La Croix : En raison des incendies en Alberta au Canada, plusieurs producteurs de pétrole ont suspendu leurs activités. Existe-t-il des risques pour l’approvisionnement mondial ?
Anna Créti : Préférablement pas. Le Canada est le quatrième producteur mondial de pétrole après les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie, avec 9 % de la production (chiffres 2021). L’Alberta est la principale région productrice d’hydrocarbures du Canada. La suspension équivaut à 30 ou 40 % de la production du pays. Cela ne devrait pas affecter l’approvisionnement mondial en pétrole à court terme. Ces entreprises ont des stocks pour compenser ce genre d’événement, et ce ne sont que des arrêts temporaires, par précaution. Aucune infrastructure n’a été endommagée et la production pourra redémarrer dès que les incendies seront maîtrisés.
Qu’est-ce qui explique l’inquiétude des marchés pétroliers ?
CA : Ils sont hypersensibles à ce genre de phénomène. Ils anticipent une baisse de l’offre et augmentent les prix de peur que cette baisse ne se prolonge. Mais cela reste un phénomène de courte durée. Si la récente hausse des prix a été remarquée, c’est principalement parce que les prix du pétrole ont été relativement stables ces dernières semaines. Tant que la hausse reste inférieure à 5 %, il n’y a aucune raison de s’inquiéter.
Cependant, ce n’est pas la première fois que des incendies affectent la production de pétrole dans cette région…
CA : En effet. Un épisode d’incendies majeurs avait déjà frappé le Canada en 2016, ravageant l’équivalent de dix fois la superficie de Paris. La production des sables bitumineux, très importante dans cette région, a été considérablement affectée. Malgré ce précédent, il n’y a eu aucune prise de conscience. Aucune politique de prévention ou d’alerte à la sécheresse n’a été mise en place. C’est décevant.
Doit-on craindre que ces phénomènes climatiques extrêmes deviennent un risque majeur pour la production d’énergie ?
---CA : Ces épisodes extrêmes sont une réalité partout dans le monde, avec une fréquence quasi annuelle. C’est le cas en Californie, au Canada mais aussi en Europe. L’Alberta a connu un printemps semblable au nôtre, chaud et sec, très propice aux départs de feu. Ces événements climatiques ont des conséquences directes sur tous les circuits de production d’énergie, pas seulement le pétrole. On les appelle aujourd’hui « risques physiques », alors qu’ils sont des symptômes importants du changement climatique. Imprévisibles et incontrôlables, elles sont appelées à se multiplier.
L’Alberta est-elle une région particulièrement exposée à ces risques ?
CA : Ils affectent particulièrement les sites situés dans des zones fortement exposées aux aléas du changement climatique. C’est le cas de l’exploitation des sables bitumineux en Alberta, où la saison des incendies s’allonge et s’accélère. Les sables bitumineux canadiens portent une double contradiction car ce sont des hydrocarbures non conventionnels, sinon plus émetteurs de carbone et de méthane. Dans la finance climat, on parle de « double matérialité » : ils contribuent au changement climatique tout en étant eux-mêmes profondément impactés par ce phénomène.
Que fait-on pour préparer le secteur de l’énergie à ces nouveaux défis ?
CA : Rien de concret n’est en place. La production d’hydrocarbures non conventionnels n’est pas réduite malgré les risques accrus. Ils deviendront des actifs échoués, c’est-à-dire des actifs qui ont perdu de leur valeur. Une réalité qui pousse les acteurs financiers à réduire leurs investissements dans ce secteur, pour limiter les pertes. Si aucune politique précise n’est adoptée en la matière, alors la transition du secteur de l’énergie se fera en fonction des préoccupations des acteurs financiers.
Le plus efficace serait de faire en sorte que ces hydrocarbures ne soient plus nécessaires. Anticiper pour ne pas souffrir. Mais il reste encore un long chemin à parcourir.