Nadal et le tennis appartiennent définitivement au passé après la défaite de l’Espagne mardi en quarts de finale de la Coupe Davis. A cette occasion, « 20 Minutes » publie une série d’articles sur la légende du tennis aux 22 titres du Grand Chelem. Aujourd’hui, retour sur son lien avec la France, tissé au fil de ses 14 victoires à Roland-Garros.
Entre Rafael Nadal et la France, c’est l’histoire d’une évidence autant qu’une anomalie. Soyons tous conscients de l’aberration : nous parlons déjà d’un joueur espagnol, ce qui dans le domaine du sport suffit normalement à vous classer dans la catégorie des ennemis de la nation sans même chercher à comprendre, qui passait son temps à tourmenter tout Français qui se présentait devant lui et qui se construisait une villa porte d’Auteuil sans demander la permission à personne. Mais Nadal, bien sûr, est celui qui aura in fine a sublimé la terre battue parisienne, en faisant le théâtre d’un des plus grands exploits de l’histoire du sport, année après année, jusqu’à y être accueilli avec la déférence qui lui est due.
Le cyborg devenu humain
L’histoire du lien tissé entre la majorquine et la capitale française n’est pas celle d’un coup de foudre immédiat, d’un peuple tombé sous le charme d’un joueur gracieux au style raffiné. Celui-ci était réservé à quelqu’un d’autre, Roger Federer pour ne pas le nommer, et c’est là qu’une sorte d’incompréhension est née suite à son premier titre à Roland-Garros, en 2005. « L’Espagne sortait déjà de la domination à la fin des années 90. , et voir un autre Espagnol gagner tout en étant si supérieur a sûrement un peu bouleversé le public”, nous disait l’ancien finaliste (1998 et 2001) Alex Corretja en mai, lors de la dernière Porte édition d’Auteuil. Surtout quand le jeune homme impudent, avec son débardeur laissant apparaître le bras gauche d’un mutant, menace d’empêcher à jamais le sacre du chouchou suisse.
Le premier tournant dans cette histoire au long cours date de 2009, lorsque Nadal, aux genoux fragiles, chute sans prévenir en huitièmes de finale face au surprenant Robin Soderling. Après trois défaites de suite en finale, dont une véritable humiliation l’année précédente (6-1, 6-3, 6-0 en 1h48 de jeu, la plus lourde défaite du Suisse en Grand Chelem), Federer en profite pour conquérir le seul Major qui le refusait encore. Une sorte de soulagement pour tout le monde, comme si maintenant que Sa Majesté en avait remporté un, nous pouvions réellement faire le point sur l’œuvre monumentale que l’Espagnol construisait dans notre jardin.
Mais il a quand même fallu attendre encore un peu. « Les Français n’aiment pas les athlètes qui gagnent tout le temps. Après sept, huit, neuf Roland-Garros, ils en avaient un peu marre de Nadal, observe Laurent Luyat, qui n’aura rien raté du règne de l’Espagnol depuis la terrasse de France Télévisions. Et puis il y a eu un changement dans les esprits, après l’Open d’Australie où il est revenu et a perdu en finale face à Federer. [en 2017]. J’ai vraiment remarqué ça. »
Cette saison marque le grand retour de l’homme au lasso dévastateur en coup droit, après deux saisons au cours desquelles il a subi une série de blessures. Des premières fissures dans l’armure, qui en appelleront d’autres, et qui mettent à mal l’image de cyborg qu’il s’était bâtie malgré lui. Paradoxalement, ils contribueront à le rapprocher du public français. « Les gens ont vu que ce n’était pas seulement un monstre physique, mais quelqu’un avec un mental exceptionnel, un combattant qui surmontait toutes les difficultés, poursuit Laurent Luyat. A partir de ce moment, le grand public commence à l’aimer énormément. »
La série de quatre victoires consécutives qui s’ouvre alors ressemble à une période dorée, où un lien fort et durable se noue entre un joueur (plus ou moins) au sommet de sa forme et un public qui apprécie mieux la chance de voir écrire l’histoire. devant ses yeux. “La tendance s’est complètement inversée, et c’est aussi grâce à lui”, estime le présentateur de France TV. Il a montré d’autres choses de sa personnalité, de son talent. »
Les échos qui venaient des membres de l’organisation sur sa gentillesse, son humilité, sa simplicité, ont trouvé une résonance à l’extérieur. « Il a évolué, s’est ouvert sur son parcours personnel, ses difficultés, et a développé petit à petit une autre facette qui le rendait encore plus attachant, ce qu’il est vraiment en dehors des terrains », confirme Pierre Rabadan.
