Ce ne sont pas ses descendants directs, Raymond Cortesi n’a pas eu d’enfants. Mais ils le considéraient tous comme leur grand-père. Mounir, son neveu par alliance, faisait ses courses pour lui, venait régulièrement l’aider, voir si tout allait bien et préparait ses médicaments. Les filles de Mounir ont également rendu visite au nonagénaire, qu’elles appelaient « oncle ». Alors, lorsqu’il décède subitement le 20 août 2018, à l’âge de 95 ans, après avoir épousé en secret Hadjila, sa gouvernante de trente-huit ans sa cadette, faisant d’elle son unique héritière, tout le monde est tombé du ciel.
« Il était vieux mais n’avait pas de soucis de santé particulier. Il prenait des médicaments qu’on prend à cet âge-là, rembobine Mounir. Il avait été sportif, joueur de tennis notamment, il menait une vie saine. » S’ils ont des soupçons quant aux raisons de sa mort, rien ne vient étayer cette théorie. En revanche, ils ont accumulé un ensemble d’indices permettant de considérer que Hadjila a profité de la faiblesse de Raymond Cortesi.
Après un non-lieu et une seconde plainte déposée en septembre 2020, l’affaire a connu un rebondissement auquel on ne s’attendait plus le 23 février, avec la mise en examen de Hadjila, aujourd’hui âgée de 63 ans, pour abus de faiblesse. Raymond aurait eu 100 ans vingt jours plus tôt.
Le neveu « ramène le loup au bercail » malgré lui
L’affaire a débuté le matin du 27 novembre 2017, dans une salle de la mairie de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), où était célébré le mariage de Hadjila, 57 ans, et de Raymond, 94 ans. Il y a quatre témoins, dont le frère et la fille de Hadjila, même si Raymond ne les a jamais rencontrés jusqu’alors. Sa famille n’a pas été invitée à assister à ce mariage inattendu.
Hadjila est entrée dans la vie du retraité dix mois seulement avant le mariage. Elle avait été embauchée pour faire son ménage et l’aider au quotidien. Raymond ne se déplaçait qu’en fauteuil roulant ou avec une marchette. Depuis le décès d’Egilda, sa femme – avec qui il vivait depuis l’âge de 19 ans – en 2012, le vieil homme est un peu perdu.
C’est Mounir qui lui a présenté Hadjila, une de ses connaissances, en janvier 2017. « J’ai amené le loup dans le troupeau », murmure-t-il aujourd’hui. J’éprouve un incroyable sentiment de culpabilité. J’étais totalement naïf. » A l’époque, la famille souhaitait s’appuyer sur quelqu’un de plus présent qu’une simple aide ménagère. Hadjila, au RSA, est initialement payée au smic.
Mairie, banque, hôpital…
Tout se passe bien au début, mais les proches de Raymond remarquent vite des changements. Hadjila devient de plus en plus exigeante. Elle renégocie son salaire pour toucher 2 400 euros. Raymond signe ses chèques, dont un de 3 000 euros, pour qu’elle puisse racheter ses bijoux laissés chez un prêteur sur gages du prêteur sur gages. Après avoir appris cela, Mounir demande à cette femme de partir. C’est alors… qu’elle s’installe chez Raymond, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne).
Un samedi matin, Raymond annonce à Mounir qu’il a épousé Hadjila. Le nonagénaire s’amuse de la situation car cette union serait un simulacre de mariage, qui ne vise qu’à donner un coup de pouce administratif à Hadjila. Mais rapidement, la jeune mariée prend rendez-vous à la banque de Raymond pour faire évaluer son patrimoine. Elle prend même les clés de Mounir. Raymond est isolé. Selon ce que disent ses proches, Raymond devait mettre son téléphone sur haut-parleur à chaque fois qu’il appelait.
Son état de santé se dégrade et il est hospitalisé en mars 2018 à l’hôpital Saint-Antoine de Paris (XIIe siècle) pour anémie. Les patriciens pensent que la cause pourrait résider dans la malnutrition. Nouvelle hospitalisation en juillet 2018 avant le décès, un mois plus tard.
