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Construire un détecteur de neutrinos géant dans des cavernes souterraines

Comment se forment les trous noirs ? C’est le genre de questions auxquelles le projet Deep Underground Neutrino Experiment (DUNE) pourrait contribuer à répondre. Le détecteur de neutrinos au cœur de cette expérience est actuellement en construction aux États-Unis sous la supervision d’un consortium de 35 pays, dont le Canada, regroupant 1 400 scientifiques et ingénieurs issus de 200 institutions. Une fois opérationnel, vers 2032, DUNE s’appuiera sur une infrastructure colossale. Tout d’abord, le PIP-II, un canon à neutrinos souterrain, le plus puissant de la planète, situé au FermiLab, dans l’Illinois. Puis, à 1 300 km de là, au SanfordLab, dans le Dakota du Sud, un immense détecteur de neutrinos enfoui à 1,5 km sous terre. Le creusement des 800 000 tonnes de terre et de roche nécessaires à son installation a été achevé en août 2024, après 7 ans de travaux.

Comment les neutrinos se déplaceront-ils du canon au détecteur ? À travers la croûte terrestre ! Aucun problème pour traverser la matière quand on est un neutrino. Surnommés « particules fantômes », les neutrinos (à ne pas confondre avec les neutrons) n’interagissent pas avec leur environnement. Ainsi, chaque seconde, notre corps est traversé comme si de rien n’était par cent mille milliards de neutrinos venus de l’espace. Ce manque d’interaction avec la matière est ce qui rend leur étude si difficile.

Cependant, dans de très très rares occasions, et de manière aléatoire, un neutrino interagit avec l’atome qu’il traverse. Le « choc » produit alors d’autres particules qui, à leur tour, provoquent l’expulsion d’électrons. Ceux-ci sont chargés électriquement et sont donc faciles à détecter. Leur direction et leur énergie permettent de reconstituer le portrait et la trajectoire du neutrino en question. Il s’agit du fonctionnement de base de la plupart des détecteurs de neutrinos dans le monde. Celles-ci sont énormes pour augmenter les chances de capturer une interaction, mais aussi pour détecter les particules émises lors de cette interaction, puisqu’elles peuvent aller dans toutes les directions.

Ainsi, le détecteur DUNE comprendra quatre modules, chacun composé de grilles de détection immergées dans un bassin mesurant 66 mx 19 mx 18 m, contenant 17 000 tonnes d’argon liquide, l’équivalent du volume occupé par 160 bus à impériale ! L’argon a l’avantage de « générer » à terme beaucoup d’électrons, tout en étant peu coûteux et facile à purifier. Mais pour le conserver à l’état liquide, il faudra le conserver à -184°C, grâce à un gigantesque système cryogénique !

Comme si ce n’était pas déjà assez compliqué, pourquoi devons-nous également construire le détecteur DUNE sous terre ? « Parce que sinon il détecterait aussi les rayons cosmiques [composés à près de 90 % de protons venant du Soleil]. Et que ces détections étoufferaient celles des neutrinos, répond Roxanne Guénette, professeur de physique des particules à l’université de Manchester, au Royaume-Uni, et impliquée dans DUNE. La croûte terrestre bloque les rayons cosmiques, mais pas les neutrinos, qui la traversent. » Travailler avec des particules fantômes présente parfois des avantages !

De nouvelles perspectives sur l’Univers

Le chercheur québécois attend avec impatience l’entrée en opération des installations DUNE. « En produisant nous-mêmes des neutrinos au FermiLab, nous pourrons mieux les étudier. De plus, le détecteur capturera également les neutrinos provenant de l’espace, ce qui nous aidera à comprendre le phénomène astronomique qui les a produits. » Ainsi, lorsqu’une étoile mourante s’effondre sur elle-même, elle émet des quantités massives de neutrinos. Ceux-ci pourraient nous en dire plus sur le destin post-mortem de l’étoile, par exemple sur sa transformation en trou noir !

Plus largement, DUNE permettra peut-être d’adapter le modèle standard de la physique, c’est-à-dire le solide édifice théorique et mathématique qui décrit les fondements de l’Univers. Ce modèle prédit que les neutrinos n’ont pas de masse. Cependant, les données expérimentales montrent que ces particules en possèdent un. Faut-il jeter le modèle standard à la poubelle ? Probablement pas, mais nous devrons le réviser. Et pour cela, il faudra déterminer précisément la masse du neutrino, éventuellement grâce à DUNE. Notre compréhension de l’Univers dépendra-t-elle d’une expérience menée sous terre ?

Photos : CERN ; Reidar Hahn/Laboratoire Fermi

 
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