« Babygirl », avec Nicole Kidman, ou la sexualité tardive de la génération X

Génération Et avec le pouvoir financier, politique, littéraire, vient le désir d’utiliser ce pouvoir à des fins libidinales. Selon notre chroniqueur, l’arrivée sur le marché de la séduction (ou de la prédation, ou de la simple consommation) de femmes quinquagénaires qui ne sont plus le « sexe faible » est une révolution en marche.


Petite fillequi sort ce mercredi en , raconte l’histoire d’une quinquagénaire (même si, comme le souligne Kate Rosenfield, “Nicole Kidman, à 57 ans, peut encore passer pour 15 ans de moins de face et pour une adolescente de derrière”. » — faut-il traduire ?) qui entame une liaison SM avec une de ses stagiaires, âgée de 25 ans. Imaginez que c’était un homme qui était à sa place, et qui baisait la stagiaire ou la baby-sitter, on pleurerait scandale, patriarcat prédateur, « regard masculin » et autres imprécations #MeToo.


C’est une lame de fond. J’ai commencé à y prêter attention à mon retour du Japon : ces heures interminables dans un avion où l’on n’a rien d’autre à faire que de regarder des films qui comblent notre ennui. Parmi d’autres chefs-d’œuvre que j’y ai vus pour la première fois Bonne chance à toi, Lion Grande (Mes rencontres avec Léode Sophie Hyde, sorti en 2022) où Emma Thompson, une veuve récente, presque la soixantaine, qui n’a jamais profité de sa vie tout en restant fidèle à son mari, engage un call boy : Je ne saurais trop vous conseiller le film, avec une finesse et l’art du dialogue rarement atteint depuis la mort de Cary Grant et Katharine Hepburn.

Dans la même situation se trouve Nicole Kidman, qui a besoin de ses doigts et d’un film porno pour atteindre une extase mécanique que son mari (Antonio Banderas pourtant) est incapable de procurer.

C’est une lame de fond. L’un des grands succès romanesques de l’année 2024, aux Etats-Unis, s’intitule Tous les quatre (Miranda July, 50 ans de fraises) : « Le premier grand roman de périménopause », s’enthousiasme la New York Times.

La sexualité des baby-boomers commence à décoller, si je peux m’exprimer ainsi. Prévoyants, ils ont inventé le Viagra. Mais ces dames, dont le pouvoir de séduction s’effondre si vite, dans un monde dominé par l’idéologie juvénile, comment vont-elles libérer leurs pulsions ? Ont-ils le droit de s’offrir le livreur de pizza ou le plombier, ces archétypes de la pornographie ? Ou encore le fringant attaché/secrétaire/coursier qui passe devant elle dix fois par jour dans ses costumes bien coupés qui, vous l’avez remarqué, laissent désormais libre expression aux petits culs de ces jeunes gens…

Après tout, à 45 ou 50 ans, elles ont élevé leurs enfants, rempli leurs devoirs d’épouse, construit une carrière qui prend de l’ampleur à mesure que les baby-boomers occupent le terrain. S’ils sont mariés, c’est avec un homme à peu près du même âge, voire plus âgé, chez qui le jeu de la bête à deux dos, comme disait Rabelais, n’est qu’une routine…

Ils cultivent secrètement d’autres ambitions.

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A noter que cette sexualité secondaire est très différente de celle des hommes du même âge. Il existe depuis toujours des quinquagénaires qui vérifient auprès des jeunes filles que leur pouvoir de séduction est encore intact. Parfois même, ils abandonnent leur femme et expérimentent avec lesdites jeunes femmes, une puissance reproductive encore intacte, invoquant Chaplin ou Picasso. On l’appelait la « crise de la quarantaine » en anglais, ou le démon de midi en français. Autrefois c’était vers la quarantaine, aujourd’hui les hormones lancent leur dernier combat vers la cinquantaine, puisque la longévité a augmenté.

Les femmes ne jouent pas dans la même ligue. Ils ne sont plus en âge d’avoir des enfants : ils ont déjà donné. Ce qu’ils veulent, c’est la pure satisfaction de leur libido endormie ou de leurs fantasmes inavoués. Certains se révèlent être des dévoreurs tard dans la vie, après une demi-vie de routine. Ils veulent être comblés. Rendons-les à nouveau belles. Ils veulent ressentir une chair ferme, des muscles bien définis, des érections glorieuses et renouvelées. Chair fraîche. L’amour physique est, après tout, la crème de beauté la plus instantanée et la plus efficace.

Ils veulent aussi qu’on leur parle – autre chose que « Chérie, je suis à la maison, qu’est-ce qu’il y a à manger ? » Le film de Sophie Hyde (il est significatif que la réalisatrice et la scénariste soient toutes deux des femmes de la génération X) est révélateur à cet égard : on ne voit rien d’autre qu’une épaule, un torse d’homme, mais on écoute avec intérêt le dialogue entre Emma Thompson et Daryl McCormack, où l’escorte démêle patiemment les contraintes et les préjugés dans lesquels la belle cliente a toujours été enfermée – car Thompson, à 63 ans, si elle n’a pas le physique intemporel de Kidman, est très belle et joue magnifiquement.

Messieurs, méfiez-vous. Vos compagnons ourdissent de sombres complots. Ils ne prétendent pas être aimés, mais plutôt bouleversés. Ils sont prêts à payer pour cela – comme vous : « escorte » est après tout un mot neutre, il peut être masculin ou féminin selon les goûts. Au fond, ils ne vous trompent pas : ils exploitent ces zones que vous avez laissées en friche. C’est ce que j’ai décrit ailleurs dans un petit essai intitulé « La théorie du camembert » — disponible sur le Web, chanceux que vous êtes…

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