Son nom et son numéro de téléphone sont échangés discrètement. Ses dons « exceptionnels » attirent des fidèles de toute la région, venant uniquement du « bouche à oreille ». Daniel M. exerce ses talents de guérisseur depuis au moins trois décennies derrière les hauts murs de sa maison construite à Colombiers, charmant et discret village situé près de Saintes, en Charente-Maritime. Herpès, zona, eczéma et brûlures : ce retraité de 76 ans allait libérer ses visiteurs de leurs douloureux maux.
Son « activité » et surtout son mode de vie ont fini par éveiller la curiosité de la justice et de la gendarmerie. La semaine dernière, Daniel M. a été placé en garde à vue pendant deux jours dans le cadre d’une enquête préliminaire sur des accusations d’exercice illégal de la médecine, de travail dissimulé et de blanchiment d’argent.
Des chèques “jusqu’à 40 000 euros par mois”
Cet ancien viticulteur retraité de la MSA (Mutualité sociale agricole) encaissait des chèques “jusqu’à 40 000 euros par mois”, a révélé Benjamin Alla, le procureur de la République de Saintes. La comptabilité de Daniel M. ne mentionne en revanche pas – et selon le magistrat – « quasiment aucune dépense courante ».
Bien qu’il ait une « clientèle importante », ce guérisseur n’avait « aucune activité déclarée, notamment auprès de l’URSSAF ou des services fiscaux ». Une infraction à la loi estimée à 952 000 euros pour les seules six dernières années – le délai de prescription s’appliquant au-delà.
La perquisition effectuée au domicile de Daniel M. a également permis de retrouver deux fusils, 11 000 euros en espèces et cinq véhicules de luxe estimés à 335 000 euros, dont une Porsche 997 et une Mercedes SL. Plus de 376 000 euros ont été attribués à ses comptes bancaires et d’assurance-vie. Dans l’immense parc arboré du retraité et à proximité d’un grand étang creusé il y a quelques années, les policiers ont finalement déterré 3,7 kg d’or, dont la valeur avoisine les 228 000 euros.
Cette « fortune personnelle » proviendrait en partie d’un héritage familial, confirme le parquet de Saintes. Les sommes et biens cités ont néanmoins été saisis dans leur intégralité et « versés » à l’Agence de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués (Agrasc), un établissement public, dans l’attente d’un procès.
« Le Souffle de la Sainte Vierge »
Le village de Colombiers a découvert cet étonnant mode de vie ces jours-ci, après les révélations du parquet du Saintais. Tout le monde ici connaissait les « prédispositions » de Daniel M. et guidait régulièrement les visiteurs jusqu’à son portail orné de ses initiales en lettres d’or. Le guérisseur à la longue barbe grisonnante y recevait des heures durant, assure un voisin : « C’était toujours plein, il jouit d’une grande réputation et il guérit encore beaucoup de choses ! »
Sa méthode ? « Il joint les mains, il baragouine des prières et, à la fin, il souffle. C’est le souffle de la Sainte Vierge », explique Jean-Louis Bodin. Ce retraité de 86 ans rencontré devant le domicile de Daniel M. voulait absolument lui témoigner son soutien en personne : « Si ta mère, ton père ou ta sœur étaient sur le point de mourir, tu essaierais aussi ! »
Il y a près d’une décennie, Jean-Louis Bodin souffrait d’une épine plantaire. « Je ne pouvais plus marcher. Aujourd’hui, je cours comme un lapin ! Ce monsieur, il a quelque chose», insiste-t-il. Le fils de Nadège Gaudet souffrait d’eczéma lorsque cette quadragénaire « a entendu parler » de Daniel M. et de son don. « Je ne savais pas… Il a soufflé sur mon enfant, c’est surprenant ! Mais ça a marché, mon fils a été complètement guéri », explique-t-elle, convaincue par « ses capacités de guérisseur ». Chez cet ancien vigneron, les prix étaient libres, raconte Nadège Gaudet : « J’ai dû y aller cinq ou six fois, il n’a rien demandé. » Jean-Louis Bodin confirme : « Vous donnez ce que vous voulez, 5 ou 10 euros, plus si vous pouvez. Certains viennent avec des légumes ! »
Le « gourou » a construit une chapelle de ses propres mains
Le procureur de Saintes se montre bien plus prosaïque face aux prestations de Daniel M. qualifiées de « diagnostic médical ». Selon Benjamin Alla, « le mis en cause adopte une démarche de soin envers ses patients, avec des consultations répétées pour certains clients. Cela va donc au-delà de ce qui est possible. »
À Colombiers, d’autres qualifient plus volontiers Daniel M. de « mégalo » ou de « gourou » et décrivent un personnage « intelligent », « casanier ». Mais tous évoquent à l’unisson une foi catholique ostentatoire. Entre 1995 et 1997, le guérisseur a construit de ses propres mains une chapelle. Chaque année, en septembre et jusqu’au Covid, une messe y attirait de nombreux fidèles — le curé de Pons y officiait à plusieurs reprises.
A proximité de ses chênes truffiers et sur la colline voisine, Daniel M. a poursuivi avec un monument dédié à la Vierge Marie — il sera consacré lors d’une procession. « C’est sûr, il a une âme de maçon », sourit Janine Véron, qui fut maire de Colombiers de 2001 à 2014. L’ancien élu s’est souvent heurté à Daniel M., qui respecte rarement les règles d’urbanisme. « Permis de construire, déclarations de travaux : il les a ignorés… Je n’avais rien contre lui mais j’ai dû faire respecter la loi », se souvient-elle.
Gérard Depardieu est passé entre ses mains
Daniel M., que Le Parisien n’a pu rencontrer ni contacter, a depuis complété son œuvre par la construction d’un dolmen et d’une « Source cosmo-tellurique ». Comme à Lourdes, les fidèles venaient y puiser « de l’eau miraculeuse », commente Janine Véron qui a fini par intervenir par crainte d’un empoisonnement.
Gérard Depardieu a-t-il goûté cette eau ? En 2009 et en marge d’un tournage, l’acteur visite la chapelle et le dolmen avant d’être manipulé par l’ex-vigneron. Selon le parquet de Saintes, les investigations vont se poursuivre, “notamment sur le volet fiscal”. Le guérisseur, « investi d’une mission divine », comparaîtra alors devant le tribunal correctionnel.