Marianne : Vous dites qu’il y a deux sexes. C’est évident, n’est-ce pas ?
Eugénie Bastié : Certes, mais nous sommes à l’heure de la grande déconstruction de l’évidence. La militante Antoinette Fouque (1936-2014) a écrit : « Il y a deux genres. C’est une réalité dont l’histoire devra désormais faire son quatrième principe, au-delà de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, si elle veut être en accord avec ses idéaux. » Le néoféminisme a renié ce principe en se faisant le syndicalisme d’un groupe dont il prétend impitoyablement détruire la substance. Il devrait y avoir des femmes partout, mais la « femme » n’existe pas ! Je pense que le féminisme de la troisième vague a complètement perdu de vue son sujet.
On vous dira qu’il ne s’agit pas de sexe biologique, mais de genre, c’est-à-dire de construction sociale…
Je ne suis pas stupide, je sais que les bébés ne naissent pas avec des cravates et des talons hauts ! Bien sûr, la différence sexuelle est en grande partie socialement construite. Mais il y a d’abord un substrat biologique sur lequel viennent se greffer de multiples manifestations culturelles. La femme engendre dans son propre corps, l’homme dans le corps des autres. Cette différence biologique n’est pas minime. C’est tout un rapport au temps, au monde et à la vie qui est différent.
« La gloire, le mariage, par exemple, sont des constructions sociales dans lesquelles les femmes ont pu trouver un intérêt, voire une protection. »
Je ne veux pas tomber dans l’essentialisme qui conduirait à déduire un destin inné de la femme de ses caractéristiques corporelles, mais je crois aussi que la “On ne naît pas femme, on le devient” de Simone de Beauvoir ouvre la porte au déni de la différence biologique. Par ailleurs, Simone de Beauvoir ne cache pas son mépris pour le corps féminin et la maternité, qu’elle ne perçoit que comme un frein à l’émancipation.
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Ensuite, ce n’est pas parce que quelque chose est « socialement construit » qu’il faut se donner l’objectif civilisationnel de le déconstruire. Toute manifestation culturelle de la différence des sexes n’est pas au service de la domination masculine. La galanterie et le mariage, par exemple, sont des constructions sociales dans lesquelles les femmes ont pu trouver un intérêt, voire une protection.
Concrètement, comment cette différence biologique est-elle menacée ? La majorité des Français se sentent « homme » ou « femme ».
La différence biologique entre les sexes n’est pas menacée, elle existera toujours. Comme l’écrit la féministe libertaire américaine Camille Paglia, « La froide vérité biologique est que les changements de sexe sont impossibles. Chaque cellule de notre corps, à l’exception des cellules sanguines, contient le code de notre sexe de naissance pour la vie. Ce qui m’inquiète, c’est l’effacement de la valeur culturelle accordée à la différence des sexes. L’apologie de la déconstruction, qui consiste à brouiller systématiquement les repères du masculin et du féminin, à voir dans toute manifestation sociale de cette différence un rapport de force, dans un évident biais d’agence, a un certain nombre de conséquences sociales concrètes. . Et l’incroyable violence que s’autorisent certaines transactivistes contre les « TERFS », ces féministes qui continuent de considérer que la différence biologique entre les sexes est évidente, est l’aspect le plus emblématique de ce déni.
Vous expliquez que les sciences sociales et les sciences dures divergent de plus en plus. En ce que ?
---La théorie du genre, qui imprègne toutes nos institutions – du Planning familial qui proclame que le pénis n’est pas un organe masculin au Haut Comité pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui veut dégenrer les jouets – est antiscientifique. L’idée que toute la différence des sexes est une construction sociale au service de la domination masculine nie l’évidence la plus élémentaire de la biologie. Je donne l’exemple des jouets genrés, qui peuvent faire sourire mais qui sont éclairants.
« C’est une gigantesque pièce d’ingénierie sociale qui crée un antagonisme entre les sexes. C’est la chose la plus grave : installer la méfiance, la suspicion et le ressentiment entre les deux moitiés de l’humanité. »
Toutes les études menées sur des enfants dès le plus jeune âge, mais aussi l’observation de primates, conduisent à la conclusion que l’attirance pour des jouets différents selon le sexe de l’enfant – des poupées pour les petites filles, qui roulent pour les garçons – n’est pas un construction sociale mais une inclination innée et universelle. Est-ce à dire qu’il faille en faire une règle ? Bien sûr que non ! Mais ne disons pas que c’est une construction sociale. Plus largement, la théorie du genre fonctionne comme une idéologie qui nie toute possibilité de réfutation. Si vous n’êtes pas d’accord avec ses hypothèses, vous êtes vous-même un agent du patriarcat, un complice du système de domination masculine. C’est un raisonnement circulaire qui ne laisse aucune place à la contradiction.
Pourquoi sauver la différence sexuelle ? Vous vous expliquez que vous ne croyez pas à « l’éternel féminin » et que vous étiez du genre « garçon manqué »…
“Boys will be boys” (“Les garçons seront toujours des garçons”), comme disent les Anglais. La différence sexuelle existera toujours, alors pourquoi la défendre ? Car je crois que si on la déconstruit culturellement, elle réapparaîtra, et elle refait déjà surface, de manière caricaturale, bâtarde, dans la pornographie, une sous-culture marchandisée, ou le masculinisme. Parce que je crois qu’on ne peut pas construire une civilisation sur un mensonge.
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Ce mensonge qu’est le déni de la différence des sexes conduit à un malaise masculin et un malaise féminin. Malaise féminin car notre société demande aux femmes d’être exigeantes à tous les niveaux, de cumuler les rôles, tout en niant la spécificité de la maternité. Malaise masculin car la masculinité n’est plus associée qu’au négatif, à la toxicité. Le seul homme que nous apprécions est l’homme qui a abdiqué les pièges de la masculinité. C’est un gigantesque mécanisme d’ingénierie sociale qui crée l’antagonisme entre les sexes.
C’est la chose la plus grave : installer la méfiance, la suspicion et le ressentiment entre les deux moitiés de l’humanité. Le néoféminisme prône la différence, vidée de sa substance dans le public – c’est le principe de parité et le communautarisme de la sororité – et l’égalité dans le privé – c’est l’effacement des rôles de genre jusqu’à la moelle. cheminée. Je prône le contraire : une stricte égalité des droits dans le public et la possibilité de laisser la différence se dérouler dans le privé.
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Eugénie Bastie, Enregistrer la différence entre les sexesGallimard, collection « Tract », 32 p., 3,90 euros.