Non, en fait, ce n’est pas en 5 sets, mais en 3 petits, menés à toute allure, magnifiquement dessinés par sa palette artistique, que Roger Federer s’est imposé face à un Richard Gasquet appelé sur le ring de la Coupe Davis à la place de Tsonga. , mais sans gants. “Je me souviens combien de gens sifflaient Rodg’ quand il entrait sur le terrainSeverin Lüthi témoigne aujourd’hui. Le public a alors réagi aux plaintes des Français, qui avaient auparavant estimé que Roger était soutenu. A ce moment-là, il m’a dit : “N’est-ce pas ce qu’on a toujours voulu, être sifflé parce qu’on mène 2-1 en finale de Coupe Davis ?” Ce n’est pas qu’il avait envie d’être sifflé, mais qu’il avait envie de se retrouver dans cette position, si proche de remporter l’épreuve…“
Gonflé, le Bâlois détruit son adversaire 6-4 6-2 6-2. “C’était notre 15ème confrontation et « Rodg » ne m’avait jamais paru aussi fort», (le Biterrois désespère. Le Bâlois délivre effectivement la dernière étincelle du week-end, un score parfait, conclu à 15h03, heure de Lille, d’un délicieux amorti du revers. Le geste lui permet de s’effondrer d’émotions tout au long du match. le terrain, mais c’est la France qui est sur le terrain et la Suisse définitivement au paradis.C’est énorme, c’est énorme, c’est énorme», répète Marc Rosset, finaliste en 1992, au micro de la RTS.
“Ce jour est irréel», s’enthousiasme Severin Lüthi, capitaine dont les mérites sont incontestables. Federer apprécie aussi le moment, mais il veut surtout rendre hommage à Stan Wawrinka, le grand homme de Lille. “Je suis heureux pour le tennis suisse, pour nos fans, mais surtout pour Stan, qui a tant donné pour l’équipe toutes ces dernières années et tout ce week-end.glisse l’homme aux 17 titres du Grand Chelem à l’époque. Il mérite tous les éloges.»
Celles-ci retombent logiquement sur les épaules du Vaudois, devenu un tout autre joueur en cette année 2014 qui fut celle de tous ses exploits. Wawrinka devient même l’hôte d’une savoureuse conférence de presse de victoire, qui voit les Suisses plus que ravis après avoir visiblement bien trinqué. “Ils avaient mis les bouteilles de champagne dans le vestiaire français, mais ils les ont vite remises dans le nôtre», sourit-il.
Souvent provoqué par les Français dans les semaines précédant cette finale, Wawrinka a rendu leurs piques après avoir embrassé le Saladier d’Argent. “Au final, nous, les Suisses, avons parlé avec notre raquette, sur le terrain, et c’est ce qui a fait la différence« . Des propos qui ne plaisent pas aux Bleus, qui se retrouvent à « enlacer » le Vaudois lors du repas de clôture, comme il le raconte ce dimanche dans le documentaire à suivre sur RTS 1 (18h25). “C’était ridicule et pathétique, comme ce fameux dîner qu’on fait après une finale de Coupe Davis. Ils n’ont pas aimé mes propos, mais ils avaient oublié tout ce qu’ils avaient dit à la presse durant les deux mois qui avaient précédé cette finale…“
Loin des Blues, la tension de Londres est oubliée pour la troupe suisse. “Nous nous sommes énervés à cause des émotions du matchle Vaudois racontera quelques années plus tard, mais nous avons su laisser passer la nuit et le lendemain sans nous voir, nous avons alors pu discuter et remettre notre objectif commun au centre. Cette petite dispute n’allait pas perturber notre envie de gagner.»
C’est donc avec un véritable enthousiasme collectif, alimenté par Lüthi, que Roger Federer et Stan Wawrinka sont allés atterrir sur le toit du monde. Parfois divisée, la Suisse s’est retrouvée soudain, grâce à eux, unie autour d’un germanophone et d’un francophone qui incarnent mieux que quiconque ses valeurs. “Cela restera à une semaine d’écart de tous ceux que j’ai vécu dans ma carrière.», apprécie aujourd’hui le Bâlois.
Les deux hommes – auxquels il faut ajouter Marco Chiudinelli et Michael Lammer (vainqueur du double en Serbie au premier tour) – ont sans doute composé le plus grand succès collectif de l’histoire du sport suisse. Et quoi de mieux que de l’avoir remporté sur les terres d’une véritable nation du tennis, qui comptait alors 9 titres de Coupe Davis à son actif ?
TEXTES : Arnaud Cerutti
Interviews télévisées 2024 : Isabelle Musy