La voie est ouverte à la synthèse de nouveaux éléments super-lourds ⚛️

La voie est ouverte à la synthèse de nouveaux éléments super-lourds ⚛️
La voie est ouverte à la synthèse de nouveaux éléments super-lourds ⚛️

Dans une expérience menée à Laboratoire national de Berkeley (États-Unis) avec la participation d’une équipe de l’IPHC, des scientifiques ont produit pour la première fois du Livemorium-290 (Z=116), un noyau atomique super-lourd, à partir d’un faisceau de titane-50 (Z=22).

Image d’illustration Pixabay

On savait que cette voie était très prometteuse, mais les physiciens ont investi plusieurs années de développement pour obtenir des faisceaux suffisamment intenses pour cet usage. Avec ce succès, une nouvelle voie de synthèse de noyaux super-lourds apparaît. Une voie qui devrait permettre à l’avenir de produire de nouveaux noyaux au-delà d’oganesson-294 (Z=118), le noyau le plus lourd jamais étudié par les physiciens nucléaires. Prochaine étape, réussir à synthétiser l’élément 120. Bien que l’élément 116 soit connu et synthétisé depuis une vingtaine d’années, les deux isotopes du Livermorium sont apparus brièvement à proximité du cyclotron du Laboratoire national de Berkeley les 27 avril et 16 juin derniers ont mis la communauté du physique nucléaire dans l’excitation. En effet, les deux isotopes de cet élément super-lourd, absent dans la nature, sont issus d’une union inédite : celle du plutonium-244 (Z=94) et du titane-50.

L’utilisation du titane-50 dans le cadre de telles réactions en laboratoire, appelées fusion-évaporation, donne en effet du fil à retordre aux physiciens depuis de nombreuses années. Mais le jeu en valait la peine : dans de bonnes conditions, l’utilisation de cet isotope et de celui de son voisin le chrome 54 (Z=24), pourrait débloquer la quête de noyaux toujours plus riches en protons en propulsant la technique de fusion-évaporation. dans de nouvelles sphères.

Ce procédé, utilisé en physique nucléaire pour synthétiser des noyaux artificiels super-lourds, semble à première vue aussi simple que brutal : prendre un noyau lourd (ici du plutonium-244) et le bombarder avec des noyaux plus légers (ici du titane-50). Espérons que certains de ces projectiles viendront à bout de la répulsion entre les charges positives des deux noyaux pour fusionner avec les noyaux lourds de la cible.

La mise en pratique de la réaction de fusion-évaporation a permis aux scientifiques de produire en laboratoire de nombreux éléments artificiels au-delà de l’uranium, approfondissant ainsi notre compréhension des mécanismes nucléaires et notre connaissance de ces structures quantiques. Mais voilà : les faisceaux de calcium 48 (Z =20), sur lesquels reposait jusqu’à présent ce procédé, ont atteint leur limite en bombardant les cibles californiennes, les plus lourdes qu’il soit possible de produire.

C’est en fait la fusion du californium, avec ses 98 protons, et du calcium-48 qui a permis de produire l’oganesson, l’élément le plus lourd jamais produit en laboratoire, avec 118 protons. Pour dépasser cette limite, une seule solution est actuellement possible : utiliser de nouvelles poutres métalliques plus lourdes que le calcium-48, comme le titane-50 ou le chrome-54.

Cependant, utiliser des noyaux plus lourds constitue un défi. Plus le nombre de protons augmente, plus la barrière électrostatique qui s’oppose à la fusion s’intensifie, sans compter que l’énergie cinétique de ces noyaux étant plus élevée, elle rend le noyau synthétisé plus excité, et donc plus instable. Les chances de survie de ces noyaux sont donc très minces et il est difficile d’avoir en même temps leénergie et l’intensité du faisceau requise. De plus, le titane est l’un des faisceaux les plus difficiles à produire en continu à haute intensité.

Pour contourner ce problème et parvenir au résultat 2024, deux méthodes ont été successivement mises à jour puis adoptées par l’équipe de l’IPHC dirigée par Benoît Gall dans ce qui allait devenir une véritable épopée scientifique. Le groupe a commencé par suivre le sentier dit MIVOC (pour Ion métallique provenant de composés organiques volatils), où les isotopes des ions métalliques sont isolés puis combinés avec des composés organiques volatils pour former une poudre stable. Les vapeurs issues de la sublimation de cette poudre alimentent alors la source d’ions pour produire les faisceaux.

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Grâce à cette méthode, Zouhair Asfari, chimiste à l’IPHC, a notamment permis de générer un faisceau de titane-50 suffisamment intense pour produire plus de 2000 noyaux de rutherfordium-256 (Z=104) en 2011. La même méthode a été appliquée plusieurs années plus tard au chrome 54 pour étudier la fission de l’élément 120 à Dubna, en Russie. “Dans ces conditions expérimentalesexplains Benoît Gall, on lui donnait peu de chances de survie. Il s’est fissuré presque immédiatement, mais la manipulation nous a permis d’en apprendre davantage sur ce processus.« .

À plus forte intensité, les vapeurs liées aux composés MIVOC saturent la source. C’est pourquoi l’équipe de l’IPHC s’est ensuite tournée vers une méthode alternative, celle de la vaporisation directe des métaux à l’aide de micro-fours à induction. Cette technique présente l’avantage de générer des vapeurs de métaux purs, augmentant l’intensité produite par les sources et donc le nombre de réactions de fusion sur la cible. Mais si 400°C suffisent pour vaporiser le calcium, il faut monter jusqu’à 1660°C pour produire une poutre de titane avec cette méthode, ce qui nécessite le développement de fours adaptés et plus puissants.


Partie arrière du séparateur du Berkeley National Laboratory, avec le système de détection du plan focal. C’est dans cette infrastructure que les noyaux de Livemorium ont été synthétisés à partir de faisceaux de titane-50.

Des scientifiques strasbourgeois ont donc investi dans un projet de micro-four à induction pour l’étude des noyaux super-lourds avec le spectromètre S3 au GANIL ainsi que pour leur programme de synthèse d’éléments super-lourds. Ils ont pu démontrer la capacité de leur four à vaporiser du chrome et du titane en 2019 à Doubna, un projet qui a depuis subi les conséquences de contexte international.

En 2020, le groupe s’est associé à des collègues de Berkeley, qui développent également un four à induction, et leur a apporté son expertise. C’est dans le cadre de cette fructueuse collaboration que la synthèse du Livemorium au cyclotron de Berkeley récompense les efforts de longue date de l’équipe.

Cette expérience constitue une étape importante vers la synthèse de nouveaux éléments car elle apporte non seulement la preuve de la faisabilité de la synthèse de l’élément 120 avec un faisceau de titane-50, mais aussi une estimation du temps qu’il nous faudra pour le produire !», se réjouit Benoît Gall. L’expérimentation peut être démarrée dès l’installation expérimental à Berkeley aura été préparé pour accueillir la cible californienne, bien plus radioactive que le plutonium 244.

Grâce aux faisceaux de métaux lourds, la découverte du prochain élément super-lourd serait alors possible d’ici 2026. Une perspective réjouissante pour les expérimentateurs comme pour les théoriciens : synthétiser puis étudier de nouveaux éléments au-delà des limites actuelles éclaire les physiciens sur la structure du noyau – l’élément 120 pourrait révèlent par exemple un hypothétique îlot de stabilité où la durée de vie des noyaux serait bien plus longue que celle des noyaux super-lourds produits jusqu’ici.

 
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