Imaginez un tout petit organisme présent partout sur notre planète autour de nous et qui porte en lui une mémoire génétique perdue. Les tardigrades sont des invertébrés mesurant de 0,2 à 1,2 millimètres maximum qui ressemblent à des mini oursons dotés de quatre paires de pattes, de muscles, de neurones et d’un microbiote. On les trouve partout sur notre planète, des fonds océaniques au sommet de l’Himalaya.
Les tardigrades sont aussi appelés ours d’eau, car ils vivent toujours dans un environnement où l’eau est présente comme les océans, les glaciers, les rivières ou dans les gouttières des maisons, mais aussi dans les mousses et les lichens des arbres. ou des rochers. On en connaît déjà près de 1 500 espèces : ce sont les champions de la survie de notre planète et les rois incontestés d’un club très fermé que sont les extrémophiles, ces organismes capables de survivre aux environnements les plus extrêmes.
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En effet, les tardigrades sont capables de résister à la température la plus basse mesurée dans l’univers (-272°C) voire à une chaleur proche de celle mesurée sur la planète Mercure (+151°C). Ils parviennent même à survivre à une température proche du zéro absolu (-273,16°C), ce qui n’existe pas dans l’univers mais uniquement dans les laboratoires de physique. Lors d’une récente expérience de physique, un individu sur trois tardigrades de l’espèce Ramazzotius varieornatus, photographié ci-dessous, a été réanimé avec succès après exposition à une température proche du zéro absolu.
Les tardigrades peuvent également survivre à un séjour de dix jours dans le vide de l’espace exposé directement aux rayons cosmiques et sont devenus un modèle de travail pour la recherche en astrobiologie. Côté radiations, on sait qu’ils peuvent survivre à des doses de rayons X 1 000 fois supérieures aux doses mortelles pour les humains. Leur résistance à des pressions gigantesques a également été testée pendant plusieurs heures et, étonnamment, ils survivent à l’écrasement par le poids équivalent à un immeuble de… 60 000 étages.
Cryptobiose : la vie suspendue
Une première découverte de tardigrades remonte au XVIIIe sièclee siècle. Après avoir étudié chez les Jésuites de Reggio (Calabre, Italie), le biologiste et philosophe Lazzaro Spallanzani (1729-1799) publie en 1776 une première étude sur ces petits animaux dans son ouvrage Livrets sur la physique animale et végétale. Il leur donne le nom de tardigrade et observe leur capacité à pouvoir se déshydrater complètement puis “ressusciter après la mort” en présence d’eau et décrivent, pour la première fois, le phénomène de cryptobiose.
La cryptobiose est un « état de vie suspendu » durant lequel aucun indicateur de vie n’est détectable. Dans cet état, les tardigrades collectés en Antarctique ont été réveillés avec succès après trente ans. D’autres données ont montré que les tardigrades en cryptobiose sont dans un « état de vie suspendue » mais aussi « hors du temps ». En effet, le temps passé dans cet état de cryptobiose n’est pas déduit de leur durée de vie normale (la durée de vie moyenne d’une espèce de tardigrade en élevage contrôlé est d’environ 60 jours). Bref, qu’il entre ou non en cryptobiose, un tardigrade ne verra pas son espérance de vie active normale modifiée. Les Anglo-Saxons appellent ce phénomène “La Belle au bois dormant” ou “La Belle au bois dormant”indiquant qu’un organisme cesse de vieillir tant qu’il reste dans cet état.
Notre laboratoire CNRS de Montpellier a été le premier à réussir à observer ce qui se passe à l’intérieur d’une espèce de tardigrade (Hypsibius exemplaris) lorsqu’elle entre en cryptobiose. Dans cet état, cette espèce se miniaturise, perd 38 % de son volume et crée une sorte de rempart visible autour de chacune des cellules qui composent son corps. Cette structure disparaît progressivement lors de la réanimation de l’animal.
Des stratégies de survie différentes selon les espèces
Mais le plus surprenant vient d’une étude récente de notre laboratoire concernant une espèce apparentée à la première (Ramazzottius varieornatus) également issue de nos élevages. Lorsqu’elle entre en cryptobiose, cette espèce ne se miniaturise que de 32 %. Plus étonnant encore : il était impossible d’observer la présence de ce rempart spécifique de cryptobiose qui entourait les cellules de l’espèce précédente. Ces expériences indiquent que différentes espèces de tardigrades sont capables de résister à des stress mortels pour d’autres espèces vivantes, mais qu’elles le font de différentes manières et en utilisant des outils qui ne leur sont pas toutes communes.
Dès 2016, cet ensemble d’outils génétiques leur permettant de résister aux environnements extrêmes a commencé à être identifié lors du premier séquençage de leur génome. Ces outils intéressent déjà les scientifiques pour de futures applications biomédicales révolutionnaires comme la conservation de médicaments et de vaccins sous forme déshydratée, ou la protection des cellules contre des radiations mortelles qui seraient utiles pour les futures missions spatiales.
Les généticiens pensent que ces gènes ont été acquis par les tardigrades pour leur permettre de résister à la déshydratation, mais ils proposent également que ce sont ces mêmes outils génétiques qui leur permettent de résister à tous types d’environnements mortels. En étudiant leur constitution génétique, les scientifiques ont été surpris de constater que près de 40 % des gènes des tardigrades sont inconnus chez les autres espèces vivant actuellement sur notre planète.