“En un mot, c’est un bon gars”
Conseiller d’Anne Hidalgo dès 2015 puis nommé adjoint à la maire de Paris chargé des sports en 2020, l’ancien rugbyman a eu l’occasion de rencontrer Rafael Nadal à de nombreuses reprises, porte d’Auteuil ou lors de réceptions à l’Hôtel de ville après ses victoires. « En un mot, c’est un type bien », rapporte-t-il. Il prend soin des gens, il est ouvert. C’est finalement quelqu’un d’anormal du fait du champion qu’il est mais tout à fait normal dans ses relations humaines. C’est ce que je trouve le plus appréciable chez lui. »
Laurent Luyat a des anecdotes à gogo à ce sujet. Il se souvient par exemple d’un entretien post-final où, malgré des crampes, Nadal faisait le tour du tableau pour saluer tous les techniciens. Ou cette fois où, loin des caméras, il confiait tout son matériel aux jeunes handicapés venus le voir. “Ça y est, c’est Nadal”, explique le journaliste. Un être sensible et très humain. J’avoue avoir un fort attachement, et je ne suis pas le seul. Tous ceux qui entrent en contact avec lui le disent, et le public l’a également ressenti à un moment donné. »
L’apothéose de la cérémonie d’ouverture olympique
“Je suis bluffé par la popularité qu’il a désormais auprès des Français”, ajoute Guillaume Lagnel, auteur du livre “Nadal, l’ultime guerrier”, paru en 2022. Sur son dernier match à Roland, on a l’impression que c’est un Dieu vivant qui entre dans une arène. Paris a une place très particulière pour lui, il y a un lien indéfectible entre les deux. » Un attachement qui a certainement franchi le seuil ultime, le 26 juillet, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
« Le maire [Anne Hidalgo] J’ai fortement insisté auprès du comité d’organisation pour qu’il en fasse partie, pour le symbole qu’il représente, son histoire avec Paris qui dépasse la simple relation entre une ville et un athlète qui s’y est illustré , dit Pierre Rabadan. Après, à quel moment il est intervenu, on ne le savait pas, car c’était bien aussi de garder la surprise. » Et quelle surprise !
Sur la scène humide du Trocadéro, l’Espagnol a reçu la Flamme des mains de notre divinité, Zinédine Zidane – qui lui avait remis son tout premier Trophée à Roland –, avant de rejoindre les légendes Carl Lewis, Serena Williams et Nadia Comaneci sur la scène humide du Trocadéro. Seine. Une des séquences les plus fortes de cette soirée, sur laquelle le Majorquin n’a pas eu de mots assez forts en privé pour exprimer son émotion et sa gratitude. « La place qui lui a été donnée est celle qu’il mérite », apprécie Rabadan.
NOTRE DOSSIER SUR RAFA
Maintenant que tout est fini, que l’on est sûr que Rafa ne reviendra pas en tant que joueur, il est temps de penser à l’hommage qui sera organisé en son honneur au printemps prochain, à Paris. Tout le monde espère que la Fédération sera à la hauteur. Au vu du message que lui a laissé la directrice du tournoi Amélie Mauresmo mercredi, cela vaut le déplacement. “Ça va être très drôle”, prévoit déjà Lolo Luyat, qui ne peut garantir qu’il ne versera pas une petite larme.