C’est une histoire qui commence mal, mais dont la fin risque de surprendre.
Publié à 00h43 Mis à jour à 5h00
En juin 2022, mes collègues Maxime Bergeron et Lila Dussault racontaient comment un promoteur immobilier qui souhaitait construire 200 condos près du canal de Chambly, un projet qui enthousiasmait la municipalité, s’était heurté à l’opposition d’un groupe de citoyens. Un cas typique de « pas dans mon jardin », on a compris1.
Lumicité sur les écluses – c’est le nom du projet du promoteur Mario Gisondi – répondait néanmoins aux besoins d’un bon nombre de Chamblyois, des personnes âgées qui ne souhaitaient plus vivre dans leur grande maison, mais qui souhaitaient demeurer dans leur ville. Le projet répondait également aux exigences de densification du plan de développement de la Communauté métropolitaine de Montréal, dont Chambly fait partie. Au lieu d’encourager l’étalement urbain, nous souhaitons concentrer un plus grand nombre de personnes sur un territoire plus petit afin de maximiser les infrastructures et de réduire l’utilisation de la voiture. Une question de bon sens en ces temps de crise climatique.
Mais densifier, c’est aussi changer le visage d’un quartier et surtout faire le deuil du rêve nord-américain du bungalow et de la voiture solo.
Pourtant, c’est ce qu’on nous dit depuis des décennies. C’est un symbole de réussite. Et il faudrait l’abandonner du jour au lendemain sans que ça fasse mal ? Pour que cela blesse les gens dans ce qui leur est le plus précieux : leur tranquillité d’esprit, leur sentiment de sécurité, leur identité même ?
Revenons à Mario Gisondi. Ce n’est pas un promoteur de cowboys, il a fait ses devoirs.
De son côté, la Ville, très enthousiaste, avait suivi à la lettre les règles de consultation.
Le problème, c’est qu’une vingtaine de propriétaires résidant sur Canal Road, un secteur jouxtant le futur emplacement des condos, n’étaient pas au courant du projet. Ils ont appris l’arrivée prochaine de centaines de nouveaux voisins et ont été sous le choc. « Mea culpa, je n’avais pas lu les journaux locaux et donc je n’avais pas vu les avis publics », m’a dit l’un de ces résidents, l’avocat François Normand. Mes voisins ne le savaient pas non plus. C’est quelqu’un du Mouvement citoyen de Chambly qui nous a prévenus. »
(Transparence ici : j’ai fait mes études secondaires avec François Normand dans les années 1980.)
M. Normand se présente donc à la séance du conseil municipal où l’on s’apprête à donner le feu vert à Lumcité. Il demande à la Ville de suspendre le vote le temps de vérifier la loi. Selon lui, Chambly ne peut avancer sans le soutien de cette vingtaine de citoyens.
On arrête tout
Je vous épargnerai les détails que vous découvrirez en revenant lire le texte de mes collègues, mais il n’en reste pas moins que le groupe de citoyens impose finalement la tenue d’un référendum et que, voyant cela, l’administration municipale abandonne le projet. Quant au promoteur, il a intenté une poursuite contre la Ville.
Bref, en cet été 2022, le diable est dans les vaches à Chambly.
PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE
Le canal de Chambly
Je demande au maire pourquoi elle a abandonné si vite. «On s’est dit qu’on n’irait pas en justice contre nos concitoyens», explique Alexandra Labbé. Et c’est sans compter le coût d’un référendum. Forcément, nous avions mal expliqué le projet et ses objectifs, il a fallu recommencer. »
Mario Gisondi, on le devine, est déçu. « Cela fait partie de notre réalité », m’explique-t-il avec le recul. Il y a beaucoup de nuits blanches et de résilience dans notre métier. »
---Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là.