---L’épicier de province devenu patron de supermarché
Et si Hadjila avait profité du grand âge de Raymond pour mettre la main sur sa fortune ? C’est ce que pensent les proches du nonagénaire, qui se disent marqués par cette histoire. Mounir se confie à propos d’Hadjila : « Je me réveille chaque matin avec le visage de cette dame. »
Raymond était propriétaire du grand appartement de Charenton. Il jouissait d’une retraite confortable et disposait de nombreuses économies sur ses comptes. Il avait réussi dans le commerce, d’abord comme épicier, avant de quitter la Lorraine avec sa femme pour tenter sa chance à Paris. A cette époque, un nouveau type de magasin apparaît en France : les supermarchés. Il se lance dans l’aventure et se développe d’abord à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) puis chez Banco, un grand magasin situé dans le 13e arrondissement de Paris. Avec Egilda, ils n’ont pas pu avoir d’enfants. « Alors ils ont tout donné pour les travaux », poursuit Mounir. Ils formaient un couple proche. »
Dans son patrimoine, il y avait aussi une assurance-vie souscrite en 1993, dont Hadjila deviendra l’unique bénéficiaire le 4 juillet 2018, à la place de la belle-sœur de Raymond – la sœur de sa défunte épouse – dont il a pourtant été très proche toute sa vie.
Elle accuse la famille de profiter de lui et de le faire boire
Après le mariage, la famille s’est adressée au juge des tutelles. « S’il avait été sous tutelle, rien de tout cela ne serait arrivé », poursuit Mounir. Leur avocat de l’époque avait écrit au procureur de la République de Créteil pour faire un signalement.
Devant le juge d’instruction, Hadjila s’est défendue comme une femme corrompue et a accusé les proches de Raymond Cortesi de s’être approprié son argent et de l’avoir fait boire. D’ailleurs, elle explique avoir appris beaucoup de choses au contact du nonagénaire, dont, justement, la définition du mot « vénal », qu’elle avait entendu dans une émission. Hadjila pensait qu’une personne « maladroite » était une personne chanceuse. Bonne chance, en bref.
Selon ce qu’elle a déclaré au magistrat, Raymond Cortesi se sentait bien avec elle et ne souhaitait pas aller en maison de retraite. Elle raconte qu’il voulait qu’elle reste avec lui jusqu’à son dernier jour et qu’ensuite toute sa fortune lui reviendrait. Elle considère également qu’il était vulnérable car il avait des difficultés à se déplacer mais était capable de prendre des décisions. Mariage en secret ? C’est lui qui a décidé de ne pas en parler à sa famille.
“Il n’était pas conscient de ses actes”
Sauf que l’audition faite à la mairie avant le mariage laisse penser que Raymond pourrait être désorienté. Par exemple, il n’avait pas pu raconter comment il avait rencontré Hadjila. Devant le juge des tutelles, Raymond Cortesi a également déclaré : « Ma femme, je ne connais même pas son nom. Nina, c’est le prénom que je lui donne, c’est plus simple. » Mounir estime que, même si Raymond était sain d’esprit, « il n’avait pas conscience de ses actes ». «Il avait toute la personnalité d’un homme de 95 ans», raconte Mounir. Il était complètement en décalage. »
Après le décès du nonagénaire, Hadjila a vendu l’appartement de l’avenue du Général-de-Gaulle à Charenton pour 550 000 euros, à quelques mètres de l’entrée du centre commercial Bercy 2. Auxquels s’ajoutent les 200 000 euros qui étaient dans les comptes et les 32 000 euros d’assurance vie. Elle perçoit également la pension de survie de Raymond, soit 1 400 euros, et s’est installée dans une résidence sans grand charme à Saint-Raphaël (Var).
Contactés, ni Me Houria Amari, avocat de Hadjila, ni Me Arash Derambarsh partie civile, n’ont souhaité répondre à nos questions sur une affaire en cours. Selon nos informations, l’enquête touche à sa fin. Hadjila sera-t-elle poursuivie devant le tribunal correctionnel ou bénéficiera-t-elle d’un non-lieu ? Réponse dans quelques semaines.