“Je suis comme un enfant dans un magasin de jouets.” Saji Pillai ne se lasse pas de la magie de la fabrication d’un disque vinyle : la combustion du moule, le pressage du disque, le crachat de la première note sous l’aiguille…
Depuis quelques années, ce professionnel chevronné de l’industrie musicale les importe d’Europe pour son propre label ou ses studios de cinéma.
Pour se concentrer sur les artistes indiens – et accessoirement payer moins d’impôts – il décide d’ouvrir sa propre usine de fabrication à Bombay (ouest), symbole de la lente renaissance en Inde de ce produit éminemment « rétro ».
« Quand j’ai commencé à travailler dans l’industrie, les disques vinyles étaient en fin de vie », se souvient Saji Pillai. « L’étincelle s’est allumée après le Covid et l’intérêt s’est confirmé au cours des deux dernières années. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire.
Aujourd’hui, la vague du vinyle est mondiale.
Ses ventes dépassent celles des CD et DVD qui allaient l’enterrer définitivement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou encore au Brésil. Par exemple, plus de 41 millions ont été vendus en 2022 sur le marché américain, pour 33 millions de CD.
Et des stars mondiales comme Taylor Swift, Billie Eilish et Harry Styles n’hésitent plus à sortir leurs nouveaux albums dans ce format.
Le retour du vinyle n’a pas encore atteint ce niveau de popularité en Inde. Mais le marché « progresse lentement », observe Saji Pillai.
Dans tout le pays, des disquaires convaincus et passionnés rouvrent leurs magasins.
– « Cérémonial » –
«Quand j’ai commencé, les gens qui vendaient des disques le faisaient comme s’ils vendaient des pommes de terre ou des oignons», explique l’un d’eux, Jude D Souza, responsable du Revolver Club. “J’ai toujours aimé la musique, c’est mon truc.”
Les fans se ruent sur ses étagères. Aux quatre derniers nostalgiques des platines ont été rejoints les nouveaux convertis de la génération Z – nés entre le milieu des années 1990 et 2010.
Comme beaucoup d’autres jeunes, Sachin Bhatt, 26 ans, a grandi en écoutant sa musique sur un lecteur MP3 ou en ligne.
Ce qui ne l’a pas empêché de se lancer depuis peu dans le vinyle et son « cérémonial ».
« Vous allez aux étals, vous sortez soigneusement un sac, vous y faites plus attention. Et puis quand on écoute, on repère des détails (…) c’est un rituel», décrit-il.
« Les disques vinyles créent un lien personnel et tangible avec la musique que vous aimez », poursuit Sachin Bhatt, intarissable. « Je connais beaucoup de jeunes qui possèdent des disques vinyles sans avoir de platine vinyle. »
« Écouter de la musique dans mes AirPods ne me semble plus très convaincant », confirme un autre fan, Mihir Shah, 23 ans. « Ressentir le disque, le meilleur son qui en sort, c’est totalement différent. Avec le vinyle, il y a un respect pour la musique.
Mihir concède cependant que sa récente passion coûte cher. “C’est mon père, un grand fan, qui a payé mon premier tourne-disque.”
– « Question de prix » –
Si le marché de ceux qui écoutent de la musique est massif dans le pays le plus peuplé du monde, il reste effectivement contraint par le faible pouvoir d’achat d’une grande majorité d’entre eux.
Selon le géant comptable EY, les revenus du marché de l’édition musicale n’atteindront que 100 millions de dollars en 2023 en Inde.
Il faut compter entre 50 000 et 100 000 roupies – 550 à 1 100 euros – pour un tourne-disque, un amplificateur, une paire d’enceintes et une dizaine de disques vinyles. L’équivalent de la moitié d’un salaire mensuel moyen en Inde.
Dans un petit magasin du sud de Bombay, Abdul Razzak, 62 ans, vend jusqu’à 400 disques d’occasion par mois à des prix variant entre 550 et 2 500 roupies l’unité (6 à 28 euros).
Lui aussi se réjouit du « rebond de popularité » du vinyle. Mais interrogé sur l’avenir du produit dans son pays, il répond que tout dépendra d’abord des prix. « Les gens ne l’achèteront que s’il n’est pas ruineux », prédit-il.
Même si elle reste limitée, la croissance annoncée du marché suffit à satisfaire Saji Pillai.
« Nous avons une capacité de production de plus de 30 000 disques par mois », assure le patron de la nouvelle usine. « Et nous sommes organisés de telle manière que nous pouvons facilement le tripler. »
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