Mais d’où viennent ces gènes appelés « gènes tardigrades uniques » ? Une explication implique le mécanisme de transfert horizontal de gènes (ou HGT, pour «Transfert horizontal de gènes»). Comme indiqué ci-dessous, un organisme vivant hérite généralement verticalement des gènes de ses parents.
Acquérez les gènes de vos voisins
Dans le cas du transfert horizontal de gènes, l’organisme dispose d’une option supplémentaire qui est la capacité d’acquérir des gènes de ses voisins et de les conserver s’ils s’avèrent avantageux pour la survie de son espèce. Cela a déjà été observé chez une espèce de puceron dont les individus verts sont mangés par les coccinelles tandis que les rouges sont parasités par les guêpes. Un puceron a eu la « bonne idée » d’acquérir un gène de champignon par transfert horizontal de gènes et d’adopter une couleur jaune qui le protège très efficacement contre ces deux prédateurs.
-Plus récemment, l’étude d’une nouvelle espèce de tardigrade identifiée en Chine a révélé qu’elle avait acquis le gène d’une espèce de bactérie lui permettant de se protéger contre des doses mortelles de rayons X. Pour ces deux exemples, l’organisme responsable de ce don génétique a été identifié car il est encore vivant, mais pour les gènes uniques du tardigrade, cela n’est pas possible.
Il semblerait que les tardigrades, qui habitent notre planète depuis environ 600 millions d’années, aient eu le temps d’acquérir de nombreux gènes par transfert horizontal à partir d’espèces aujourd’hui disparues pour constituer une véritable bibliothèque. Ceci est d’autant plus possible que les tardigrades ont résisté aux cinq extinctions majeures d’espèces vivantes qu’a connues notre planète au cours de son histoire, la plus récente ayant emporté les dinosaures. Un petit nombre de ces gènes tardigrades uniques ont déjà été identifiés et ont reçu des noms bizarres tels que Dsup, TDR1, CAHS, SAHS, MAHS, TDP, LEA, Doda1 ou Trid1.
Placés dans des cellules humaines ou d’autres organismes de laboratoire (drosophile, bactéries, levures, plantes, etc.), ces gènes ont pu augmenter de façon spectaculaire leur résistance à des traitements normalement mortels comme les rayons X, les ultraviolets ou les oxydants puissants. Mieux encore, les protéines de certains de ces gènes ont pu protéger les médicaments de la déshydratation et ainsi permettre leur stockage à température ambiante, révélant ainsi un énorme potentiel de distribution de vaccins sans avoir recours à des congélateurs coûteux.
L’utilisation future de ces gènes tardigrades uniques dans le domaine biomédical fait déjà l’objet de nombreux dépôts de brevet, annonciateurs de nouvelles technologies biomédicales révolutionnaires qui pourraient bientôt en découler. Celles-ci vont de la protection de la peau des astronautes contre les rayons cosmiques à la possibilité de conserver par déshydratation des médicaments, des tissus ou des organes en attente d’utilisation.
Un « parfum d’ADN »
Mais d’où viennent ces ADN qui peuvent être incorporés par les tardigrades ? La réponse se trouve autour de nous. Nous sommes constamment baignés dans une « odeur d’ADN » libérée par tous les organismes vivants qui nous entourent. Cet ADN est appelé eDNA, pour ADN environnemental. Un échantillon de sol peut permettre, après séquençage de l’ADN qu’il contient, de déterminer quelles espèces vivantes vivent à un endroit donné, même sans les avoir vues. Il s’agit d’une technique très efficace pour évaluer la biodiversité d’un milieu terrestre ou marin. Récemment, des scientifiques ont réussi à identifier la signature ADN d’éléphants et de girafes d’Asie à partir d’échantillons prélevés sur une toile d’araignée située à près de 195 mètres dans le zoo de Perth en Australie.
Les scientifiques ont imaginé un scénario possible pour expliquer comment ces morceaux d’ADNe peuvent être retrouvés chez des espèces de tardigrades, ainsi que chez certains vers ou certains autres invertébrés. Ces organismes ont tous en commun la capacité de survivre à une déshydratation plus ou moins prolongée. Lorsqu’ils sont en cryptobiose après déshydratation, on observe l’apparition progressive de cassures de leurs chromosomes.
Les tardigrades pourront réparer ces dégâts dès qu’ils se réhydrateront. L’eau est potentiellement capable de transporter des fragments d’ADNe jusqu’au noyau des cellules où se trouvent les chromosomes. Leur présence parmi les chromosomes fragmentés des tardigrades permet d’envisager la possible intégration de ceux-ci en même temps que les mécanismes de réparation sont à l’œuvre.
Grâce à leur pouvoir de capter de nouveaux gènes présents dans leur environnement, les tardigrades ont accumulé des gènes aux propriétés exceptionnelles provenant d’espèces disparues depuis longtemps de notre planète. Ces gènes tardigrades uniques renferment peut-être les secrets des futures révolutions biomédicales en offrant de nouvelles possibilités de protection et de transport des médicaments et des tissus fragiles, de nouvelles protections pour les futures missions déjà planifiées par les agences spatiales ou encore en dermocosmétique pour lutter contre les effets de l’âge.
Simon Galas est professeur de génétique et biologie moléculaire du vieillissement à la Faculté de Pharmacie de l’Université de Montpellier. Myriam Richaud est docteur en génétique et biologie moléculaire du vieillissement à la Faculté de Pharmacie de l’Université de Montpellier.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.
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