseur. Si toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées de manière égale, les citadins sont les plus exposés aux risques. C’est nous qui avons modifié l’écosystème à notre profit. Nous avons complètement simplifié notre environnement pour vivre dans cette chose qu’on appelle la ville, pour avoir tout notre confort. Cela a permis d’évacuer de nombreuses espèces dont nous ne voulons plus, mais cela permet à certaines très opportunistes d’y proliférer.
Sans surprise, selon l’étude Ipsos, en 2021, les villes de 100 000 habitants ou plus concentrent 33 % des cas d’invasion enregistrés.
Combien de temps durera cette extension ? Difficile de le savoir. Nous y travaillons, nous essayons d’anticiper son évolution
, précise Romain Lasseur. Avant de concéder : Mais le problème est que modéliser la propagation du bug implique de modéliser les transports et les flux de personnes. Et cela est compliqué à l’heure où l’on se déplace de plus en plus vite d’un point A à un point B. Et malheureusement, quand on se rend compte de sa présence, il est déjà trop tard.
Historiquement, la punaise de lit est l’un des plus anciens parasites humains.
trace Nicolas Roux de Bézieux, qui rappelle que sa trace a été retrouvée notamment dans des textes de Victor Hugo. Elle était là bien avant nous et elle le sera probablement bien après.