Au lendemain de son échec, le promoteur appelle François Normand. Ce dernier est un peu ébranlé par la médiatisation de l’affaire qui lui a valu de nombreux mails insultants. « Un avocat m’a même dit que j’étais une honte pour la profession », raconte-t-il. Pourtant, je n’étais absolument pas de mauvaise foi. Au fond, je savais que cela n’avait pas de sens que 10 personnes bloquent un projet d’une telle envergure. Mais il fallait que ce soit gagnant-gagnant pour tout le monde. »
Avant de discuter de la tenue d’un référendum, l’avocat avait demandé à plusieurs reprises aux représentants de la Ville d’organiser une rencontre avec le promoteur afin qu’ils puissent discuter, en vain.
On peut comprendre les réticences de la Ville de Chambly. Elle se remet de plusieurs scandales liés à l’administration précédente, elle se veut « plus catholique que le pape ». «Nous ne voulions pas donner l’impression d’intervenir», confirme la mairesse Alexandra Labbé.
Après avoir discuté avec Mario Gisondi, François Normand décide de l’inviter à un barbecue auquel il convie également ses voisins. “Je suis avocat d’affaires, je fais des deals, chaque jour, dit-il. Lorsque vous commencez à parler, à communiquer vos inquiétudes et vos préoccupations, vous trouvez toujours un moyen de résoudre les problèmes. »
« C’était spécial d’être là, reconnaît Mario Gisondi. Les habitants ont trouvé le projet grand, mais je leur ai expliqué que je ne pouvais pas réduire le nombre de logements, car cela n’aurait plus été rentable. »
Dans cette ambiance plus détendue, les voisins expriment leurs réserves : ils souhaiteraient que Canal Road – une route de gravier cahoteuse – soit asphaltée. Ils s’inquiètent également de ce qui va arriver à une zone boisée voisine. Enfin, ils craignent de ne plus pouvoir tourner à gauche, vers l’Estrie, à la sortie de leur rue, ce qui leur occasionnerait un long détour. Le promoteur s’engage à défendre ses demandes auprès de la Ville et une entente est trouvée. Le projet sera finalement approuvé lors d’une assemblée publique ultérieure.
Parlez-vous franchement
Il reste encore plusieurs étapes à franchir avant de lancer les premiers travaux, mais le promoteur compte déjà plus de 150 personnes intéressées par son projet.
« J’ai perdu un an, observe M. Gisondi, mais je comprends la réaction des citoyens. Ils ne savaient pas et ne comprenaient pas. Ils m’ont aussi utilisé pour obtenir des garanties de la Ville, et c’est exact. Je pense que tout cela montre l’importance de la communication et du travail d’équipe. Nous devons mettre notre ego de côté dans ces situations. »
«Quand tout le monde est de bonne foi, on obtient des résultats», souligne la mairesse Alexandra Labbé. Il faut revoir notre façon de communiquer avec les citoyens pour sortir de la confrontation. »
Pour François Normand aussi, le bilan est positif. « J’ai fait connaissance avec mes voisins et les gens s’entendaient enfin. Mais je pense qu’il aurait pu y avoir une meilleure communication dès le début. »
C’est vrai qu’il y a des leçons à tirer de cette histoire qui, heureusement, se termine bien. Le promoteur Mario Gisondi a travaillé de concert avec la Ville et a fait preuve de transparence dans ses efforts, ce que tout le monde semble avoir apprécié.
Lorsqu’on est citoyen, il est important de se tenir informé de ce qui se passe dans sa ville si l’on veut faire valoir ses droits. Et l’ouverture d’esprit est toujours payante.
Enfin, lorsqu’on est élu municipal, il faut redoubler d’efforts pour s’assurer de rejoindre l’ensemble de la population qui sera touchée par un projet. Dans ce cas-ci, la Ville de Chambly aurait pu distribuer une lettre aux résidents aux alentours de l’emplacement du futur complexe de condos puisqu’ils n’étaient qu’une vingtaine.
Avis aux villes qui veulent se densifier : cela demande de l’habileté, de la patience et beaucoup d’explications. La densification est un concept encore mal compris et qui doit être expliqué encore et encore.
Bien sûr, on ne peut pas toujours faire un barbecue. Mais nous pouvons toujours essayer de trouver un terrain d’entente.